Polina, danser sa vie – Regarder le monde

« Toutes mes œuvres parlent de l’absence, du manque »

Affiche du film PolinaRussie, dans les années 90. Portée depuis l’enfance par la rigueur et l’exigence du professeur Bojinski (Aleksei Guskov), Polina (Anastasia Shevstova) est une danseuse classique prometteuse. Alors qu’elle s’apprête à intégrer le prestigieux ballet du Bolchoï, elle assiste à un spectacle de danse contemporaine qui la bouleverse profondément. C’est un choc artistique qui fait vaciller tout ce en quoi elle croyait. Elle décide de tout quitter et rejoint Aix-en-Provence pour travailler avec la talentueuse chorégraphe Liria Elsaj (Juliette Binoche) et tenter de trouver sa propre voie.

Polina, danser sa vie, de Valérie Müller et Angelin Preljocaj, évite les clichés habituels que l’on retrouve dans les films avec des danseuses classiques où elles sont toujours anorexiques, victimes de rivalités, de compétition… Pour une fois, on est dans un monde de jeunes qui travaillent et qui se confrontent à des difficultés morales et physiques. On les voit vivre et faire la fête.

Inspiré de la bande dessinée Polina de Bastien Vivès (éd. Casterman), le long métrage de Müller et Preljocaj offre de très belles séquences de danse, de très belles images, sur une sublime musique de 79D.

À la base, Polina, danse sa vie, n’offre pas un thème particulièrement original : une jeune fille se voit imposer de devenir ballerine par ses parents, puis décide de s’émanciper. Mais les réalisateurs réussissent à traiter le sujet de façon très intéressante. Ils montrent de quelle façon les fragilités, les failles d’un individu peuvent devenir les ressorts de sa créativité et de sa réussite. Surtout lorsque celle-ci montre une persévérance de fer.

Acteurs ou danseurs

Un des défis de cette production était certainement de trouver les bons acteurs pour les rôles. Tous les acteurs ne sont pas danseurs, et tous les danseurs ne sont pas acteurs.

Juliette Binoche dans Polina
Juliette Binoche

Juliette Binoche s’avérait un choix sûr. Elle est non seulement une grande actrice, mais elle a aussi de l’expérience en danse. En effet, ayant été danseuse aux côtés d’Akram Khan, elle a cette expérience qui lui donne un rapport au corps très affirmé. Interpréter une chorégraphe était sans doute pour elle assez logique. Mais un beau défi car, selon les dires de Preljocaj, elle a passé 6 mois à travailler la danse tous les jours, parce que les réalisateurs ne voulaient pas de doublures pour les séquences de danse.

Les autres rôles principaux étaient de plus gros risques. Mais aussi de plus grandes réussites.

Karl et Polina dansent ensemble
Anastasia Shevstova et Jérémie Bélingard

Le choix d’Anastasia Shevtsova dans le rôle de Polina aura demandé plus de 600 auditions à travers l’Europe, et finalement la Russie. La jeune danseuse russe a réussi à créer un personnage fort, imprégné de sa propre personnalité. Et comme l’explique la coréalisatrice, « [e]n plus de ses qualités de danseuse, elle avait quelque chose de très fort à l’image. Ce petit quelque chose en plus qui relève du mystérieux… Elle a appris le français pour le film, Angelin a créé le duo final avec et pour elle. C’était fort de vivre cette aventure avec elle. » C’est un peu la même chose pour le rôle de Karl. L’équipe de production y est allée avec un danseur qui a développé son « acting » tout au long du tournage. D’ailleurs, il semble tout à fait à sa place dans le film.

Polina s'échauffe
Niels Schneider et Anastasia Shevtsova

Mais pour le rôle d’Adrien, ce fut l’inverse : un acteur qui se met à danser. Niels Schneider a d’ailleurs été intégré au spectacle Retour à Berratham pour qu’il vive avec la troupe pendant plusieurs mois afin de maitriser l’art de la danse.

Le format du film

Les réalisateurs ont choisi de tourner dans un format moins habituel : le scope. Pourquoi? « À cause des bras » disait la réalisatrice en entrevue. Le scope permet de garder à l’image deux bras ouverts à l’horizontale, et c’est aussi parfait si on veut montrer deux corps en mouvement. Ce format a aussi permis d’élaborer une façon de raconter l’histoire. Müller explique aussi : « Il s’est avéré que les séances de travail seraient plus dans le détail et que les séquences de danse seraient plus larges, plus respirantes, avec une place pour l’espace. »

Mais encore…

Tout de même, engager une danseuse russe qui n’a aucune expérience d’actrice et qui ne parle pas un mot de français pour jouer un rôle comme celui-ci, il fallait avoir un très bon « feeling ». Mais la jeune femme, qui avait prévu d’apprendre ses lignes par cœur, a rapidement réalisé que pour être « vraie », elle devrait réellement apprendre la langue de Molière.

Polina et Bojinski
Aleksei Guskov et Anastasia Shevstova

Dans Polina, danser sa vie, on voit aussi comment se développe une relation de confiance entre un professeur et une élève. En Russie, cette relation peut se développer sur 9 ou 10 ans. C’est cette relation forte que l’on voit se développer entre Polina et Bojinski. Il représente un mélange de crainte, de respect et d’obéissance. Mais c’est aussi lui qui, le premier, donnera envie de danser à la jeune fille. Il sera son mentor. Puis, c’est avec chaque rencontre que Polina se construira elle-même. De chaque personne qu’elle rencontre, elle gardera quelques choses. D’Adrien, elle apprendra le manque; de Liria, ce sera que, pour créer, elle doit apprendre à voir le monde autour d’elle…

Polina, danser sa vie est un film où beaucoup d’émotions passent par les corps et les regards. C’est une jeune fille qui ne suit pas le chemin qui lui était tracé, qui se bat contre son destin et tout ce qui lui arrive. C’est l’apprentissage de la vie. C’est la prise en main de sa vie.

Note : 8/10

3 réflexions sur “Polina, danser sa vie – Regarder le monde”

  1. Juliette Binoche notamment, qui danse quotidiennement dans le cadre de sa discipline d’actrice – elle a notamment participe a un ballet pour Akram Khan –, pour le role de la choregraphe qui, a Aix-en-Provence, initie Polina a la danse contemporaine. Darren Aronofsky, par exemple, ou Natalie Portman fut souvent doublee, ils revaient aux pas aeriens de Fred Astaire et Ginger Rogers.

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