« C’est la première fois que l’on me voit nu »
Rocco Siffredi
En trente ans de métier, Rocco Siffredi aura visité tous les fantasmes de l’âme humaine et se sera prêté à toutes les transgressions. Hardeur au destin exceptionnel, Rocco plonge dans les abîmes de son addiction au sexe et affronte ses démons dans ce documentaire en forme d’introspection.
Rocco Siffredi est à la pornographie ce que Mike Tyson est à la boxe : une légende vivante. Sa mère aurait voulu qu’il soit curé, il est devenu acteur porno avec sa bénédiction, consacrant sa vie à un seul dieu : le Désir.
Alors que le moment est venu pour le monstre sacré du sexe de prendre sa retraite, Thierry Demaizière et Alban Teurlai le rencontrent avec l’idée de faire un film sur l’univers de la porno. Mais après avoir rencontré Rocco, ils réalisent que l’homme représente beaucoup trop pour ne pas en faire un film entier. Après cette rencontre avec les deux réalisateurs, Rocco les choisit pour tourner la dernière scène de sa carrière. Une galerie de personnages – famille, amis, partenaires et professionnels de la porno – l’accompagne jusqu’à cette sortie de scène spectaculaire.
C’est entre autres grâce à une magnifique image qu’il est nommé à la
Mostra de Venise et montré lors des Giorni degli autori. Rocco a été présenté au Centre Phi dans le cadre du Festival de film Venice Days, qui en est à sa troisième édition.
Rocco n’est pas l’éloge de la pornographie, ni un pamphlet contre. C’est plutôt le portrait d’un homme, d’une légende sur le bord de raccrocher, après une grande carrière qui aura été payante, mais couteuse. Dans ce documentaire, on part à la rencontre de l’homme et non de la superstar. À 50 ans, le moment était venu de se livrer totalement, autrement.
C’est par son récit sur son enfance, sa famille, que l’on peut comprendre ce qui lui est arrivé pour devenir Rocco Siffredi. Famille modeste, mort tragique de son petit frère, désir d’aider sa mère. C’est un parcours « très italien » qui permet d’expliquer Rocco. Il raconte d’ailleurs que c’est par un pacte avec le Diable qu’il est devenu ce qu’il est aujourd’hui. Et il lui aura aussi payé sa dette.
Comme on le voit dans le film, le corps de Rocco est, comme lui, douloureux. Il a des problèmes de sciatique, de prostate, il est usé par le sexe. Mais, en même temps, c’est encore un athlète qui s’impose de terribles entraînements. Il a besoin de souffrir pour payer sa dette au Dieu du sexe. Il explique d’ailleurs : « La sexualité m’a attiré, comme un aimant, mais elle m’a aussi égaré dans des zones complexes. Mon premier désir au moment de faire ce métier était de rendre ma mère et mes frères plus heureux – on venait d’une famille modeste. Je voulais qu’ils aient moins de souffrance. Moins de stress. Que leur vie soit plus relax. J’ai mis du temps à gagner de l’argent avec le porno, aujourd’hui je peux les aider, mais ça ne suffit pas à régler les choses. »
Puis il en explique la contrepartie : « La souffrance est là, elle fait partie de ma vie. Du moment où je suis devenu acteur porno, j’ai renoncé à l’idée d’avoir une vie totalement clean. J’ai fini par croire que ce que la vie me donne, elle me le donne en échange d’une certaine souffrance. Je le savais, c’était le deal : pour avoir tout ce que j’ai gagné en trente ans de porno, de joie, de reconnaissance, d’aisance sociale, il fallait une souffrance derrière. »
Qui est Rocco Siffredi? Si vous n’avez jamais vu ses films, vous connaissez au moins son nom, sa réputation… Sinon, il est temps d’aller sur Internet et de taper son nom.
En m’assoyant dans la salle, je ne m’attendais certainement pas à un film qui allait aussi loin dans le portrait. Au-delà de la pornographie et de Rocco lui-même, le film touche à des thèmes plus larges, universels, autour du désir et de la culpabilité. Une sorte de portrait de l’homme moderne. Rocco, comme sujet, dépasse largement la porno. Il touche à la vie, à la mort, aux rapports dominés / dominants.
Rocco est reconnu comme violent et dur avec ses actrices. Alors, dans le film, les réalisateurs ont poussé la question du rapport avec les femmes. Et il semble que, bien que son rapport aux femmes soit complexe et sombre, il est aussi empreint d’une grande complicité. Les réalisateurs expliquent que « c’est le cœur du film. Rocco a une dimension christique évidente, crucifié aux corps des femmes, il souffre de ce qui le fait vivre. Il porte le fardeau de l’homme moderne qui doit et veut être tout à la fois : étalon, homme d’affaires, sex-symbol, mari, père de famille, fils aimant. Lui, symbole du mâle dominateur, prétend en fait être dominé par les femmes, esclave de leurs désirs. » C’est aussi le point de vue d’une des actrices avec qui il a tourné plusieurs films : Kelly Stafford, la partenaire la plus emblématique des 30 ans de carrière de Rocco, une incroyable performeuse qui peut entrer en transe avec lui et avoir des rapports sexuels d’une animalité sidérante.
