Le Hot Docs n’est pas terminé et il y a encore des films à voir, mais voici un titre qui figure parmi mes favoris. Once upon a time in Uganda est un documentaire feel good en forme de bromance et de making-of déjanté autour d’un studio de production de films qui a la particularité unique d’être implanté dans un bidonville en Ouganda, dans le quartier de Wakaliga.
Autant le dire tout de suite, on rit souvent dans le documentaire de l’Américaine Cathryne Czubek. Le titre n’est pas sans rappeler celui de Quentin Tarantino Once upon time… in Hollywood (Il était une fois à Hollywood, 2019). Le parallèle va même plus loin avec la bromance, faite de hauts et de bas, entre un producteur-réalisateur de films sans budget ougandais et un ancien directeur de festival new-yorkais au cœur brisé, qui fait écho à l’histoire de Tarantino avec Brad Pitt et Leonardo DiCaprio. L’Amérique qui rencontre l’Afrique (ou vice versa) dans l’industrie du cinéma promet des étincelles et quelques divergences de points de vue.
Isaac Nabwana vit à Wakaliga, un quartier très pauvre de la capitale Kampala. Il a une passion. Il aime le cinéma par-dessus tout, plus particulièrement d’action et d’horreur, et fabrique des films de série B (ceux que Tarantino vénère) qu’il vend ensuite aux habitants sous forme de DVD dans des pochettes plastiques avec des étiquettes collées à la main. Tout est artisanal dans son studio, aussi bien dans la chaine de production et de distribution. Il a le don de rassembler autour de lui une pléthore de techniciens et d’acteurs non professionnels, mais dévoués, qui vivent comme lui dans la pauvreté. Personne n’est payé sur les productions de Wakaliwood, néanmoins tout le monde vient de bon cœur pour rejoindre une ambiance bon enfant, une ambiance parfois survoltée avec des cascades, de la violence gratuite et outrancière, du faux sang et des effets spéciaux tirés par les cheveux. Les scènes de tournage que filme la documentariste Cathryne Czubek sont loufoques, réalisées dans un deuxième voire troisième degré, influencées par les films d’action des années 70 et 80 : de Chuck Norris à Stallone en passant par Bruce Lee. Il y a même un accessoiriste hors pair qui construit des fausses armes impressionnantes à la Mad Max en récupérant des objets à droite et à gauche.
Cathryne Czubek a trouvé un décor en or, mais aussi une histoire en or, en greffant à cette aventure hors du commun un Américain, Alan Hofmanis, un peu allumé lui aussi, un fan de la première heure des productions du studio. Après un divorce mal digéré, il décide de quitter précipitamment New York et de s’installer dans le bidonville au centre de Wakaliwood. Il croit à la consécration de ces films en dehors de l’Ouganda et envisage de développer un pôle international pour promouvoir les créations. Challenge qu’il réussit à relever avec son ordinateur portable au milieu d’habitations précaires, de pannes d’électricité, sans eau courante… Alan met aussi la main à la pâte sur les tournages : il est tantôt preneur de son tantôt acteur, en particulier dans une scène d’anthologie où il se fait manger à moitié nu par des cannibales : scène qui lui vaudra un article dans le magazine Playboy.
Grâce à l’arrivée d’Alan, la société connaît un vif succès. Des journalistes de grands journaux internationaux s’intéressent aux productions de Wakaliwood et le gouvernement du pays commande une série au studio. Mais comme dans tout film hollywoodien ou « wakaliwoodien », la belle amitié s’efface dès que la gloire montre le bout de son nez. Les relations entre Isaac et Alan commencent à se détériorer et la cinéaste filme ces moments d’incommunicabilité entre les deux amis, avec un brin de moquerie qui donne à son récit une densité et une dramaturgie proche de la fiction. Alan, contrarié et sans le sou, repart à New York pour vivre chez ses parents, donnant un contraste dans le film époustouflant par rapport à tout ce que l’on a vu avant en termes de décors et de conditions de vie.
Toutefois, ce qu’Alan ne sait pas (et que nous savons), c’est qu’en dépit des 15 minutes de célébrité d’Isaac, ce dernier reste pauvre et ne parvient pas à subvenir aux besoins de sa famille. Situation des plus injustes de voir ses films devenir culte sur YouTube (en particulier Who Killed Captain Alex? avec plus de 7 millions de vues aujourd’hui) et de le voir encore dans le besoin, à cause d’un modèle de rétribution des auteurs qui n’est pas à son avantage, mais où tout le monde trouve son compte.
Malgré tout, Isaac poursuit son œuvre, donne de l’espoir aux jeunes du bidonville en leur donnant l’occasion de participer à ses productions et en contribuant à l’ouverture d’une école d’arts martiaux pour former de nouveaux talents. Cathryne Czubek capture cette vision dans une métaphore insouciante et innocente d’une génération qui tente d’accomplir ses rêves et de sortir de son milieu.
Quand elle filme le tournage des films de Wakaliwood réalisés avec trois bouts de ficelle et beaucoup de folie, on pense au film de Michel Gondry Soyez sympas, rembobinez (2008) qui met à l’honneur la technique du suédage consistant à refaire un film en mode amateur. On pense aussi à Living in Oblivion (Tom DiCillo, 1995) qui suit les affres de la réalisation d’un film indépendant à petit budget avec des personnages totalement allumés.
Once upon a time in Uganda repart aux sources du cinéma, à un cinéma comme on n’en fait plus, un cinéma avec des trucages gros comme une maison, un cinéma avec un bonimenteur. Le documentaire met par ailleurs un coup de projecteur sur la situation d’un quartier très défavorisé au Ouganda : un bidonville qui devient la capitale nationale du cinéma, ce n’est pas anodin. C’est le fruit des efforts de tous ces passionnés qui consacrent leur vie à l’amour du cinéma pour s’amuser, fabriquer quelque chose collectivement et s’envoler loin de leur quotidien. Un film qui donne l’espoir que tout est possible et qui rend hommage à la puissance contagieuse du cinéma, capable d’exister avec trois fois rien et de créer de la joie. Jusqu’à conquérir l’Amérique.
Once upon a time in Uganda est présenté aux Hot Docs, du 28 avril au 8 mai 2022 et est visionnable sur la plateforme en ligne jusqu’à la fin du festival.
Bande-annonce
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