« Combien de temps encore son souvenir… restera-t-il dans mon esprit? »
Situé au milieu de la violence politique de la fin des années 1960 en Indonésie, le film suit Nana (Happy Salma), la belle épouse d’un riche propriétaire de plantation, dont la vie intérieure reste avec son premier mari décédé, assassiné pendant la guerre civile une décennie auparavant. Survivante, Nana tient à sa sécurité et à son confort matériel, mais mène une existence hantée, rêvant de son amour perdu. Forcée de faire face à l’infidélité flagrante de son mari (Arswendy Bening Swara), Nana noue une relation inhabituelle avec la jeune maîtresse de celui-ci, Ino (Laura Basuki). Les deux femmes, partageant leurs secrets et leurs désirs, découvrent une liberté et une intimité retrouvées qui leur sont refusées à toutes les deux par les restrictions de la société patriarcale.
Encadré par une cinématographie élégante et une partition luxuriante, Une femme indonésienne (Nana) est une étude lyrique focalisant sur les personnages et envoutante dans la lignée de Wong Kar-wai. Le film de Kamila Andini est rempli d’une mélancolie poétique.
L’image et le son sont primordiaux dans Une femme indonésienne. Ils servent à exprimer les émotions et l’anxiété de Nana. Ce long métrage parle des secrets d’une femme – de la façon dont elle cache ses problèmes. Il localise les circonstances politiques, les problèmes domestiques, les angoisses et le bonheur personnel dans de petits événements quotidiens. Les cheveux deviennent une métaphore contraignante pour les femmes tout au long de l’histoire.
Les séquences de rêve de Nana misent particulièrement sur une image vivante, aux couleurs qui ressortent, avec une musique vibrante et tragique. Ces scènes se rapprochent autant que possible du cinéma d’horreur, sans y basculer. Chacune de ces séquences sert principalement à montrer en quoi la vie actuelle de Nana ne la rend pas heureuse.
Dans les moments de réalisme social, on retrouve plutôt une Nana au visage stoïque, clairement malheureuse. Mais elle fait tous les efforts nécessaires pour sauver l’image du couple dans lequel tout va bien. Cette nécessité qu’avaient les femmes de garder pour elles leurs problèmes revient à plusieurs reprises. En fait, c’est l’essence même du film. À un moment, sa fille lui demande pourquoi les femmes doivent avoir les cheveux longs et noués en toque ou en buns. Nana explique à sa fillette que c’est pour qu’une femme puisse cacher ses secrets sous ses cheveux.
C’est probablement le moment où le spectateur comprend que Nana ne pourra jamais être vraiment heureuse. Cela étant dit, jamais le film ne tombe dans le mélodrame. L’histoire est bien dosée entre mélancolie et résilience. On pourrait le voir comme une dénonciation de la situation des femmes à cette époque et dans une certaine mesure, aujourd’hui.
Une femme indonésienne (Nana) est l’histoire d’une femme victime d’une époque – la guerre, la politique, la rébellion et la société patriarcale – et qui veut trouver le sens de sa propre liberté, en tant que femme. Afin de survivre à cette vie qu’elle n’a pas choisie, elle noue une amitié avec l’une des maîtresses de son mari, car c’est le seul moyen pour elle d’obtenir du soutien.
Afin de montrer ce désir de liberté, la réalisatrice fait, en quelque sorte, entrer le monde extérieur dans la maison, recherchant la liberté dans les espaces les plus réduits et révélant l’histoire des petits objets, notamment à travers les cheveux et le corps des femmes. Une femme doit exceller à garder des secrets, à la fois les siens et ceux de sa famille. S’il y a un problème, elle le cache derrière ses cheveux.
C’est aussi l’époque dans laquelle une femme devait être mariée, et qu’elle n’avait pas toujours le luxe de choisir avec qui. Nana a été choisie par un homme riche et plus vieux alors que son mari était porté disparu pendant cette guerre de libération. Il est flagrant qu’elle ne l’aime pas, mais qu’elle reste avec lui pour pouvoir exister dans la société.
À l’opposé, le personnage d’Ino est une femme seule, qui doit se débrouiller pour travailler et survivre. Ainsi, elle est bouchère, mais elle a un amant riche qui l’aide à subvenir à ses besoins.
Les scènes les plus douces du film sont, ironiquement, lorsque Nana et Ino se retrouvent seules, ensemble, à pouvoir discuter de leurs vies respectives. Une belle façon de montrer que peu importe la situation d’une femme à cette époque, rien n’était facile.
Une femme indonésienne est un film d’époque envoutant, tout en douceur malgré un sujet difficile, et aux compositions subtiles. Le mélange entre la musique et l’image amène le film à un autre niveau.
Si ce n’était de la faible qualité du jeu des personnages secondaires, ce film serait un petit chef-d’œuvre. Heureusement, les deux femmes sont justes, efficaces et touchantes.
Ce long métrage reste donc une œuvre à ne pas manquer, ne serait-ce que pour s’éduquer sur une époque et une culture que peu d’entre nous connaissent bien.
Une femme indonésienne (Nana) est présenté au FCMS les 7 et 13 avril 2023.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième