Il y a des films que l’on n’est pas près d’oublier. Angels of Sinjar, programmé au Hot Docs à Toronto pour sa première nord-américaine, en est de ceux-là. Rarement, un documentaire m’a ému ainsi. Après le génocide perpétré en 2014 par l’État islamique (Daech) au nord de l’Iraq dans la région de Sinjar à l’encontre de leur communauté yézidie, Hanifa et Saeed, survivants des assassinats, kidnappings et bombardements, trouvent sur leur chemin la caméra humaniste de la Polonaise Hanna Polak.
Saeed a vu presque toute sa famille décimée. La cinéaste a le génie de lui faire raconter son histoire dans le décor où la scène de massacre de civils a eu lieu. Au milieu des décombres, dans sa ville natale de Kocho détruite et abandonnée, des années après, le passé refait surface à la vue des maisons détruites, des restes d’os humains et d’une fosse commune où une partie de sa famille a été enterrée. Entre force et sensibilité, Saeed tente de se relever de ces épreuves, mais le travail de deuil dans un pays encore instable est des plus difficiles lorsque les nombreux membres de sa famille n’ont pas sépulture et ont simplement droit à un portrait exposé dans un bâtiment délabré aux côtés d’autres personnes disparues ou tuées.
Hanifa, elle, cherche activement ses sœurs kidnappées par Daech. Elle a fait la promesse à son père sur son lit de mort qu’elle les retrouverait et, depuis, sacrifie sa vie à les localiser, puis à payer la rançon quoiqu’il en coûte avant qu’elles ne soient vendues ou éliminées. La réalisatrice parvient par miracle à s’insérer sur plusieurs années dans la vie de Hanifa et à capter des scènes absolument inouïes de retrouvailles inespérées. Assister sur le vif à ces moments intimes où une jeune femme sort de captivité, après avoir été violentée et violée, et retrouve sa famille est un moment unique de cinéma-vérité.
Hanna Polak enregistre le précieux récit des horreurs de la part des survivantes, au moment où Nadia Murad fait la fierté de la communauté yézidie lorsqu’elle reçoit en 2018 le prix Nobel de la paix. C’est l’une des 3000 femmes Yézidies victimes de viol et d’autres abus de la part de l’armée de Daech. Si la communauté internationale parvient à s’émouvoir sur le sujet, cette réunion des grands de ce monde laisse un goût amer, car elle se heurte à la réalité de la situation là-bas et à la solitude des familles qui s’efforcent encore de nos jours de libérer leurs proches.
La documentariste signe un grand film sur la résilience, le courage, la persévérance et l’amour familial. C’est un film exemplaire, d’une émotion et dramaturgie impressionnantes, qui montre comment des êtres humains blessés parviennent à déplacer des montagnes et dépasser la barbarie de l’extrémisme religieux. Pour sauver leur honneur et leur famille.
Bande-annonce
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