« Let them go. They won fair and square. »
[Laisse-les aller. Ils ont gagné honnêtement.]
Toronto, 1989. Il y a cinq ans, Leslie (Evan Rissi) et Reuben (Ira Goldman) étaient les meilleurs amis inséparables, jusqu’à ce qu’un style de vie toxique brise leur amitié. Aujourd’hui, alors que leur ville est envahie par une nouvelle épidémie mortelle de drogue et que le petit frère de Reuben est kidnappé, ce même style de vie est leur seule chance de rester en vie. Ils n’auront d’autres choix que de s’immiscer dans les profondeurs du crime organisé s’ils veulent avoir une chance de retrouver le frère de Reuben, ainsi que celui qui distribue la nouvelle drogue connue sous le nom de « pearl ».
Evan Rissi (The Gold Paddle, 2018) revient après cinq ans d’absence avec une autre œuvre de son cru en incarnant le rôle de Leslie, un jeune professeur d’université prompt aux abus d’alcool, dans son film intitulé Going In. Comme vous l’aurez compris, Monsieur Rissi écrit et réalise le tout en plus d’y jouer le premier rôle (c’est pas des farces, il est même au montage). Un fait incroyable quand on considère l’excellente qualité du film. L’atmosphère de 1989 est construite avec soin à travers un esthétisme saisissant au niveau de la direction photo, de la musique et des costumes; ainsi qu’un décor impressionnant pour une production qui n’est pas financée par une grosse maison comme Universal Studios ou Disney. Su-Studio Productions est une modeste boîte située à Toronto avec moins de dix employés à son actif.
Je prends le temps de le souligner parce que ce genre de détails est parfois important lorsque l’on doit juger de la qualité cinématographique d’une œuvre. Certes, les grosses productions hollywoodiennes sont sidérantes au point d’en être du sensationnalisme, mais elles nécessitent aussi que l’on soit davantage critique à leurs égards, surtout quand l’on considère l’investissement qu’elles représentent; à l’opposé, les petites productions se retrouvent souvent restreintes lorsque vient le temps de produire un film. C’est un peu la même chose que de considérer la différence entre une chaise usinée et une sculptée à la main; l’une est supposée être faite selon un certain standard, certains critères à remplir qui justifieraient le budget et les autres moyens nécessaires à sa complétion (disons, les trois cents millions de dollars octroyés à The Avengers: End Game).
Going In tombe dans l’autre catégorie des productions réservée aux séries B et les films d’auteur (ceux moins connus du grand public bien sûr). Cependant, il est très difficile de le voir au premier coup d’œil tellement l’œuvre respire avec confiance. Effectivement, on a l’impression de pouvoir sentir toute l’assurance qu’a Evan Rissi pour son projet pendant que l’on visionne le tout. De toute évidence, il a de quoi être fier, mais ce pourrait-il que trop de confiance puisse nuire plus qu’être bénéfique? Détrompez-vous, je suis loin de vouloir couler le film (même si j’ai failli le faire sous l’effet de la première impression), il est loin d’être mauvais, même que je vais le dire immédiatement, il est très bon, à mon avis. Le tout aurait probablement eu besoin d’un regard extérieur neutre à un moment ou un autre pour dépasser le stade d’être très bon et risquer d’être plus-que-parfait; une étape cruciale qui semble avoir été légèrement mise de côté.
C’était une grande surprise de réfléchir autant sur un film lorsque la chose semblait déjà réglée pour moi une fois la projection terminée. J’allais tout simplement donner une mauvaise note et puis c’est tout. J’accrochais à tout ce qui me déplaisait au premier coup d’œil et une autre chose sur laquelle je n’arrivais pas à mettre le doigt, mais je m’étais mis le doigt dans l’œil à croire que le film aurait pu ne pas être passable. C’est en visionnant une seconde fois, histoire de trouver une citation croustillante pour le début de l’article (j’essaie de garder mes bonnes habitudes), que je commençai à remarquer plus précisément ce qui me chicotait et m’avait donné une mauvaise impression.
Comme mentionné auparavant, le produit fini ne se garde pas d’être magnifique et sait titiller la nostalgie des années 80 chez l’auditoire avec justesse. La direction des acteurs laisse toutefois à désirer et va un tantinet dans tous les sens. C’est difficile à expliquer, mais au final l’uniformité de la diégétique finit par être compromise (on dirait qu’un arbitre de la LNI pourrait intervenir à tout moment pour « décrochage »). Le dialogue en souffre aussi, car en plus d’avoir des acteurs laissés à eux-mêmes pour donner la réplique, le texte aurait aussi dû être élagué.
Étant moi-même un écrivain, j’ai reconnu là des fautes semblables à celles qui me guettent; des fautes qui attendent dans le détour la majorité des créateurs et concepteurs de ce monde. Il arrive souvent que l’on puisse avoir des idées qui, sur papier, apparaissent géniales ou du moins assez pour qu’on se donne à soi-même une tape dans le dos. Puis arrive la constatation, en règle générale tardive, d’avoir manqué de recul face à certains coins que l’on réalise avoir fait rondement. Les dialogues au cinéma sont un des rares moments où le scénariste peut faire valoir son talent et pour cela il arrive de temps en temps que le dialogue en dise trop. C’est étonnant de cette production, vue tout l’effort mis dans le visuel, de ne pas avoir pris en compte à quel point l’image et l’histoire parlaient déjà sans que les personnages aient à nommer ce qui se passe. Une erreur de débutant qui fait mal.
Finalement, Going In n’arrive pas à se frayer une place dans le milieu sans érafler sa peinture au passage, mais il y parvient tout de même, et ça, avec style. Un de mes moments préférés est lorsque les deux protagonistes se font provoquer en duel de danse (ouin, l’autre faiblesse c’est les péripéties invraisemblables) et ils se font appeler Sonic et Donkey Kong! J’ai ri pas parce Leslie a les cheveux en piques et Reuben est noir; non plus à cause de l’ironie avec mon amie qui n’arrêtait pas de l’appeller Sonic depuis le début du film. En fait, j’étais surpris que ceux qui les provoquaient en « dance-battle » ne venaient pas du futur étant donné que le film se passe en 1989 et que Sonic fut commercialisé en 1991!
Voyez-vous? C’est ce genre d’écueils qui auraient pu être évités, si le réalisateur n’avait pas senti le devoir de porter seul le poids d’une production artistique d’envergure. Un film, ça ne se fait pas seul (je le sais, je l’ai fait et croyez-moi, je le ferai pas deux fois). Je n’ai aucune difficulté à comprendre combien ces projets demandent de l’effort et de l’investissement, ce qui peut nous amener égoïstement – nous créateurs – à vouloir faire une œuvre où l’on obtient tous les mérites. Cependant, au cinéma contrairement à la peinture, même si l’idée vient de nous, on ne lui fait pas voir le jour seul; c’est là aussi que se trouve la beauté de cette discipline artistique.
Mon verdict est de vous conseiller de le voir par vous-mêmes, mais surtout de le prendre avec un grain de sel. Malgré les quelques pas de danse ratés, il y a vraiment lieu d’apprécier le talent de Monsieur Rissi qui, on l’espère, continuera dans le domaine. Un bel hommage à ces années passées, quoique toujours bien vivantes. Qui sait, peut-être que vous ne verrez plus votre jeu de puissance-quatre de la même manière.
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