« Vous savez, je ne fais jamais rien sans l’accord de mon mari. »
Après avoir toujours travaillé dans l’ombre de son mari pour l’élire président, Bernadette (Catherine Deneuve) espérait enfin obtenir le poste qu’elle méritait en arrivant à l’Élysée. Devant l’attitude du parti ainsi que celle de sa fille (Sara Giraudeau) et de son mari (Michel Vuillermoz), elle se venge en devenant une figure médiatique majeure.
Le dernier article que j’ai fait sur un film à propos d’une femme politique c’était Golda, réalisé par Guy Nattiv. Une histoire qui raconte les faits vécus de la Première Ministre de l’Israël, Golda, en 1974, durant la Guerre de Yom Kippur (ouin, avec le recul, je me dis qu’ils auraient dû attendre de ne PLUS être en guerre avant de faire ce film-là). L’œuvre m’avait atteint, pas uniquement pour ses qualités esthétiques, mais aussi pour son côté très humain et sa sensibilité.
Bernadette, réalisé par Léa Domenach, et coécrit par Clémence Dargent, garde l’âme des histoires des Grandes Dames de ce monde. Librement inspiré de la vie de Bernadette Chirac, le film est drôle, touchant et émouvant. Ladite Bernadette, interprétée brillamment par Catherine Deneuve, est tout simplement attachante. Sous ses airs de « mère de toutes les Karen » se cache une femme amusante, brillante, diligente et empathique. Il n’en prend pas davantage pour que le reste du film devienne vite accrocheur; des images soignées, un dialogue adroit, le jeu de la distribution est tout simplement phénoménal et le récit également prenant.
Une chorale d’église introduit le premier acte avec humour. Alors que Bernadette se rend au confessionnal, les paroles chantées font comprendre qu’il ne faut pas tout prendre pour des faits. On la suit à partir du moment où, en mai 1995, son mari devient Président de la France. Déjà, la tension qui règne au sein de son noyau intime est palpable. Son mari est constamment gêné par sa présence; et sa fille, Claude Chirac, interprétée par Sara Giraudeau, aussi adjointe à la présidence, materne froidement sa mère, la laissant souvent seule à elle-même. Elle finit par référer Bernadette à un expert en communication nommé Bernard Niquet, interprété par Denis Podalydès, pour la manoeuvrer et s’assurer qu’elle interfère le moins possible dans les affaires de son mari; une tâche à laquelle Bernard n’adhère pas longtemps lorsqu’il constate l’exclusion dont est victime la Première Dame.
Le personnage de Bernadette n’est pas une caricature, mais plutôt un masque ou un costume qui sied à beaucoup trop de femmes dans le monde, et ce, encore de nos jours. L’on croit souvent à tort; parce que les droits humains et le civisme sont des histoires de tous les jours ici; que personne n’est oppressé et que ce ne sont que des ragots de bonnes femmes du tiers monde, mais aucun être n’échappe à l’orgueil ainsi qu’à la jalousie (de la sienne ou de celle des autres). C’est de cela dont il est question; le patriarcat que l’on reproche n’est pas simplement celui d’un monde d’hommes qui excluent les femmes, on invoque aussi la possibilité que le système puisse être maintenu par une poignée d’envieux qui refusent de céder le pouvoir de décision et de remettre l’indépendance aux individus.
En ce point, le mari de Bernadette, Jacques Chirac, interprété par Michel Vuillermoz, en est un bon exemple. Madame Chirac se retrouve face à des politiciens qui refusent d’admettre que ses capacités sont bien au-delà de ce qu’on lui permet de faire en tant que Première Dame, mais, hélas, si ce n’était que cela. Les deux êtres les plus proches d’elle, Claude et Jacques, sont ceux qui la maintiennent le plus à distance. Madame Chirac est loin d’être une femme passive qui souhaite rester à la maison; cela ne l’empêche pas de souhaiter pour un noyau familial uni et aimant. Malgré tout, elle endure la rigidité de sa fille et les bavures de son mari, mais elle en souffre sans que cela ne paraisse aux yeux des autres (avoir un grand cœur, dit-on, est autant force que faiblesse).
L’approche est intelligente par la façon qu’elle montre que le stéréotype de la femme forte ne s’arrête pas simplement à celui d’une carriériste acariâtre. Sans aucun doute, Bernadette souhaite rester une figure politique influente en tant que conseillère générale de la Corrèze, mais elle fait aussi des efforts pour être une épouse supportante ainsi qu’une mère attentionnée. Elle n’est pas parfaite, certes, c’est pourtant là que réside son charme (de mon point de vue, ce qui est parfait à la possibilité d’apprendre et de s’adapter sans cesse; pas de ne jamais avoir à changer).
J’effleure à peine la réalisation, car elle est quasiment impeccable et les petites erreurs de parcours sont trop peu nombreuses et trop peu importantes. Je ne sais pas pourquoi, mais maintenant quand je vois « Warner BROS. », j’en prends gage de qualité.
Le long métrage que constitue Bernadette procure une expérience plus que satisfaisante (dont un running gag avec Sarkozy, à mon avis, tout simplement hilarant). L’histoire maintient une balance constante entre le drame et la comédie sans jamais que les deux genres cinématographiques ne jurent ensemble; il en va de même pour le jeu des acteurs qui sont dirigés de façon à ce que l’on puisse aisément croire à l’éventail d’émotions qu’iels ont à nous offrir. En revanche, le film ne se cache pas du tout de son côté loufoque; sans tomber dans l’excès, le public est ramené devant un quatrième mur brisé rappelant que le spectacle se déroulant sous leurs yeux n’est qu’une fiction, et non un documentaire.
Un point demeure pourtant. Le film se termine et les amitiés sont belles, mais qu’en est-il de l’amour ou de la beauté de l’union? En effet, les sentiments amoureux sont quasiment exclusivement prétextes à de la tristesse, de la mélancolie ou de la déception. Habilement, on laisse planer que tout le politique n’est rien face aux relations personnelles. Dans une des premières scènes, Jacques mentionne que la fidélité est une qualité importante, ce à quoi Bernadette glousse avec dédain (ne vous inquiétez pas Madame Chirac. Il y en a pour qui ça compte encore pour vrai). Comme on dit : on ne change pas les autres, en attendant, on peut juste continuer à se concentrer sur soi, et c’est précisément ce que fait Bernadette.
L’univers dépeint dans cette œuvre est, néanmoins, bien réel. Est-ce si difficile de remettre à César ce qui revient à César? Les grands hommes sont-ils déjà tombés en montrant ne pas être seuls garant de leur succès? Il est aussi question de la reconnaissance de l’entêtement comme d’une qualité nommée résilience, et non du reflet d’un caractère immature. La façon dont on infantilise Bernadette Chirac tout au long du récit effleure subtilement certaines caractéristiques, pourrait-on dire toxiques, du pouvoir patriarcal et de la féodation de la femme à l’homme (la première Dame se doit, avant tout, d’être une bonne image pour le Président). Dommage, trop souvent sont ceux qui réalisent avec peine et un peu tard la chance qu’ils avaient.
En attendant, saisissez la chance de voir Bernadette!
Bande-annonce
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