« – Do you ever just want to run away?
– No, but people always want to run away from me, my darling. »
[— Tu n’as jamais eu envie de t’enfuir?
— Non, mais les gens veulent toujours fuir de moi, mon ange.]
Dans We’re All in This Together, adaptation filmique du bestseller éponyme d’Amy Jones, la réalisatrice et actrice canadienne Kate Boland traite du thème de la maladie mentale d’une manière impitoyablement franche, mais aussi avec l’humour nécessaire pour surmonter le sérieux de la vie. Lorsque la matriarche de la famille des Parker, souffrant d’une maladie mentale, se jette dans un tonneau en bois dans une chute d’eau, la vidéo de cet incident se répand rapidement sur le Net – et force ses trois filles à être ce qu’elles n’étaient pas avant en raison de plusieurs conflits et traumatismes : une (sorte de) famille.
Les Parker sont ce qu’on appelle une famille dysfonctionnelle : Kate, la mère, souffre d’une maladie mentale qui l’empêche de prendre soin d’elle-même ou de ses trois filles, dont une est encore mineure, son mari l’a quittée, ses jumelles Nicki et Finn sont sur le bord de devenir alcooliques, Finn en plus s’automutile. La fille cadette, Paris, a grandi dans un foyer où les enfants sont invités à boire du vin rouge – elle consomme trop également et fume du haschisch. Pourtant, Finn juge que la benjamine devrait se considérer chanceuse par rapport au sort des jumelles plus âgées – parce qu’à sa naissance, les médicaments de leur mère auraient enfin « fonctionné ». Finn a pris la fuite pour commencer une nouvelle vie à Toronto après avoir appris que son copain Gord, avec qui elle était depuis six ans, l’avait non seulement trompée avec Nicki, mais l’avait aussi engrossée. Attendant un enfant, Nicki a dû rester auprès de la famille. Tout comme sa mère, elle a dû abandonner son rêve de quitter le Canada pour aller en Europe – si leur mère aurait aimé voyager à Paris (d’où le prénom du troisième enfant), Nicki aurait aimé visiter la capitale allemande. Est née avec le petit-fils Berlin encore une génération devant assumer le bagage des aînés.
N’ayant pas revu sa famille depuis plusieurs années, Finn tombe donc des nues quand elle apprend – par une journaliste venue la chercher pour un entretien devant sa maison – que sa mère malade s’est jetée, cachée dans un tonneau en bois, dans les chutes d’eau locales. Elle y aurait survécu, mais elle se trouverait actuellement dans un coma à l’hôpital tandis que la vidéo de ce qui semble avoir été une tentative de suicide se répand à une vitesse fulgurante en ligne. Si le reste du monde voit en Kate Parker « la conquérante de Kakabeka », ses filles se demandent ce qui a bien pu la pousser à cette idée folle. Filmée par ce duo de la télévision alors qu’elle se trouve devant son propre appart, habillée dans un t-shirt blanc transparent trempé de vin rouge, Finn se sent humiliée – mais surtout rattrapée par le passé qui réclame sa présence…
Hésitante, Finn rentre dans la maison de sa famille et s’y voit confrontée aux anciens traumatismes – une sœur jumelle qui l’a trompée, au bord de la folie comme leur mère, un neveu qui ne la reconnaît plus, mais qui lui rappelle constamment un amour perdu, et une sœur cadette qui lui reproche de les avoir tous abandonnés. Lors du souper « en famille » tout le monde ne fait que piocher mollement dans un plat peu appétissant. La différence entre les jumelles ne pourrait pas être plus distincte, et dans ce contexte le choix des costumes de ces deux personnages évoque en même temps certaines caractéristiques typiques : très soucieuse d’une belle apparence et d’un comportement cultivé et posé, Finn s’est réglé les dents pour pouvoir présenter un sourire impeccable et porte des robes moulantes et élégantes. Chez Nicki, en revanche, tout parle de son caractère bruyant et rude : elle porte des vêtements très « féminins », des tops très décolletés et sexy et des mini-jupes, le tout souvent avec des motifs léopard (incluant sa tasse de café ☺). Elle parle à tort et à travers, jure grossièrement, sans penser à ce que les autres pourraient penser d’elle.
Les conflits présents depuis des années entre les deux jumelles au premier regard si différentes ne tardent donc pas à exploser si bien que les deux femmes se reprochent mutuellement leur modes de vie malsains : « Nicki, what’s worse – a drunk or a slut ? » – « I don’t know, ask Dad. » [Nicki, qu’est-ce qui est pire – une ivrogne ou une pute? – Aucune idée, demande à papa.]. Les disputes culminent dans la menace du pire – devenir comme leur mère : « Be careful, you’re gonna end up where she is. » [Fais attention, tu vas finir comme elle.] Seule la plus jeune, Paris, semble avoir de la compréhension pour la mère qui lui manque, alors que Nicki serait secrètement soulagée si elle ne se réveillait pas du coma. Si les jumelles ont recours toutes les deux à des drogues pour gérer la crise familiale, Paris fume et cherche du réconfort chez son copain en ligne, Adam, qu’elle croit être un militant écologiste célèbre et qu’elle compte rencontrer bientôt en personne (en vérité deux camarades de classe lui jouent un mauvais tour). En attendant, elle couche avec un garçon de sa classe peu compréhensif à l’égard de sa tristesse concernant sa mère : « So, do you want me to fuck you or can you blow me ? » – « Whatever ». [Alors, tu veux que je te baise ou peux-tu me sucer? Peu importe].
Le miracle se produit, Kate se réveille du coma et sa fille adolescente se hâte vers elle – mais la matriarche démente n’a pas l’intention de rester à l’hôpital. Kate et Paris prennent la fuite, les jumelles, soudain unies par la peur de les perdre, à leurs trousses…
We’re All in This Together est un film sur la famille, mais surtout un film de la famille des Boland. Kate Boland, actrice depuis son enfance et depuis tout récemment également réalisatrice, n’a non seulement tourné le film, mais elle y joue aussi les deux jumelles (ce qui explique pourquoi on ne les voit que très rarement unies dans une même image). La prestation est excellente et convaincante, même si à mon avis, dans le souci de créer des personnages suffisamment différents l’un de l’autre pour permettre à l’actrice de mieux les distinguer pendant le jeu, les jumelles semblent trop exagérées et typées. Ensuite, la mère de Kate Boland, ancienne photographe et réalisatrice célèbre, a été productrice exécutive et son frère a composé la musique du film. Pour finir, apparaît au générique également la grand-mère, souffrant d’une maladie mentale elle aussi, et à qui Boland a dédié son long-métrage.
Malgré un décor très criard et des personnages un peu trop stéréotypés, il s’agit d’un film très bien réalisé, surtout ses dialogues impitoyables m’ont impressionnée et me resteront certainement plus longtemps en mémoire. Un film à voir donc si vous n’avez pas peur des émotions fortes.
Bande-annonce
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