« Your ring device is in setup mode. »
[Votre sonnette est en mode configuration.]
Eerie est un mot anglais qui n’a pas vraiment d’équivalence dans la langue française. Sa définition la plus simple est étrange et épeurant. Sa traduction la plus proche serait sinistre, ce qui n’est pas exactement ça. Eerie est cette étrangeté qui fait peur, comme la sensation d’être observé dans une pièce vide ou comme voir quelque chose bouger dans la noirceur pour ensuite réaliser qu’il n’y avait rien du tout une fois la lumière allumée.
C’est le mot qui convient très bien pour décrire cet essai qu’est Home Invasion. Cependant, ne vous attendez pas à visionner un film d’horreur typique. Car ce film est en fait un documentaire sur l’histoire de la sonnette, son invention et ses constantes réinventions du 19e siècle, en passant par le labeur des ouvriers, les débuts de la narration du cinéma et la culture de surveillance maintenant établie dans notre société. Ce qui aurait pu être un banal documentaire devient une expérience étrange et épeurante (eerie), nous amenant à réfléchir sur ces technologies du quotidien.
Le film est entièrement filmé du point de vue d’un judas de porte. Des images d’archives ou prélevées de vidéo surveillance défilent devant nos yeux, comme si on observait le tout de derrière notre porte, dans le confort de notre maison. Mais l’univers créé par le réalisateur est tout sauf confortable. En plus de ce point de vue restreint, la narration du film est à l’écrit seulement, ce qui nous empêche de détourner le regard afin de ne manquer aucune information. L’ambiance sonore est riche et angoissante, digne d’une trame sonore d’un film horreur, nous gardant constamment en alerte. Le réalisateur fait ainsi un tour de force, car il joue avec certains codes et clichés du cinéma d’horreur, de sorte que le spectateur génère lui-même sa propre peur. Nous attendons un sursaut qui ne viendra jamais et cette technique est particulièrement frappante dans la dernière section du documentaire.
Le visuel œil de poisson (fish-eye) du judas peut rendre le texte un peu difficile à lire par moment et pourrait ennuyer certains spectateurs qui ne sont pas fans de lire au cinéma. Heureusement, les histoires sont fascinantes et le texte est écrit avec rythme, nous permettant de nous immerger dans le récit.
Certaines sections du documentaire sont toutefois inégales. La section sur D.W. Griffith est sans doute la moins bien maîtrisée. L’histoire sur la naissance du montage parallèle est intéressante, cependant, les images utilisées ne sont peut-être pas les mieux choisies. Le réalisateur utilise des extraits de films tout au long du segment et, si vous êtes comme moi, cela vous sortira du récit puisque vous passerez votre temps à vous demander de quel film provient l’extrait en question.
La section sur les luddites est probablement la plus marquante, car elle relate un mouvement et une révolte méconnus. On y apprend qu’en 1811 des ouvriers du textile ont protesté contre l’implantation de machines à tisser, qui forçait plusieurs travailleurs à la rue et rendait la qualité du tissu moindre. Un enjeu toujours d’actualité 200 ans plus tard, qui nous questionne sur notre relation avec le progrès. Est-ce que la technologie nous fait plus de bien que de mal ou plus de mal que de bien?
La technologie n’est pas mauvaise en soi. Elle nous a permis des avancées extraordinaires, que ce soit au niveau de la santé, des communications, du transport, etc. Cependant, Home Invasion lève le doigt et pose la question : est-ce que la technologie est vraiment au service de la population? Sommes-nous en contrôle ou est-ce que nous sommes contrôlés par ces innovations technologiques?
Et vous? Êtes-vous en contrôle?
Home invasion est présenté au festival Fantasia les 29 juillet et 1er août 2023.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième