« It was nouveau riche, but everyone was dirt poor. »
[C’était le nouveau riche, mais tout le monde était incroyablement pauvre.]
Surgie des cendres nihilistes du mouvement punk à la fin des années 1970, une nouvelle foule de fashionistas flamboyantes, que l’on baptisera plus tard les Nouveaux Romantiques, commence à se matérialiser dans les rues de Londres. En réponse à l’anarchie de la mode qui les avait précédés, les New Romantics s’habillaient de manière sophistiquée et non conforme au genre, que ce soit pour une soirée en ville ou pour faire les magasins du coin. Alors qu’on se souvient souvent d’eux comme d’un phénomène pop-culturel éphémère, ce documentaire revigorant positionne fermement les Nouveaux Romantiques comme un mouvement artistique pluridisciplinaire, englobant la mode, la performance, la musique et le cinéma.
Parallèlement à cette recontextualisation culturelle, le réalisateur Kevin Hegge met en lumière certains des pionniers les moins connus du mouvement (oubliez le Spandau Ballet), tout en centrant fièrement les histoires LGBTQIA+ qui sont si souvent effacées de l’histoire.
Au fil des décennies, le mouvement punk a pris plusieurs formes et revendiqué différentes idéologies, mais il n’aura jamais été aussi coloré et extravagant que pendant la période des Nouveaux Romantiques. Ce groupe formé par de jeunes londonien.es fréquentant les mêmes boites de nuits et vivant bien souvent en commune est aujourd’hui reconnu pour l’effervescence artistique qu’il a engendrée ainsi que sa contribution significative à la culture queer.
Le parrain du mouvement, celui qui a inspiré son esthétique et son énergie provocatrice, c’est David Bowie. Avec ses costumes extravagants qui mélangent plusieurs styles et cultures, il a ouvert la voie vers une approche décomplexée, presque provocatrice, de la mode et du genre. Provocatrice puisque la recherche perpétuelle d’originalité peut repousser les tenues jusqu’aux confins de l’audace, un endroit où le style rencontre souvent le mauvais goût et le kitsch.
Il serait naïf de croire que ces choix vestimentaires sont seulement motivés par la recherche d’attention ou le désir d’expression individuelle. Chaque personne s’explique ces choix avec ses propres raisons et motivations. Pour certain.es, les costumes bouffis et maquillages épais servent à cacher leur vulnérabilité, à dissimuler (symboliquement) leur corps nu (qui, ironiquement, est bien souvent dévoilé littéralement par contre).
Ce qui est particulier quand on voit ces jeunes au mode de vie radicalement différent, c’est qu’on réalise que ça n’a pas tellement changé depuis. Encore aujourd’hui, les artistes jouent avec les limites du genre et du mauvais goût, provoquant inévitablement des réactions du grand public. Pour les puritains qui se scandalisent aujourd’hui devant le personnage public d’Hubert Lenoir, ce documentaire est le meilleur témoin que les artistes que l’on considère comme des illuminés en manque d’attention à une époque deviennent souvent des icônes aux idées fondatrices pour une prochaine génération.
Puisque David Bowie n’a jamais entièrement fait partie du groupe des Nouveaux Romantiques, on peut considérer que ses figures les plus connues sont plutôt Boy George (du groupe Culture Beat) et Steve Strange (du groupe Visage). Malheureusement, la trame sonore du film n’inclut pas de chansons de l’époque qui nous permettrait de mieux situer leur style musical et leur contribution à l’industrie. Il s’agit probablement plus d’une question légale et pratique qu’un choix de réalisation (les droits musicaux étant souvent excessivement chers), mais il est dommage de ne pas avoir accès à un aspect aussi essentiel de l’identité culturelle des Nouveaux Romantiques.
Ce groupe de jeunes londonien.es composé en majorité d’artistes multidisciplinaires comptait parmi ses rangs plusieurs cinéastes et photographes qui ont capté de magnifiques images qui nous sont présentées sous forme d’archives.
Mis à part les archives, le documentaire est uniquement constitué d’entrevues en tête parlantes (talking head). Ainsi, Tramps! ne se distingue pas par son audace formelle, abordant plutôt la voix de la sobriété pour laisser toute la place aux témoignages des membres de ce mouvement toujours en vie. Heureusement, malgré leur âge avancé, ces personnes n’ont rien perdu de leur humour et leur excentricité.
La trame narrative est linéaire et sans éclats, on suit la vie du groupe de sa création jusqu’à sa dissolution graduelle. La majorité des récits qui nous sont présentés sont assez anecdotiques, adoptant un ton plus léger et humoristique. Cela ne veut pas dire pour autant que le film manque de profondeur ou de moment plus dramatique. Par exemple, une des raisons qui explique la disparition des Nouveaux Romantiques, c’est la crise du sida des années 80, qui fût particulièrement dévastatrice pour ce groupe.
La pertinence de ce documentaire réside non seulement dans la mise en valeur d’archives, mais également, à travers des entrevues avec ces personnes dont la parole aurait pu disparaître sans être entendue, un travail de captation de la mémoire. Maintenant que la voix et les idées de ces pionniers sont cristallisées, on peut observer plus aisément l’ampleur de leur influence sur l’art, que ce soit la performance, la musique, la photographie ou le plus récent art du drag. Tramps! est un doux rappel que ce sont les gens de la marge qui sont souvent à l’origine des bouleversements politiques et culturels, que l’excentricité n’a rien de futile. Au contraire, elle peut devenir moteur de changement.
Bande-annonce
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