« You can’t make a baby in one month by getting nine women pregnant. »
[On ne peut pas faire un bébé en un mois en mettant neuf femmes enceintes.]
Rémi (Étienne Galloy), 21 ans, quitte son berceau natal de La Tuque pour aller vendre des sapins de Noël à New York dans le but de rembourser une dette menaçant son avenir. Largué au fin fond du Bronx, il fera la rencontre de Laura (Diane Rouxel), une activiste française pince-sans-rire, qui sera sa collègue pour le mois prochain. Ensemble, ils vont découvrir la vibrante communauté peuplant leur coin de rue et vont apprendre à survivre aux épreuves toutes aussi absurdes que dramatiques que leur réserve le monde sauvage de la vente de sapins.
Tout d’abord, commençons par ce souhaiter un joyeux Noël et bon temps des fêtes (avec une accolade, des becs pis tout le reste). Le plus beau de cette période de l’année c’est de se rendre compte que ce qui importe réellement dans la vie n’apparaît pas dans les pages du catalogue Sears (je sais que je viens peut-être de perdre les plus jeunes, mais Noël c’est pour tout le monde). Noël est encore une fête sacrée où la générosité et l’harmonie se parent de leurs plus beaux habits afin de rendre hommage à ce qui nous unit autour d’un sapin qui enivre de son parfum mielleux et légèrement épicé (le parfum d’après-rasage du roi de la forêt).
Stéphane Moukarzel offre une vision complètement opposée du temps des fêtes (et, disons-le, beaucoup plus réaliste) avec un scénario, à saveur de Noël, un peu particulier. En effet, le personnage de Rémi, interprété avec brio par Étienne Galloy, est une espèce de Grinch involontaire qui essaie de se racheter après avoir défoncé une animalerie avec son camion alors qu’il conduisait en état d’ébriété. En amassant une grosse somme d’argent avec la vente de sapins de Noël, il croit pouvoir résoudre tous ses problèmes. Une prémisse parfaite pour un film cinglant qui se doit de l’être pour ne pas devenir trop dramatique. Même si 111 minutes ont l’air long, je vous assure qu’elle passe rapidement.
Dans Sapin$, on ne parle pas de cadeaux et de prospérité, mais plutôt du poids qui accable les moins biens nantis de la société actuelle. Ici, les arbres de Noël ne sont pas un symbole sacré, mais bien une représentation du consumérisme et du capitalisme dévorant qui nous oblige à devoir performer pour gagner notre vie à faire des tâches sans but; vendre des bouts de forêts abattues qui seront mis à la poubelle le lendemain des festivités sans seconde vie aucune. Une constatation que le film ne manque pas de souligner chaque fois qu’il le peut sans pour autant en être revendicateur. Certes Laura, interprétée par Diane Rouxel, représente l’image de la rébellion et des mouvements plus extrémistes qui veulent changer les choses, pourtant au-delà des suggestions, pour le moins très hippies de cette dernière, l’idée générale est là.
La récupération devient le concept moteur de la trame narrative qui amène tranquillement l’auditoire à concevoir la quantité incroyable de choses déjà produites par la main de l’homme et du profit qui existe derrière le principe de réutilisation. Rémi rencontre Morgan, un propriétaire de bar interprété par Tyrone Benskin, et sa bande qui apprennent à Rémi à voir la vie autrement. Les sapins deviennent objet de troc pour l’usage de toilettes; il les loue pour des événements; même son patron utilise une méthode particulière de récupération de ses arbres pour augmenter sa marge de profit (méthode que je me garde de dévoiler histoire de ne pas vendre de faits seyants). Le concept de récupération dans la symbolique du film ne s’arrête pas qu’aux conifères que Rémi doit garder à l’œil loin des opportunistes. On y parle de « dumpster-diving », de friperies communautaires, d’organismes de bienfaisance, d’itinérances, de situations financières précaires et j’en passe.
Même le Père Noël (cette image emblématique de cette période de l’année) est représenté par deux personnages sans abris. Un itinérant anonyme déguisé en Père Noël sale et saoul, interprété par Conrad Pla, qui réclame sans cesse son droit d’usage comme bon il lui semble des arbres de Noël (urinoir compris); et Tito, interprété par Danny Blanco Hall, un itinérant qui se promène avec un carrosse d’épicerie rouillé dont il sort toujours ce que Rémi recherche. Noël est apparemment une fête déchue et amochée par la réalité du monde contemporain; comme toutes les autres fêtes, d’ailleurs, alors que le malencontreux événement déclencheur se passe à Halloween (une autre fête qui a depuis longtemps perdu son sens originel).
Malheureusement, les concepts plus éveillés véhiculés par le film s’arrêtent à celui de surconsommation sans s’attaquer à ce qui est à mon avis le réel problème; c’est-à-dire la surproduction et l’envie d’un mode de vie oisif et aisé sans rendre compte de ce que le libéralisme crée comme débalancement à long terme. Il est facile de crier haut et fort que l’on veut changer les choses, mais une fois que deux fesses sur la paille se retrouvent soudainement dans la ouate; les codes moraux s’en retrouvent affectés négativement et cela souvent insidieusement.
Le film montre subtilement (et peut-être même inconsciemment) comment l’embourgeoisement est un problème qui disparaît de la conscience après que le niveau de vie de l’individu est hors de celui de la pauvreté. De toute évidence, il y a des règles à suivre, sauf lorsque l’on fait partie du cercle rapproché de ceux qui ont mis ces règles en place. Prenons, par exemple, votre oncle qui est réparateur de voitures (peut-être pas le vôtre, mais admettons). Lorsque votre véhicule a eu de petits problèmes mécaniques, peut-être vous a-t-il simplement réglé votre problème pour rien du tout? Après tout, pourquoi pas? En famille, il faut bien s’aider, non? Peut-être même que vous aviez les moyens de vous le permettre au garage du coin, sauf que des contacts comme ça… Ça doit pouvoir servir. Tout le monde le fait, pourquoi se casser la tête? Je suis quand même prêt à parier qu’il ne rendrait pas ce service à un parfait inconnu par pure générosité (je peux, encore là, faire fausse route; pour l’exemple nous dirons qu’il ne le ferait pas). Au final, il faut bien gagner sa vie.
L’argent est le premier outil semblable à l’intelligence artificielle qui a réussi, lentement mais sûrement, à soustraire une partie de notre habileté à juger et aussi à gérer les choses par nous-mêmes. Prenons un autre exemple où cette fois votre oncle aurait un verger de pommes (je sais, il a le dos large cet oncle). Dans notre système économique actuel on lui demande de fixer un prix à son lot de pommes pour qu’il puisse être comptabilisé et reconnaître du profit ou des pertes encourues, etc, etc. Bon, alors disons que tout le village dépend des pommes de ce verger pour manger et qu’on se trouve dans un système un peu plus… communiste (ne fermez pas la page s’il vous plaît! C’est inoffensif, je vous jure!), l’oncle diviserait son lot de pommes afin que chacun des membres de la communauté puisse en profiter équitablement ou au moins qu’elles soient réparties également. Au final, il en reviendrait du jugement de notre oncle et de son sens personnel de la vertu pour bien faire les choses et satisfaire les besoins de tout un chacun. Cependant, dans le système qu’est le nôtre, on fixerait la valeur du lot de pommes à 20,000$ (montant dont n’importe qui pourrait se départir afin de reprendre le monopole de la ressource), puis tout le village de se demander; pomme de reinette et pomme d’api?
Où veux-je en venir avec tout ça? Le système dans lequel nous vivons ainsi que l’humanité que nous sommes fonctionnent de cette façon à tous les niveaux. On ne veut pas le voir, à la place on fait des lois « anti-corruption » ou « anti-collusion » pour nous faire croire que le système serait venu à bout de relation fondamentale à l’être humain comme l’amour, l’amitié et les liens du sang; ce que l’on appelle l’esprit de Noël. Les nouvelles générations ne peuvent pas se contenter de faire les choses autrement, les choses doivent littéralement changer et c’est en cela que l’ère de la rébellion est révolue. Nous voici à l’aube d’une ère nouvelle; il faut que l’on évolue. La solution n’est pas de créer de plus en plus de lois afin de protéger le droit au profit individuel de monsieur et madame tout le monde. Il faut plutôt commencer à envisager le principe d’une économie plus circulaire basée sur l’échange bien avant le profit.
C’est le temps des fêtes et tout le monde est d’accord qu’il est meilleur de donner que de recevoir. On devrait commencer à « put our money where our mouth is » (pour citer ces dires anglophones) et sortir de ce piège de cristal avant que ne sonne le Yippie Kay Yay! Arrêtons de consommer et réapprenons le sens du mot partage autant pour les choses que pour les moments.
Joyeux Noël!
P.-S. Le film était très bon!
Bande-annonce
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