Il faudra en finir avec la domination et son flot incessant d’enseignement non sollicité. Il faudra reconnaître que, dans une démocratie, l’apprentissage par contrainte signifie l’endoctrinement, et que l’éducation ne peut être que l’apprentissage par invitation et par choix.
Roland Meighan
Être et devenir aborde le thème de la confiance en l’enfant et son développement, et propose de questionner les apprentissages et les choix possibles. La réalisatrice nous emporte dans un voyage en France, en Angleterre, aux États-Unis et en Allemagne (où il est illégal de ne pas aller à l’école), à la rencontre de parents qui ont choisi de ne pas scolariser leurs enfants, ni à l’école, ni à la maison, et de les laisser apprendre librement ce qui les passionne. C’est une quête de vérité sur le désir inné d’apprendre, qui s’inscrit dans un thème plus large que celui de l’éducation, lié au changement de nos croyances et à l’évolution de notre société, et à l’importance de se réapproprier sa vie et sa confiance en soi.
Le documentaire Être et devenir de Clara Bellar s’intéresse ainsi, et les termes varient d’un pays à l’autre pour désigner ce type de pratique, à l’apprentissage en autodidacte, apprentissage autogéré, apprentissage informel, apprentissage dans la vie, en France; à l’autonomous learning, informal learning, en Angleterre; au life learning, au Canada; au natural learning, organic learning, en Australie; ou au Unschooling, aux États-Unis, pour n’en nommer que quelques-uns.
Ayant une vie plutôt nomade, Bellar savait qu’elle devrait choisir un pays d’attache lorsque son premier enfant serait en âge d’aller à l’école. Son idée a été quelque peu ébranlée lorsqu’elle a rencontré une amie qui elle n’envoyait pas son enfant à l’école et ne lui fait pas l’école à la maison :
« Cependant, je voyais quand même que ce petit garçon était particulièrement ouvert, curieux, passionné, il avait plein de projets et était tout le temps en train de faire des choses intéressantes. J’ai rencontré d’autres enfants dans son cas et à chaque fois, je retrouvais ces particularités : l’enfant était auto-motivé, toujours très occupé par des tas de choses qui l’intéressaient », expliquait la réalisatrice.
C’est une réalité qui touche toutes les classes sociales et, à ma grande surprise, plusieurs des parents qui font ce choix pour leurs enfants sont eux-mêmes des professeurs à différents niveaux scolaires. Voient-ils mieux que les autres parents les failles du système d’éducation?
Les enfants grandissant ainsi librement sont le plus souvent des créatifs. Plutôt que de se plier à un modèle scolaire précis et restrictif, ils continuent de jouer, de rêver et d’apprendre parce qu’ils sont curieux et qu’ils ont la volonté de comprendre ce qui les entoure. Pouvant disposer d’un temps illimité pour apprendre quelque chose (à jouer d’un instrument de musique ou à parler une autre langue, par exemple), leur apprentissage est très rapide, d’autant plus qu’il est motivé par leur volonté propre.
La clé ici est la confiance en soi que l’enfant développe avec l’apprentissage par soi-même. Et cela n’empêche pas les enfants ayant grandi dans ce type d’environnement libre de poursuivre des études supérieures. C’est souvent là leur première expérience concrète d’enseignement en groupe. Et ils sont d’autant plus motivés qu’ils poursuivent généralement un apprentissage qui les habite depuis longtemps. Très rapidement, ces jeunes se découvrent une passion qu’ils peuvent cultiver autant qu’ils le souhaitent disposant de plus de temps que les enfants scolarisés.
J’étais, je l’avoue, chamboulée après le visionnement de ce documentaire. Étant moi-même mère depuis peu, je souhaite que mon enfant ait la meilleure éducation possible. Je dois dire que le système d’éducation québécois actuel me semble avoir beaucoup de lacunes. Par contre, je ne sais pas si j’aurais le courage d’assumer un tel choix (de garder mon enfant à la maison), d’aller à contre-courant.
Au Québec, j’ai l’impression que ce type d’enseignement ne serait pas très bien vu… Cette pratique est-elle seulement légale au Canada? C’est la question que je me posais, plus particulièrement encore par rapport au Québec. Peu de temps après avoir vu ce film, ICI Radio-Canada publiait deux articles sur le Unschooling au Canada.
Le Québec serait la seule province où cette pratique ne semble pas avoir de statut précis : « Au Québec, c’est une zone grise. Dans toutes les provinces canadiennes sauf l’Ontario, les parents qui gardent leurs enfants à la maison doivent en informer une commission scolaire ou le ministère de l’Éducation. En Ontario, c’est recommandé, mais pas obligatoire. Partout sauf au Québec, les parents qui n’envoient pas leurs enfants à l’école sont libres de choisir le programme éducatif qui leur convient. Certaines provinces demandent à voir un rapport annuel sur les progrès de l’enfant, mais la méthode d’évaluation varie beaucoup d’un endroit à l’autre », expliquaient les journalistes Laurence Martin et Valérie Ouellet.
On présentait aussi brièvement les résultats d’une étude de Peter Gray et Gina Riley qui ont interviewé 75 jeunes adultes (dont plusieurs Canadiens) qui n’ont pas suivi de programme de scolarisation : « Plus de 80 % des adultes unschoolers que nous avons interviewés ont fait des études postsecondaires », rapportait la professeure Riley. C’est un pourcentage incroyablement élevé.
Cette façon d’envisager l’éducation des enfants a ébranlé mes « croyances », si je peux dire. Je ne peux que vous encourager à visionner Être et devenir, un documentaire inspirant et inspiré sur un mode de vie et d’éducation qui dérange par son changement.
Et si la liberté ouvrait les portes de l’avenir à votre enfant, lui permettait de mieux se connaître et, de ce fait, de s’épanouir pleinement, que diriez-vous?…
Note : 8,5/10
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