« Every career in politic, ends in failure. »
[Chaque carrière en politique se termine sur un échec.]
Golda est un thriller à suspense qui se déroule pendant les 19 jours tendus de la guerre du Yom Kippour en 1973. La Première ministre israélienne Golda Meir (Helen Mirren), confrontée au risque de destruction totale d’Israël, doit composer avec des obstacles écrasants, un cabinet sceptique et une relation complexe avec le secrétaire d’État américain Henry Kissinger (Liev Schreiber), avec des millions de vies en jeu. Son leadership ferme et sa compassion décideront en fin de compte du sort de sa nation et lui laisseront un héritage controversé dans le monde entier.
C’était un matin ensoleillé avec une douce brise encore estivale, mais tout de même accompagnée d’un soupçon de nostalgie aux effluves de pomme et de citrouille. J’entrai dans une petite salle intime avec une quarantaine (pas la pandémie, là. On reste avec moi. Okay?) de sièges sur lesquelles sont assises cinq personnes quasiment au triple de mon âge, en silence, fixant le modeste écran géant. Je m’assis fébrile d’être à un endroit que je sentie privilégié par un publique dont j’étais le mouton noir.
Devant les bancs de cinéma, une table était placée faisant face à l’écran également avec ce qui m’a semblé être un vieux micro d’époque au centre de la table. À sa gauche, il y avait un téléphone fixe avec des raccourcis pour rejoindre des lignes internes. La dame qui s’occupe de la projection s’avance et prend le téléphone; en regardant par-dessus nos têtes vers la fenêtre du projecteur, elle dit sérieusement : « Tu peux commencer ». Les lumières s’éteignirent, je me sentais comme dans un bunker militaire m’apprêtant à visionner des informations top secret. J’étais plus que prêt pour être dans l’atmosphère de ce qui allait suivre.
Ce chef-d’œuvre, réalisé par Guy Nattiv et écrit par Nicholas Martin, débute sur une déferlante de journaux et de reportages montrant comment les premiers soubresauts de vie de l’Israël furent déjà associés au combat et à l’exclusion. La myriade d’informations s’arrête sur 1973 qualifié d’un moment d’hubris de la part du pays naissant. Noir.
Ouverture sur une scène en noir et blanc très gros plan du visage de Golda, interprétée par l’époustouflante Helen Mirren. Un recul extrêmement lent accompagne le regain de couleur progressif de l’image. Déjà, son regard perce l’âme comme une balle de revolver. Une lourdeur pesante. Serait-ce le remords? Le remord qui accompagne celle qui dans la manifestation de son propre pouvoir aurait pu commettre des bavures, des erreurs, des fautes; quelque chose d’irréparable. Tout cela malgré qu’elle symbolise tout le contraire aux yeux des Israéliens (visions que je partage aussi). Il ne faut pas oublier le visage d’Helen Mirren franchement méconnaissable; l’effet spécial sur le visage est impressionnant. Des airs de Moonlight Sonata (Ludwig Van Beethoven) me préparent déjà à accorder mon violon intérieur à de possibles ruissellements de mes yeux.
Un tribunal, composé d’hommes, appelle une vieille dame fébrile à entrer et inonder de fumée de cigarette une salle vide et froide. L’appel à pour cause : « la non-action préventive de la part de la Première ministre face aux imminentes attaques ennemies qui coutèrent beaucoup de vies Israéliennes, de jeunes vies. » C’est ainsi que Golda entame le récit des événements à partir d’octobre 1973.
S’enchaînent ensuite les scènes comme Golda enchaîne les cigarettes entre chacune de ses répliques. La réalisation s’y prend minutieusement pour ne pas tomber dans le film de guerre. On reste dans les émotions, ou la planification stratégique, mais jamais la violence n’éclate au visage des spectateurs. Les scènes de combat et de guerre sont quasiment absentes si ce n’est que pour l’utilisation d’archives et d’un seul moment de combat vu de haut.
