Poursuivons avec cette sélection de titres que j’aurais aimé voir portés à l’écran. Je rappelle que l’inspiration pour cet article m’est venue de mon collègue David, et que la première partie de mon top se retrouve en suivant ce lien.
Sans plus attendre, voici le reste des titres.
Ce n’est un secret pour personne que Pierre Falardeau a toujours eu de la difficulté à faire aboutir ses projets de fiction. De 1981 à 1985, il gagne sa vie en travaillant sur trois courts-métrages mettant en vedette son personnage culte d’Elvis Gratton. En 1985, ces films sont rassemblés en une anthologie qui sort en salle. Elvis Gratton : le King des Kings – donc le premier long-métrage de fiction de Falardeau – est un succès auprès des spectateurs et le protagoniste entre immédiatement dans la culture populaire québécoise. Malheureusement, cette réussite ne garantit pas à Falardeau le soutien des organismes culturels, bien qu’il ait été plébiscité par le public. Le cinéaste mettra quatre ans à sortir Le Party (1989), puis un autre cinq ans pour terminer Octobre (1994) et encore sept ans pour enfin boucler 15 février 1839 (2001), bien qu’il aurait été prêt à tourner ce dernier dès 1995. Ces longs délais entre les périodes de tournage sont peut-être dus à de l’ingérence politique. Après tout, des politiciens fédéraux — surtout le sénateur Philippe Gigantès — demandent publiquement à ce que Falardeau soit censuré. Il est du moins indéniable que ses contemporains moins revendicateurs ont l’occasion de tourner plus souvent que lui. Pour aider à financer ses fictions dramatiques, et possiblement pour s’assurer un revenu minimal, Falardeau réalise deux suites à Elvis Gratton, en 1999 et en 2004. Les bonnes recettes du troisième opus — qui rapporte presque deux millions au box-office — et la vente des droits d’Elvis Gratton à des producteurs de télévision offrent un peu de latitude financière à Falardeau, en plus de prouver aux institutions qu’il peut toujours être « rentable ».
En 2004, avec le mince espoir d’être cette fois subventionné à la hauteur de ce qu’il mérite, Falardeau commence à travailler sur ce qui aurait pu être son long-métrage le plus ambitieux : Le jardinier des Molson, qui se serait déroulé durant la Première Guerre mondiale. Le synopsis va comme suit…Vers la fin de 1918, dans le nord de la France, les soldats du royal 22e régiment montent en première ligne. La section du sergent Jules Simard, soit une quinzaine d’hommes, est chargée d’occuper un poste avancé. Les soldats découvrent, avec angoisse, que les Allemands sont en train de creuser une mine sous la position pour la faire sauter. Quatre jours avant d’être relevés! Quatre jours et quatre nuits interminables à attendre la relève. Ou l’explosion…
Si cette idée s’était concrétisée, cela aurait permis à Falardeau de finaliser un triptyque dédié au passé québécois, amorcé avec Octobre et 15 février. Il aurait fait trois films historiques dénonçant trois graves injustices de notre histoire : la pendaison des Patriotes en 1839 (ainsi que la ratification de l’Acte d’Union de 1840), l’imposition de la conscription durant la Grande Guerre et l’utilisation abusive de la Loi sur les mesures de guerre en 1970. Trois moments où la loi martiale a été décrétée au Québec et où les institutions coloniales britanniques/canadiennes ont révélé leur vrai visage. Par ailleurs, la rébellion des Patriotes, les crises de la conscription pendant les deux conflits mondiaux et la Crise d’Octobre sont trois épisodes de notre histoire qui ont contribué à développer un sentiment national, voire souverainiste, au Québec. Le jardinier des Molson — qui montre des fils de pauvres exploités par les riches puis envoyés en Europe pour servir de chair à canon — aurait également représenté une nouvelle charge de Falardeau contre la bourgeoisie capitaliste montréalaise, le titre étant déjà assez évocateur à ce sujet. Par ailleurs, avec Le Party et Octobre, Falardeau a aussi montré qu’il était capable d’écrire des scénarios anxiogènes. Cette maitrise du suspense auraitbien été mise à contribution s’il avait pu tourner son ultime opus. Malheureusement, l’auteur a assez vite compris qu’il ne serait jamais en mesure de vendre ce film. À vrai dire, dans les deux ou trois dernières années précédant son départ prématuré, il avait l’habitude de référer à « l’époque où on le laissait faire des films » au passé, laissant entendre qu’il considérait sa carrière de réalisateur comme terminée. À titre personnel, Le jardinier des Molson est le film de la liste que j’aurais le plus aimé voir.
