« In their clothes, they capture the transience of colors, that are about to change. »
[Dans leurs vêtements, ils captent la fugacité des couleurs, qui sont sur le point de changer.]
Créée par un couple de dessinateurs de mode japonais, la marque de vêtements Matohu fusionne des modèles innovants avec le concept traditionnel japonais de la beauté. Mantles of Transcience vous emmène de leur atelier à la nature, où ils trouvent leur inspiration. Leur but? Mettre en valeur la beauté cachée dans la vie quotidienne, que l’on a tendance à négliger.
Avec Mantles of Transience (うつろいの時をまとう), Nagaru Miyake (三宅流) propose un documentaire passionnant non seulement sur la mode, mais sur la philosophie japonaise. Je n’aurais jamais cru qu’un documentaire sur une marque de vêtements pourrait m’intéresser à ce point.
Dans son film, Nagaru Miyake présente Matohu, l’entreprise de mode de Hiroyuki Horihata (堀畑裕之) et Makiko Sekiguchi (関口真希子). Matohu est une marque de vêtements qui crée des styles uniques basés sur le concept de l’esthétique japonaise. Ce documentaire redécouvre la beauté et la richesse cachées de la vie quotidienne à travers les perspectives et les philosophies des designers Hiroyuki Horihata et Makiko Sekiguchi.
Derrière le portrait des artistes, c’est aussi une ode à l’appréciation des petites choses qui peuplent notre quotidien. Les taches sur les murs en béton, la myriade de dégradés de couleurs que vous voyez lorsque vous regardez le ciel tôt le matin avant le lever du soleil, les feuilles mortes colorées soufflées en tas et les marches des ponts piétonniers sont toutes des sources d’inspirations pour le duo.
La première partie du film nous amène donc sur la route de la découverte des créateurs. « Nous tournons nos yeux vers des paysages et des objets familiers, et transformons l’inspiration que nous en tirons en “mots” et les sublimons en vêtements. » À travers leurs créations, on retrouve le « regard sur les choses » nourries par le peuple japonais au cours de sa longue histoire, et la perspective de découvrir une beauté souvent inaperçue.
C’est ainsi sur une période de 5 ans que Miyake réalise Mantles of Transience. Un total de 190 heures de film, tourné sur 8 jours, réparties sur 5 ans. Disons que c’est le genre de projet qui demande beaucoup de ténacité.
Malgré ces longs écarts de temps pendant le tournage, le réalisateur réussit à créer une œuvre qui se tient. Honnêtement, si on m’avait dit que le film avait été tourné sur une période d’un an, je l’aurais cru.
Si la première partie met l’accent sur la vision d’Hiroyuki Horihata et Makiko Sekiguchi, racontée par eux-mêmes, la seconde partie, elle, montre la vision des clients. Normalement, je dirais qu’on n’en a rien à faire de la vision du client. Mais ici, ça a toute son importance. Pourquoi? Parce que ce que le film veut montrer, c’est en quoi les vêtements de Matohu sont différents de ceux des autres créateurs de mode. D’ailleurs, les 3 intervenants choisis par le réalisateur ne sont pas les premiers venus. Ils sont franchement pertinents. Voici pourquoi.
Le premier qu’on rencontre est Akito Akagi (赤木 明登). C’est un Peintre diplômé du Département de Philosophie, qui après avoir travaillé comme éditeur, est devenu un artisan qui se spécialise en laque Wajima. En plus d’utiliser les vêtements du duo parce qu’ils mélangent le traditionnel au moderne, il a été une inspiration pour Matohu. Une de leurs collections est basée sur cette technique de laque et du style de lignes que cela procure.
Le second qu’on rencontre est Reijiro Tsumura (津村 禮次郎), un acteur de Nô. C’est de lui qu’est venu le projet de faire un film sur Matohu.
« J’ai rencontré Matohu pour la première fois lorsque je tournais mon précédent film documentaire, Dancing Traveler: A Portrait of Noh Actor Reijiro Tsumura. Lorsque M. Tsumura, un acteur de Nô, a joué du Noh classique, il portait un costume conçu par Matohu en combinaison avec un costume de Noh traditionnel. J’ai été choqué par cela. Les costumes traditionnels de Noh sont généralement utilisés dans les spectacles de Noh classique, et il était impensable de porter des costumes créés par des créateurs de mode modernes. De plus, les costumes Matohu de l’époque se fondaient très naturellement dans les costumes traditionnels du Nô. »
C’est probablement dans l’entretien avec l’homme vénérable que le spectateur peut réellement prendre conscience de l’audace du duo de créateurs de vêtements.
La troisième intervenante est Sho Otaka (大高 翔), une poète haïku. Depuis 2010, la poète organise des ateliers à l’étranger pour transmettre l’attrait de la culture japonaise. C’est en voulant se distinguer des autres « apôtres de la culture japonaise » qu’elle a commencé à s’intéresser aux créations de Matohu. Elle cherchait des vêtements qui lui permettraient de mettre de l’avant la tradition de son pays, tout en montrant aussi la modernité. La majorité utilisant le kimono traditionnel pour promouvoir la culture du Japon, elle a décidé d’y aller des vêtements de Matohu.
Mantles of Transience est vraiment différent des films de modes habituels. En effet, plutôt que de mettre l’accent sur les côtés flashy et dramatique, il tend à montrer la philosophie profonde ancrée dans les vêtements en dépeignant le point de vue des créateurs qui misent sur la façon dont nous percevons la beauté dans notre vie quotidienne.
Après avoir regardé ce film, vous verrez probablement différemment les paysages à vos pieds.
La fin du film amène le spectateur dans les coulisses de la création de la plus récente collection du duo japonais. On a même la chance d’assister à une scène tendue et certainement difficile et a filmé, dans laquelle Horihata et Sekiguchi discutent avec une certaine vivacité et n’hésitent pas à se dire leurs 4 vérités. Disons que ce n’est pas le genre de scène qu’on a l’habitude de voir publiquement chez des Japonais.
En terminant, je voudrais mentionner la bonne idée qu’a eue le réalisateur pour ses transitions. Il utilise des images de l’exposition The Eye of Japan (日本の眼) qui a eu lieu en 2020, qui résume les collections de la marque de vêtements Matohu. Sous le titre de ce qu’on pourrait traduire par Les yeux japonais, Matohu compte 17 chapitres dans chaque saison de 2010 à 2018, avec des thèmes tels que kasane (かさね), fukiyose (ふきよせ) et nagori (なごり) exprimant l’esthétique raffinée du Japon ancien avec une touché de modernité.
Avec Mantles of Transience, on découvre la philosophie de deux designers inspirants, tout en assistant à la production de leur dernière collection, Nagori. Ma seule réelle déception est que ces vêtements ne sont pas disponibles ici. J’en aurais volontiers acheté!
Bande-annonce
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