« Perds pas le beat sinon t’es faite. »
Montréal, hiver 2002. Stéphane, 19 ans, fan de Métal, étudiant en graphisme rêve de devenir illustrateur. Mais depuis des mois il s’engouffre dans une spirale menaçante : il est accro aux jeux. Endetté, sans appartement, évitant ses amis à qui il doit de l’argent, Stéphane prend un job de plongeur dans un restaurant afin de s’en sortir. Il découvre la vie survoltée d’un restaurant à l’approche des fêtes et sa galerie de personnages.
Pour quiconque a travaillé dans une cuisine de restaurant, peu importe son échelle ou sa clientèle, Le Plongeur évoquera des souvenirs familiers. C’est peu surprenant considérant que Stéphane Larue, l’auteur du roman éponyme à l’origine de l’adaptation, travaille en restauration depuis de nombreuses années. Cette connaissance du milieu, on la sent avant tout dans les personnages typés : le chef déprimé et incompétent, le mentor qui a plus d’intérêt pour les bars que les cuisines, la femme endurcie par ce milieu souvent macho-masculin, le busboy qui baigne dans des affaires louches… Mis à part pour quelques âmes pures que Stéphane croise dans son parcours, les personnages, en bons anti-héros, transpirent une fragilité sordide, ils sont à la fois attachants et intimidants.
Je serai prêt à dire qu’il y a une atmosphère unique dans les cuisines, un mélange explosif d’anxiété, d’habileté, de caractères bouillants et de drogues. Cette énergie, on la sent dès la première scène avec le montage effréné et la trame sonore cacophonique. Une ambiance similaire à celle qu’on retrouve dans l’excellente série américaine The Bear, qui prend part dans le même milieu. Pendant les moments de rush en cuisine, il y a à la fois quelque chose de gracieux et de vulgaire, de chorégraphié et de chaotique. Ceux et celles qui se dédient à ce mode de vie choisissent indirectement, comme le mentionne Stéphane, de brûler la chandelle par les deux bouts. Inévitablement, on finit par se brûler les doigts.
En restauration, l’addiction sous toutes ses formes n’est jamais loin. Pour Stéphane, son plus gros démon, c’est les jeux de machine. Malgré son ami qui veut récupérer son argent, son cousin qui le confronte et son ex-copine qui se distancie, Stéphane retombe inévitablement dans ses mauvaises habitudes. Comme il l’affirme lui-même, on ne se sort jamais complètement de la dépendance, mais on peut arriver à la contrôler.
Avec les mésaventures qui s’enchaînent, on sent bien l’anxiété de Stéphane qui grimpe. Quand la pression monte trop, il s’échappe dans sa tête, dans son intériorité. Le sentiment qui manque selon moi et qui est indissociable de la consommation, l’addiction et la vie de nuit, c’est le dégoût. Le dégoût de soi-même, c’est ce qu’on ressent le lendemain d’une soirée qui s’est finie trop tard, quand on doit mentir pour cacher notre échec ou lorsque la dépendance prend le dessus. Le problème avec Le Plongeur, c’est que son esthétique est un peu trop léchée pour témoigner de ce dégoût. Je comprends que, dans les yeux de Stéphane, ces vices sont attrayants, au point où il ne peut plus s’en détacher, mais c’est également ce qui les rend rebutants, un sentiment qui ressort moins. Les lumières sont un peu trop colorées, les mouvements de caméras un peu trop stables, Henri Richer-Picard un peu trop beau et ça finit un peu trop bien…
Comme c’est coutume lorsqu’un roman est adapté au grand écran, la narration du protagoniste nous accompagne dans son aventure. La voix-off est matière à débat au cinéma, qui demeure avant tout un art visuel. Show don’t tell. Personnellement, je considère qu’elle est un élément stylistique pertinent à condition que son utilisation soit judicieuse, qu’elle ajoute un plus valu à l’histoire plutôt qu’une redondance avec ce qu’on observe déjà. Malheureusement pour Le Plongeur, sa narration tombe plus souvent qu’autrement dans cette deuxième catégorie. Par exemple, on nous plonge dans les moments doux que Stéphane a partagés avec son ex-copine, Marie-Lou, avant leur rupture pour nous en ressortir abruptement avec les mots inutiles : « À 17 ans, c’est tough de savoir comment être en amour ».
Le ton de la narration n’est pas pour autant complètement inintéressant. Plutôt que d’être porté par la voix de Stéphane dans le moment présent, c’est un Stéphane un peu plus vieux et un peu plus sage interprété par Marc-André Grondin qui nous témoigne de ce passé survolté. À certains moments, la narration devient également une occasion de souligner le décalage entre le rationnel et l’affectif de Stéphane. C’est effectivement un dilemme récurrent pour les protagonistes dans les récits de passage à l’âge adulte (coming of age), un déchirement entre ce qu’il devrait faire et ce qu’il a envie de faire. Par exemple, lorsqu’on demande à Stéphane après son premier shift à la plonge s’il veut sortir au bar et que sa petite voix dans sa tête dit: « Fallait que-je dise non », il répond à l’affirmative sans hésitation.
En conclusion, à la croisée entre suspense et récit initiatique, Le Plongeur témoigne de la rencontre entre un jeune adulte téméraire et un milieu souvent pernicieux. La fébrilité de la vie de restauration y est dépeinte de manière juste, mais parfois un peu trop romancée.
Le plongeur était présenté en ouverture des RVQC 2023, le22 février, et sort en salles le 24 février 2023.
Bande-annonce
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