« It’s beautiful, isn’t it?. »
[C’est magnifique, n’est-ce pas?]
Une immersion dans les riches paysages de l’île-de-Sable et dans la vie de Zoe Lucas, une naturaliste et écologiste qui vit depuis plus de quarante ans sur cette bande de sable isolée.
Geographies of Solitude, de Jacquelyn Mills, nous pose un instant dans la sérénité et le sublime de l’île-de-Sable.
Avant de comprendre ce qui fait tout le charme et le magnétisme de l’Île-de-Sable, il faut mieux la situer. Cette petite île proche de la Nouvelle-Écosse a pour particularité sa forme, elle n’a qu’une largeur d’environ 1 km pour une longueur de 43 km, se déployant en une forme de croissant. Entourée par la mer, son étroitesse offre un panorama incomparable. Par contre, ce qui est vraiment spécial sur l’Île-de-Sable, c’est sa faune : elle abrite quelque 500 chevaux sauvages. Leur présence sur l’île remonterait à la déportation des Acadiens au début du 19e siècle.
Bien que le désir de paysage et de solitude que peut conférer cette île isolée peut en interpeller plusieurs, seule une personne à choisi de s’y installer de manière presque permanente : Zoe Lucas. Pourtant, Zoe n’a pas toujours été seule sur l’île. Autrefois, elle faisait partie d’un petit groupe de scientifiques qui y vivaient en communauté. La seule trace qu’il en reste aujourd’hui est quelques bâtisses en ruines qui se font lentement avalées par le sable. Pourtant, Zoe y est restée, elle y vit et y travaille depuis plus de 40 ans, documentant méticuleusement toutes les facettes de cet écosystème unique. Les sujets ne manquent pas : flore, faune (chevaux, oiseaux marins, phoque, abeille) pollution (billes de plastique, ballon gonflable, détritus géants ne pouvant pas être collectés)…
Du calme de la protagoniste se dégage un charisme et une profondeur. Une sensibilité qui s’est façonnée et adaptée au rythme de l’île, une harmonie parfaite avec son environnement. La manière dont la réalisatrice Jacquelyn Mills, qui était également derrière la caméra pour ce projet, la dépeint et met sobrement en lumière cette sensibilité. Elle dresse son portrait par petits mots et petits gestes, le visage de la scientifique étant bien souvent moins évocateur que ses mains.
Le moment où on la dévoile le plus frontalement, c’est dans des images d’archives du film Du grand large aux Grands Lacs (1982) dans lequel l’explorateur et océanographe Jacques-Yves Cousteau vient à sa rencontre sur l’Île-de-Sable. Ces archives nous plongent inévitablement dans une nostalgie quand on la voit 40 ans plus tôt, partageant les mêmes préoccupations et passion pour cette île.
Tout au long du documentaire, on découvre ainsi des facettes et des couches de l’écologiste. Elle nous partage à travers sa philosophie la sérénité que ses années sur l’île lui ont permis d’atteindre. Les conversations qu’elle entretient avec la réalisatrice sont souvent captées au vif et empreintes d’authenticité et de douceur. On assiste ainsi à la complicité qu’elles développent, imaginant et concrétisant plusieurs projets à mi-chemin entre la science et l’art.
Ceux-ci prennent plusieurs formes dans le film. Du côté de l’image, les paysages sont ponctués par quelques séquences de pellicules développées de manière expérimentale, en les enterrant par exemple dans les algues, le sable ou le crottin de cheval. Du côté du son, des microphones contact, minuscule appareil permettant de capter des sons pratiquement inaudibles lorsqu’on les colle sur une surface, donnent vie au rythme et à la résonance de la carapace des escargots, au déplacement des scarabées dans le sable et au fourmillement des fourmis. Ainsi, l’expérimentation dans Geographies of Solitude permet de mettre en lumière des processus organiques souvent invisibles ou inaudibles, les textures sont amplifiées jusqu’à en devenir les sujets. Dans cette manière de donner une voix aux processus vivants, mais aussi dans les gestes concrets posés par la protagoniste, ce film engage un message écologiste sans devenir moralisateur.
La poésie du film réside dans les petites choses, mais également dans les grandioses : les oiseaux virevoltants dans le ciel, les vagues qui déferlent sur le rivage, les chevaux en contre-jour au soleil couchant, le ciel étoilé. Bref, Geographies of Solitude permet de nous poser un instant dans la sérénité et le sublime de l’Île-de-Sable.
Bande-annonce
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