Tout est toujours fait de manière très suggestive. La musique devient dissonante; les lumières sont intenses ou clignotantes; des sons de bombes, de balles, de chars d’assaut, et d’autres, d’oiseaux apeurés. Par moment, David Lynch (Twin Peaks) lui-même paraît aux commandes tellement les agencements cinématographiques font perdre le Nord.
Le film prend aussi le temps d’afficher un fort sentiment de sororité entre Golda et les autres femmes qui l’entourent. Lou Kaddar, interprété par Camille Cottin, fait office de pilier pour sa patronne, mais aussi de baume grâce aux quelques fois où elle arrache un sourire sincère à une dame éprise de tourments incessants.
Malgré le monde « d’Hommes » qui se déploie tout au long de l’histoire racontée, le regard se porte sur un monde de femmes sensibles; de mères qui serrent les coudes dans l’adversité; de guerrières invincibles. Le rôle sensible à l’horreur de la guerre reste celui de Moshe Dayan, interprété avec Rami Heuberger, un général de confiance portant un patch noir sur l’œil gauche. Golda veut à tout prix le remettre sur pied (c’est ben clair! Elle voudrait sauver tout le monde si elle le pouvait).
Je me souviens d’un moment d’une frayeur inouïe lorsqu’un combat tourne mal et que le seul lien avec l’escouade se fait par l’entremise d’un système de communication radio. Les gens parlent en hébreux, pas de sous-titres et pourtant pas besoin (aussi je me rends compte à ce moment que les autres spectateurs comprennent la langue eux). Je me demandai à cet instant si cela aussi était des archives puisqu’elles s’intègrent au film à plusieurs niveaux et quelques fois avec une extrême subtilité.
Le film se termine sur ce qui semble être une vidéo d’archives de Golda et des Premiers ministres de l’alliance Syro-Égyptienne qui échange gaiement dans un pourparler mémorable et historique devant les caméras du monde entier. Mes lunettes s’emplirent de buée, tellement mon visage chaud se trempait à contempler tant d’affection déployée par des êtres qui quelques heures auparavant se seraient arraché la gorge (ironiquement, c’était moi qui se sentait déchiré). La misère de la guerre c’est tout de même les membres du peuple qui se prennent le revers de la main du pouvoir.
Le générique tardait et je n’en pouvais plus de retenir mes plaintes que je me concentrais à étouffer pour ne pas déranger les autres, sans savoir si eux aussi avaient l’impression que ce qui peut être beau et bon, peut aussi demeurer injuste.
Ces lignes-ci je les écris pour souligner une pensée… Toute action publique en est une politique. Si la situation israélo-palestinienne est quelque chose qui vous affecte mentalement ou philosophiquement ou même possiblement sur un niveau personnel; il vous faudra faire fi des quelques premières secondes du film qui passe rapidement en victoire Israélienne à l’écran; un évènement peut-être encore troublant ou traumatisant pour certains. Golda dépeint aussi à un moment les Russes comme étant des gens de l’Ukraine qui battaient les Juifs pour le plaisir. Bien sûr, même pour les gens de 1974, c’était une autre époque. N’empêche que ce sont tout de même des dires qui ont un poids indéniable dans notre société actuelle.
Golda est une œuvre magnifique, le souffle court, je suis sorti de la salle, bouleversé. Je suis sensible, les juifs aussi sont sensibles; et les Arabes; et tous les autres (« Toutes les affaires » comme me dirait ma mère évoquant les rires de mon enfance). J’imagine que le mot que j’ai pour résumer ce film c’est : Le Pardon. En revenant, j’ai croisé une vieille dame, portrait craché de Golda à un détail près; elle avait un patch sur l’œil gauche. La vie parfois c’est beau même quand c’est laid et vice versa. Je vous laisse sur une pensée poétique de Machine sensible qui questionne la répétition d’erreurs passées comme seul réel obstacle au renouveau.
Il n’y a de mal dans le renouveau que les hiers oubliés; la folie de reprendre une danse sur le faux pas resté sous nos semelles usées.
Machine Sensible (un auteur inconnu)
Bande-annonce
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