« — Pourquoi ça ne te suffit pas?
— Pourquoi ton mari ne te suffit-il pas? »
Londres – 1987. Philip (Denis Podalydès) est un écrivain américain célèbre exilé à Londres. Sa maîtresse (Léa Seydoux) vient régulièrement le retrouver dans son bureau, qui est le refuge des deux amants. Ils y font l’amour, se disputent, se retrouvent et parlent des heures durant; des femmes qui jalonnent sa vie, de sexe, d’antisémitisme, de littérature, et de fidélité à soi-même…
Avec Tromperie, Arnaud Desplechin propose un grand film de dialogues et d’acteurs. Il ose toucher à des sujets risqués comme le féminisme, l’adultère, le désir, l’incertitude et la solitude. Donc, un film qui se dévore d’un bout à l’autre sans une seule longueur malgré qu’il ne s’y passe pratiquement rien…
L’adaptation par Arnaud Desplechin est fidèle au texte de Roth. Le résultat est même étonnant, étant donné que le livre a été écrit dans les années 90. C’est surtout la séquence du procès de Philippe qui marque l’intemporalité du texte. Cette scène presque surréelle qui a été — évidemment — écrite bien avant le mouvement #MeToo montre exactement le genre de procès auxquels font face plusieurs hommes en ce moment. Dans le film, il s’agit d’un procès en cour de justice, alors que dans notre monde, ce sont surtout des procès du public qui se produisent sur ce genre de thèmes.
La grande question est à savoir si Philip, le personnage principal, est féministe ou s’il est plutôt misogyne. Comment peut-on se demander si une même personne peut être ces deux choses à la fois? Toute la question est effectivement là, tant dans le film que dans notre société actuelle. Ce sont des paradoxes que Philip Roth embrasse. Et il a écrit dans cette scène son propre procès. Et quand Desplechin la met en scène dans Tromperie, elle frappe l’imaginaire tant par la réflexion qu’elle apporte que par sa mise en scène très théâtrale. On sent, d’ailleurs, à quel point Podalydès s’y éclate.
On se retrouve dans un genre de combat des sexes entre (Philip) Podalydès et la procureure (Saadia Bentaïeb) qui mènera les spectateurs à de belles discussions. Elle, plaide la cause des femmes en général, tandis que Philip, lui, s’intéresse à chaque femme en particulier. Chacun se tient dans une perspective politique opposée. Le carton qui introduit la scène, c’est le procès. Et nous voilà chez Kafka, qui était le maître de Roth! D’ailleurs, son portrait est accroché au mur du bureau à côté du pupitre…
Dans ce film, Desplechin ose à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il montre une longue liste de personnages adultères, sans les juger, en les montrant de façon normale, comme s’il n’y avait rien de mal à tromper son mari, sa femme. Le réalisateur se concentre plutôt sur l’humanité des personnages. Il filme tout simplement l’amour entre l’Amante et Philip.
Ensuite, il ose mettre en scène un personnage juif, avec un acteur qui n’est pas juif (le réalisateur ne l’est pas non plus). Et ce personnage critique la façon d’être des Juifs. Par moments, les déclarations de Phillip pourraient être très mal reçues par les Israéliens, par exemple.
Et il y a l’amour avec un grand A. Ceux qui ont déjà été sur des applications de rencontre ont certainement rencontré ce terme souvent : sapiosexuel. Fondamentalement c’est le fait d’être sexuellement attiré par l’intelligence, par l’intellectuel d’une personne. Tant de gens se disent sapiosexuels alors qu’en fait, les mots ne les allument pas du tout et qu’ils n’ont rien à foutre de l’intelligence de l’autre lorsque vient le temps de ressentir du désir. Mais les personnages de Tromperie sont probablement ce qui s’y rapproche le plus. Surtout lorsqu’on regarde Phillip et l’Amante, interprétée de façon magistrale par Léa Seydoux. L’actrice l’explique assez bien d’ailleurs :
« Je pense que les mots, le langage, la littérature sont érotiques par essence. Je suis convaincue que la création en général est intimement liée à l’éros. C’est une transformation libidinale. Et c’est le cas dans Tromperie. »
Il va sans dire que ce film est ce qu’on pourrait réellement appeler un « film intellectuel ». Et un film de dialogue alors que la majorité du film se déroule dans le bureau du personnage principal.
Il y a un point qui me dérange tout de même dans ce film. Les personnages sont Américains ou Anglais, mais ils se parlent en français. Sauf un personnage tchèque qui parle tchèque. Le réalisateur justifie cet écart de langue par le fait que ce texte soit un éloge de l’exil. Ainsi que par son côté universel. Bon… Je ne suis pas convaincu. Cela dit, ses acteurs sont tellement bons qu’on peut lui pardonner cette incartade. Desplechin résume ainsi l’âme de ses personnages par l’idée du « jeu enfantin » qui les caractérise.
« Tromperie doit énormément à l’engagement entier de Léa Seydoux : avec ce personnage, elle parle d’elle. Elle a conjugué son rôle au présent et a tiré Denis et toute l’équipe vers cet état de présence pure. Sa présence à l’instant était imprévisible, elle habitait la seconde dans laquelle elle se trouvait. Le seul personnage qui est privé de ce jeu enfantin, c’est celui de l’épouse qu’incarne Anouk Grinberg. Dans sa dispute avec Philip, son chagrin provient aussi du fait qu’elle n’a pas droit à sa part d’enfance. Philip n’écoute pas son enfance, et elle proteste comme une petite fille blessée. Je voulais filmer des acteurs qui jouent à l’Amérique, à l’Angleterre, à la Tchécoslovaquie sans que cela devienne abstrait. Ces personnages jouent mais ils vivent aussi, et ils souffrent… Les personnages jouent, mais ils jouent avec toute leur âme et tout leur corps. »
Tromperie raconte l’histoire de gens qui se sentent déplacés; cet homme les écoute et retranscrit leur parole. Et il tombe amoureux de ces femmes, à moins que ce soit plutôt des personnages? Cette décision revient probablement à chaque spectateur.
Tromperie est présenté à Cinemania, le 9 novembre 2022.
Bande-annonce
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