« I often fantasize about going back to the old days.»
[Je fantasme souvent sur le retour à l’ancien temps.]
En mars 2002, un signal de télévision d’État en Chine est piraté par des membres du groupe spirituel interdit Falun Gong. Leur objectif est de contrer le discours du gouvernement sur leur pratique.
Dans la foulée, des descentes de police balayent la ville de Changchun et l’illustrateur de bandes dessinées Daxiong (Justice League, Star Wars), un pratiquant de Falun Gong, est contraint de fuir. Il arrive en Amérique du Nord, accusant le piratage d’avoir aggravé une répression déjà violente. Mais ses opinions sont remises en question lorsqu’il rencontre le seul participant survivant à avoir fui la Chine, qui vit maintenant à Séoul, en Corée du Sud.
Combinant des images d’aujourd’hui avec une animation 3D inspirée de l’art de Daxiong, Eternal Spring (長春) retrace l’événement à l’occasion de son 20e anniversaire et donne vie à une histoire de défi sans précédent racontée à travers des témoignages poignants sur la persécution et un talent artistique incroyable. Eternal Spring est une histoire exaltante de détermination à défendre les libertés politiques et religieuses, quel qu’en soit le prix.
Quelle ne fût pas ma surprise de voir qu’Eternal Spring sera le représentant du Canada pour l’Oscar du meilleur film international (catégorie autrefois nommé meilleur film en langue étrangère). C’est un choix surprenamment audacieux considérant son approche formelle hybride, mais également quand on remarque que la dernière fois qu’un film hors Québec représentait le Canada aux Oscars, c’était Water (वाटर) de Deepa Mehta en 2006. Parmi cette liste, on retrouve seulement quatre films non francophones depuis l’apparition de cette catégorie en 1971. En voyant cette nomination, somme toute gage d’un film réussi et accessible, je suis entré dans ce visionnement avec certaines attentes.
L’introduction est saisissante. Un plan-séquence nous transporte à vol d’oiseau de la réalité actuelle au Canada et en Corée du Sud jusqu’au passé d’animation en Chine. Le récit se déploie parallèlement sur ces deux trames, la démarche de Daxiong, un bédéiste originaire de la Chine qui réalise un projet d’animation qui constitue la trame parallèle, il témoigne ainsi de l’événement l’ayant forcé à s’exiler en 2002, le détournement du signal de la télévision d’état pour dénoncer la persécution subite par les Falung Gong, un groupe spirituel.
Dans ce constant aller-retour entre passé et présent, entre documentaire et animation, les transitions s’opèrent de plusieurs manières, avec les images d’archives agissant bien souvent comme liant entre les deux. Elles sont parfois fluides et originales, mais parfois moins gracieuses. Quand on est plongé dans l’esthétisme envoûtant des animations et qu’on nous ramène dans la réalité, celle-ci paraît morne et inesthétique. Je doute que ce soit le sentiment que voulait transmettre le réalisateur considérant que pour Daxinong, le passé c’est la censure, la torture et la fuite, et que le présent, c’est la possibilité de raconter son histoire à travers l’art et de pratiquer le Falun Gong librement.
Dans les autres films marquants adoptant cette approche hybride, on peut évoquer Valse avec Bashir d’Ari Forman (2008), un récit autobiographique sur son service militaire pour l’Israël pendant la guerre. Ce documentaire d’animation se conclut par un retour à la réalité abrupte, des images d’archives du massacre des civiles des camps de Sabra et Chatila à Beyrouth en 1982. Ainsi, comme c’est le cas dans Eternal Spring, l’animation permet de replonger dans des souvenirs, de reconstituer des événements importants selon les points de vue des personnes l’ayant vécu. Par contre, ce qui distingue les deux approches est le rôle que les images réelles y jouent. Dans le cas de Valse avec Bashir, elles servent à déstabiliser, à rappeler que ce n’est pas un récit fictif, alors que pour Eternal Spring, elles occupent un rôle plus complémentaire et informatif.
Les séquences d’animation sont quant à elles beaucoup plus captivantes. On est dans l’action et le suspense, l’histoire se déploie comme un film de crime. Les personnages plus grands que nature, comme les martyres Big Truck et Liang, sont dignes des super-héros de comics. L’animation est également approchée avec une certaine liberté, se déployant parfois sous l’iconique forme des cases de bandes dessinées pour dynamiser les poursuites ou encore dans des traits gras d’encre noire pour donner vie aux démons qui habitent encore Daxiong aujourd’hui.
Concernant le style d’animation, je dois avouer ne peut avoir été séduit par les modèles 3d rappelant des jeux vidéo du début des années 2000, les couleurs en aplat et les mouvements parfois saccadés. Ça ne relève pas d’une maladresse de la part des animateurs, mais plutôt d’une préférence personnelle pour l’animation plus organique et texturée. En outre, ce style permet définitivement une grande clarté dans le récit. Avec les nombreux intervenants et éléments socio-culturels à introduire, c’est un véritable tour de force d’être parvenu à mettre en image cette histoire.
Malgré la clarté du récit, la simplification de certains évènements m’a parfois laissée avec l’impression de manquer d’information pour comprendre entièrement les enjeux en place, dont certains primordiaux, à commencer par ce qu’est réellement le Falun Gong. On le présente ici comme un mouvement spirituel qui permet de guérir le corps et l’esprit avec, par exemple, la méditation et des exercices de respiration. Ainsi, le film dépeint ce groupe comme uniquement lumineux et positif, ce qui en fait, à première vue, une victime inoffensive, avec raison considérant l’historique du parti communiste chinois contre les groupes religieux et les actes de violences répressives commis contre ceux-ci.
Ce qu’on ne montre pas, par contre, c’est l’origine du Falun Gong et la place qu’il occupe aujourd’hui. Commençons par mentionner que le fondateur du mouvement, Li Hongzhi, croit que la terre sera envahie par des extra-terrestres et qu’il sera notre sauveur. Ces croyances étranges viennent évidemment avec des contraintes aux pratiquants malheureusement trop communes dans les dérives sectaires comme, par exemple, l’interdiction de prendre des médicaments. Ce qui est également inquiétant est l’appui du groupe à des mouvements de droites aux États-Unis et à certaines théories du complot comme Qanon. Il faut comprendre que le réalisateur, Jason Loftus, devait être dans une position délicate avec ce projet dont tous les intervenants sont praticiens de Falun Gong. Par contre, la manière purement bienfaisante et lumineuse avec laquelle ce mouvement est représenté relève selon moi d’une omission volontaire et malhonnête.
Ainsi, malgré l’originalité de l’approche et l’importance de mettre en image des événements d’injustices oubliés par l’histoire, le manque de transparence dans la représentation du Falun Gong me laisse avec un goût amer.
Bande-annonce
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