Blood Meridian est paru en 1985 et est l’un des romans les plus célèbres de l’écrivain américain Cormac McCarthy, l’auteur de No Country for Old Men et The Road. Ces deux derniers livres ont connu des versions cinématographiques, mais pas Blood Meridian, bien que, depuis trente ans, des cinéastes majeurs s’y soient intéressés. Ridley Scott, Martin Scorsese, Tommy Lee Jones et John Hilcoat – qui est derrière l’adaptation de The Road – ont tour à tour manifesté leur intention de porter à l’écran le roman, mais cela ne s’est jamais concrétisé. En tout respect pour ces grands noms du cinéma hollywoodien, j’aurais surtout voulu voir ce que Todd Field aurait fait de l’œuvre originale.
J’ai une grande affection pour cet auteur, sa plus récente production s’est retrouvée dans mon top 5 de 2022. Dans In the Bedroom et Little Children, Field s’est employé à représenter des sujets tabous, comme la déviance sexuelle et le meurtre, avec une sobriété efficace. Son style aurait bien convenu à la perversion qui caractérise le livre. McCarthy et Field ont aussi en commun de proposer des univers sombres et désespérants au possible. Pendant trois ans, de 2006 à 2009, Field a tenté de faire avancer le film, mais il n’a jamais dépassé le stade du développement. Il faut dire que l’extrême violence des évènements relatés dans le livre, de même que sa prose dense et complexe, rendent difficile toute tentative d’adaptation, aucun studio n’ayant le courage de financer une entreprise qui risquerait à ce point d’aliéner le public. Cette situation peut cependant être positive, dans la mesure où James Franco n’aura jamais l’occasion de tourner son Blood Meridian, qui n’aurait sûrement pas été autre chose qu’un monument à son égo surdimensionné. L’acteur a en effet essayé d’acquérir les droits du livre pendant la majeure partie de la décennie 2010, heureusement sans y parvenir.
La cinéaste britannique s’est d’abord fait connaître pour son style naturaliste, surtout présent dans l’excellent Rat catcher, son premier long-métrage. Elle a ensuite développé une approche beaucoup plus « champ gauche ». Son dernier long-métrage, You Were Never Really Here est un trip esthétique mêlant une intrigue inspirée du film noir à une mise en scène onirique et impressionniste. Depuis 2012, en parallèle de ses autres projets, Ramsay cherche aussi à adapter le roman américain Moby-Dick, mais en en situant l’intrigue… dans l’espace!
L’autrice a confié vouloir s’inspirer du film de guerre allemand Das Boot, un huis clos se déroulant dans un sous-marin, pour la mise en scène de son Moby-Dick. On devine donc que le film prendrait place sur un vaisseau décrépit et étouffant. Par ailleurs, Ramsay a aussi indiqué que, selon elle, le capitaine Achab est le vrai monstre de l’histoire. Son scénario le présenterait donc comme un être obsessionnel et antipathique. Et, bien entendu, imaginer la célèbre baleine blanche en immense créature spatiale fait rêver, surtout filmée par Ramsay, avec l’imagerie surréaliste qui caractérise sa filmographie récente.
En 2013, Denys Arcand fait paraître chez Leméac un court roman, sous la forme d’un monologue, intitulé Euchariste Moisan. Moisan est le protagoniste du roman Trente arpents, écrit par Philippe Panneton en 1938, un récit du terroir tragique qui raconte comment un cultivateur canadien-français est dépossédé de sa ferme et termine ses jours comme gardien de nuit dans une usine américaine. Lorsqu’Arcand a lu le roman, il est immédiatement tombé sous le charme et a répété à quelques reprises qu’il souhaiterait en faire un long-métrage ou une série télévisée. Dix ans plus tard, il semble être passé à autre chose.
C’est bien dommage, car la plupart des thèmes de prédilection d’Arcand se retrouvent dans l’oeuvre de Panneton. D’abord, Arcand est historien de formation, il semble donc tout naturel pour lui de tourner un film historique. Ensuite, l’auteur s’est toujours intéressé à la « condition canadienne-française » – pour Arcand, nous sommes toujours des Canadiens-français, pas des Québécois. Trente arpents explore justement les racines agricoles et ouvrières de notre peuple, en plus d’aborder la peur de la disparition culturelle, qui nous habite depuis la Conquête. Enfin, le roman parle de la tension entre mode de vie ancien et modernité, une opposition au coeur du cinéma d’Arcand.
Après avoir publié Euchariste Moisan, le cinéaste a réalisé trois autres films — Le règne de la beauté, La chute de l’empire américain et Testament, qui sortira cet automne — dont le principal mérite est de nous rappeler à quel point il aurait été préférable qu’il s’attaque à Trente arpents et finisse sa carrière là-dessus. Il aurait été formidable de voir Arcand représenter à l’écran ce passé, dont l’idée jalonne toute son œuvre, plutôt que de se livrer à des tentatives de provocation de plus en plus insignifiantes. J’ajoute que je ne suis pas un détracteur d’Arcand, mais plutôt un immense admirateur de son travail. Cependant, qui aime bien, châtie bien. Je caresse toujours l’espoir qu’Arcand remette Trente arpents sur les rails et en fasse un magnum opus digne de son œuvre.
Comment est-il possible que des films aussi réussis qu’Alien, de Ridley Scott, et Aliens, de James Cameron, aient donné lieu à des suites aussi pitoyables? Depuis 1992, nous avons eu le déplaisir de voir deux suites directes à Aliens (ALIEN³, Alien : Resurrection), deux Alien VS Predator et deux Prometheus, des antépisodes à Alien premier du nom, tous ces titres rivalisant de médiocrité. Si les deux premiers opus ont montré que la science-fiction hollywoodienne peut être sérieuse et bien faite, les multiples suites semblent déterminées à prouver l’inverse.
C’est pourquoi, autour de 2015-2016, le réalisateur d’origine sud-africaine Neill Bloomkamp — qui s’est fait connaître avec District 9 — a commencé à faire des démarches pour réaliser une suite directe à Aliens, qui aurait effacé de la continuité tous les autres films médiocres. Peu de détails sont connus sur ce qu’aurait été le Alien de Bloomkamp, mais on sait qu’il aurait ramené les trois personnages survivants du film de Cameron : Ellen Ripley, le Lieutenant Hicks et la petite Newt, une enfant que les deux adultes prennent sous leur aile. La mort hors champ de ce personnage, au début de ALIEN³, a déçu plusieurs spectateurs, James Cameron en tête de liste. Sigourney Weaver aurait accepté de reprendre son rôle de Ripley. Gageons aussi que le film aurait été plus sombre et moins décérébré que les Alien VS Predator. Avec ce film, Bloomkamp aurait pu corriger toutes les erreurs de la saga et repartir sur de nouvelles bases. Mais, alors qu’il allait amorcer la production, Fox a décidé subitement de lui couper les vivres, prétextant ne pas vouloir entrer en conflit avec une éventuelle suite à Prometheus. Comme si l’annulation de Alien V n’était pas assez insultante en soi pour Bloomkamp et les fans, il fallait en plus que Prometheus en soit le prétexte.
Quelques années avant son décès tragique, Vallée avait déjà fait une croix sur son projet de biopic sur la chanteuse Janis Joplin. En 2014, la talentueuse Amy Adams avait pourtant été annoncée dans le rôle-titre et Vallée était alors auréolé du succès de Dallas Buyers Club, un triomphe critique et financier. Pourtant, en 2017, le Québécois a tabletté son film et s’est plutôt attelé à la réalisation de l’excellente série Sharp Objects, mettant Adams en vedette. Il est très décevant qu’un mélomane comme Vallée n’ait jamais pu faire un film sur le monde de la musique. Et il suffit de revoir Wild pour se convaincre que Vallée aurait été en mesure de bien représenter la psychologie de Joplin, une personnalité très forte et farouche, mais qui pouvait parfois être fragile.
Impossible de dire si Vallée aurait pu, un jour, dépoussiérer le scénario sur Joplin. On sait par contre que sa mort nous a aussi privés du film sur Yoko Ono et John Lennon qu’il préparait. Par ailleurs, en 2018, Vallée a refusé l’offre de EON production qui lui offrait de réaliser No Time To Die, le dernier James Bond de Daniel Craig. J’aurais bien aimé voir ce que Vallée aurait fait du personnage. Hélas, la vie en a voulu autrement.
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