C’est un homme au corps abimé et à l’esprit mal en point qui quitte, à 52 ans, le monde qui l’a rendu célèbre. Thierry Demaizière explique qu’au départ il n’était pas prévu que ce documentaire devienne le chant du cygne de Rocco : « mais on a compris assez vite qu’il ne pouvait plus tenir longtemps son rôle de super hardeur, de mâle alpha dominateur, il était habité par trop de doutes, de questions. Et puis physiquement aussi. Rocco a beau être encore très performant, il est brisé de partout : ses hanches, ses genoux, son dos, son corps entier le fait souffrir. C’était une chance incroyable pour nous et pour le film d’arriver à ce moment-là de son histoire, où quelque chose ne marchait plus. »
L’acteur explique que même après 30 ans dans le métier, il ressent de la culpabilité. Quelque chose de très italien. Au début du film, il parle de sa mère, du poids familial, de la religion qui n’est jamais très loin. Du travail intime qu’il lui a fallu faire pour gagner d’abord l’autorisation de sa mère pour pouvoir être celui qu’il est. Puis, l’autorisation de sa femme pour pouvoir continuer à être celui qu’il est tout en restant en couple. Et pourtant, bien qu’ayant gagné ces deux autorisations, il est encore cet homme italien empêtré dans ce questionnement existentiel, moral, sur ses devoirs, sa transgression, son malheur et sa jouissance.
Son malheur c’est de ne pouvoir vivre sans la porno. Et pourtant, celle-ci ne le rend pas heureux. Il est devenu riche par la porno, adulé, célèbre dans le monde entier. On pourrait donc s’attendre à un homme serein, un roi de la porno. Un prince dans son royaume, satisfait de sa réussite. Il semble que ce soit tout le contraire : il va mal. Il est même celui qui va le plus mal dans le clan Siffredi. Alors que sa femme et ses enfants semblent avoir totalement accepté la situation, lui est pris tout entier dans sa question sans réponse comme s’il était condamné au sexe…
Et selon les réalisateurs, Rocco n’a jamais cherché à dissimuler quoi que ce soit, jamais il n’est revenu sur ce qu’il a dit ou fait devant leur objectif. Jamais il n’aurait demandé de couper quoi que ce soit, même quand la situation n’était pas à son avantage, comme c’est parfois le cas dans le film.
Rocco pratique une porno très hard, où les filles qui tournent avec lui ne peuvent pas enchaîner avec un tournage le lendemain, car c’est physiquement impossible. Et dans le documentaire, il montre sa part sombre, mais aussi sa quête de vérité dans le plaisir des femmes qui passe par la folie, la démesure, la sauvagerie et la domination. C’est un homme très paradoxal, mi-ange, mi-démon.
Le grand défi pour le projet de réaliser un film sur l’univers de la porno était d’y entrer et d’être accepté. « C’est un cinéma de parias qui, à force d’être exclus, n’aiment pas être regardés et se méfient. Il est donc très difficile d’arriver avec des caméras sur un plateau de porno, car cette présence étrangère à la fabrication de la scène elle-même déconcentre beaucoup les acteurs et actrices qui y sont souvent opposés. Rocco a été notre sésame pour pouvoir filmer ce monde qui fonctionne en circuit fermé. », expliquait un des réalisateurs.
C’est drôle à dire (et sûrement à entendre), mais les vedettes de la porno sont comme des athlètes. En quels points? Il ne s’agit que de performances physiques très intenses, comprenant beaucoup de souffrance, de blessures, et atteignant parfois l’extase. Les acteurs pornos peuvent tourner jusqu’à 6 heures d’affilée.
C’est en se faisant crucifier que Rocco quitte le « grand écran ». Rien de moins…
C’est avec la même passion qui le caractérise qu’il a préparé sa sortie. Avec Gabriele et John Stagliano, il a monté le scénario, puis avec Mark Spiegler il a monté son équipe d’acteurs et d’actrices. Mais malgré la présence de ses éternels acolytes, sa dernière scène n’aurait pas été complète sans la femme qui l’aura le plus marqué. Son égal féminin : Kelly Stafford. C’est elle qui, pour la première fois, devient la dominante, et Rocco, lui, le dominé.
Tourné sur 2 ans, Rocco aura été un tour de force. On y découvre l’homme et le mythe. Mais aussi l’homme de famille, le mari, le père. C’est avec son cousin Gabriele (qui agit à titre d’assistant, scénariste, photographe de plateau et meilleur ami) qu’il travaille depuis presque le début. Ces deux Italiens au sang chaud s’engueulent plus que n’importe quel Québécois pourrait le supporter. Et pourtant, ils ne peuvent se passer l’un de l’autre. Leur porno a deux visages : l’un dur, extrême lorsqu’il s’agit des scènes de sexe, et l’autre, naïf, archaïque, presque enfantin lorsqu’il s’agit des scènes de comédie. Leur cinéma est presque un cinéma des origines : ils jouent, au sens premier du terme.
Des repas de famille à Budapest aux tournages de films pornographiques à Los Angeles, des ruelles italiennes d’Ortona aux villas américaines de la Porn Valley, le film montre l’histoire d’une vie hantée par le désir et révèle en filigrane les coulisses du X, derrière le scandale et l’apparente obscénité. À l’heure où la pornographie sort de la clandestinité, envahit le cinéma traditionnel, la mode et l’art contemporain, c’est un univers à part entière, filmé au plus près, qui se dévoile à travers le parcours de Rocco Siffredi.
Note : 8.5/10
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