« Dreams come true in time…
occasionally in 4:4 time. »
[Les rêves se réalisent souvent à temps…
Parfois même en 4/4.]
Dreamin’ Wild raconte l’histoire vraie de la famille Emerson et des bouleversements qui ont suivi le succès de l’album pop-funk éponyme qu’ils ont enregistré eux-mêmes et qui est passé largement inaperçu jusqu’à ce que les critiques le redécouvrent et le réapprécient des décennies plus tard. Aujourd’hui adulte, Donnie est contraint d’affronter les fantômes du passé et de faire face au fardeau émotionnel de ses rêves qui pèse sur la famille qui l’a soutenu.
S’il ne réinvente pas la roue (ou dans ce cas-ci, les films biographiques sur des artistes musicaux), Bill Pohlad (qui n’est pas étranger aux films de ce genre, ayant notamment réalisé Love and Mercy sur Brian Wilson des Beach Boys) réussit avec Dreamin’ Wild à livrer une œuvre à la fois formellement conservatrice, à la fois rafraichissante dans son refus de nous imposer des artifices superficiels.
Dreamin’ Wild est le seul album officiel du duo Donnie and Joe Emerson, et est le fruit d’images et influences résolument inspirées des années 1970. Sans nécessairement être un pastiche de surface, l’album frappe avant tout par son manque relatif d’envie de se concentrer sur un seul style musical épuré, ce qui n’a sans doute pas rien à voir avec l’âge de ses artisans au moment de l’enregistrement de l’album (15 et 17 ans pour Donnie et Joe, respectivement). Passant aisément de la ballade soft rock au rock and roll des années 1950 en passant par le funk et la blue-eyed soul (surnom d’époque de genre donné aux albums de soul et R&B enregistré par des artistes blancs de classe moyenne), il représente un effort concis de courtes chansons de qualité. Si l’album eût un succès relatif lors de sa sortie, le momentum des deux frères s’essouffla vite lorsqu’il fut convenu par les labels musicaux que Donnie Emerson, principal compositeur de l’album, serait surtout populaire en tant qu’artiste solo. Refusant ce compromis, ce dernier dissout le groupe et lance un studio d’enregistrement, pour finalement ne jamais retrouver le succès de sa jeunesse. Une quarantaine d’années plus tard, un représentant de Light in the Attic, label spécialisé dans la réédition d’albums ignorés à leur sortie, trouve une copie de l’album dans la section à rabais d’une vente de disques.
Avant tout, le film représente un vent de fraîcheur dans un genre cinématographique relativement saturé. Le style du film biographique musical suit souvent la même formule, soit celle du rise and fall de l’artiste ou du groupe dont il est question : un artiste a de grands rêves, se fait repêcher par un producteur douteux, connait la gloire, puis la drogue, tente vainement de reproduire son succès de jeunesse, puis fait sa paix avec l’idée qu’il s’agissait d’un bonheur éphémère (ou, s’il s’agit d’un film sur le jazz, meurt d’une surdose d’héroïne).
Si Dreamin’ Wild passe tout de même une bonne partie du film à contextualiser l’enregistrement de l’album éponyme et le relatif succès qui suivit, le tout est surtout montré sous la forme de courts flashbacks que Donnie Emerson subit. Ce dernier, joué par Casey Affleck qui livre une excellente performance à la fois tranquille et tragique, se pose une myriade de questions suite au renouveau de succès de l’album qu’il a enregistré quarante ans auparavant : pourquoi maintenant? Pourquoi pas à l’époque? Devrait-on embrasser un succès tardif, considérant à quel point nous avons changé depuis? N’est-ce pas ce que nous voulions tout ce temps, donc mieux vaut tard que jamais? Peut-être serions-nous mieux d’utiliser cette occasion pour faire la paix avec ce passé douloureux?
Ce sont des questions qui pèsent sur Donnie, dont l’album représente majoritairement le fruit intellectuel et sur qui le film se concentre davantage malgré le fait que le groupe soit un duo. En ce sens, il est rafraîchissant que le passé de l’artiste soit surtout utilisé pour contextualiser les démons auxquels celui-ci fait face dans le présent plutôt que de livrer un récit linéaire et prévisible. Accompagné d’une très bonne bande-son surtout composée des « succès » du groupe, Dreamin’ Wild est un film tranquille, qui s’exprime dans la lenteur et la plénitude, émotions renforcées par le contexte et les paysages ruraux de la petite ville où les deux frères ont grandi. Voyez-y davantage un compagnon spirituel à Manchester by the Sea que Elvis : Dreamin’ Wild raconte davantage une histoire déchirante de regrets, du poids émotionnel que notre nostalgie peut nous infliger ainsi que la douleur qui s’en suit.
Toutes ces qualités, qui sont élevées par les excellentes performances de ses acteurs de soutien (notamment Walton Goggins dans le rôle de Joe Emerson ainsi que Beau Bridges dans le rôle du patriarche Emerson) font de Dreamin’ Wild un film qui, s’il passera à mon sens relativement (et malheureusement) inaperçu, représente tout de même une petite perle du genre biographique musical, vent de fraîcheur dans un paysage saturé d’artifices superficiels et de musique bombastique. À voir dans un fauteuil berçant, chocolat chaud à la main.
Bande-annonce
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