« Ce pays n’est rien de plus que le produit de son peuple. »
Youngstown a été présenté comme un symbole du déclin post-industriel non seulement aux États-Unis, mais dans le monde moderne. Et si cela peut arriver au pays des opportunités, cela peut arriver n’importe où. Greyland suit les espoirs et ambitions de Rocco et Amber au milieu du déclin économique et d’un paysage politique en décalage avec les besoins de sa communauté.
En demeurant sobre dans son esthétique et précis dans les thématiques abordées, Greyland parvient à tracer un portrait touchant et honnête des résidents de Youngstown.
Rien n’illustre aussi brutalement le déclin d’une société que des maisons abritant autrefois des gens prospères aujourd’hui abandonnés. De grands lieux vides et sans vie. Dans ces débris, on retrouve toutefois une certaine beauté, la nostalgie des temps plus heureux, une époque où l’on croyait encore au rêve américain. Ce sont les morceaux d’une communauté abandonnée que la population tente maintenant de rebâtir.
Parmi cette communauté, Rocco, un jeune adulte en perte de repère qui tente de trouver sa place dans un endroit où les opportunités se font rares, et Amber, une jeune mère qui s’implique dans les comités citoyens afin que son quartier retrouve sa vitalité d’autrefois. Puisque Greyland a été tourné sur une période de six ans, on assiste à leur cheminement parallèle, à leurs espoirs et leurs ambitions qui se butent au mur de la réalité.
Imaginez grandir dans un endroit en sachant que la belle époque est révolue. Ne rien avoir en quoi croire, ne pas savoir pourquoi se battre. Voir tous ceux qui aspirent à une meilleure vie quitter la ville, ne laissant derrière que ceux qui n’en ont pas la force et quelques résistants.
La cassure est plus profonde que l’on pourrait l’imaginer initialement. Comme le documentaire nous amène à le comprendre, le problème prend d’abord racine à un niveau plus systémique avant de ruisseler jusqu’à chaque membre de la communauté. Tout au long du film, on ressent bien que le problème dépasse les individus, que malgré leur impact direct sur la communauté, ils sont impuissants devant la pauvreté, la criminalité et la gentrification qui la grugent. On en vient à mieux comprendre la colère des citoyens et de ce fait même, l’engouement général autour de la campagne de Trump, incarnés ici par les nombreuses pancartes ornées de l’iconique « Make America Great Again ». C’est bien eux que l’ancien président a réussi à séduire, les laissés pour compte, ceux qui ont perdu confiance dans le système.
Ce problème systémique, on le constate quand Amber commence un poste de conseillère en politique municipale. Souffrant un peu du syndrome de l’imposteur, elle s’y rend avec le désir d’être la porte-parole des intérêts de sa communauté. Assez rapidement par contre, elle constate que le système est corrompu, que ce n’est pas là que le changement peut réellement avoir lieu.
En cherchant dans les décombres des maisons, Rocco et son mentor, Todd, trouvent des trésors qui méritent une deuxième vie. À la manière d’archéologues urbains, ils récupèrent ces objets pour les revendre dans la boutique de Rocco, le Greyland. Puisqu’ils retrouvent beaucoup d’œuvres d’art, cette initiative est plus qu’un endroit de commerce, elle est également un centre d’art. En choisissant le nom de cet endroit pour le titre du film, on comprend que la réalisatrice considère que les solutions doivent être à petite échelle.
De la même manière, l’implication d’Amber commence sur le terrain. Avec un peu de temps libre un après-midi, elle nettoie des terrains abandonnés dans son quartier. C’est là une idée centrale du documentaire, quand le système nous abandonne, il ne reste plus qu’à le faire soi-même; do it yourself; DIY.
La situation de Youngstown est malheureusement loin d’être un cas isolé. Les leçons qu’on retire de Greyland peuvent donc être appliquées utiles pour mieux comprendre d’autres situations. Ici même au Québec, on retrouve des villages ayant subi des épreuves similaires comme celui de Val-Des-Sources, autrefois connu sous le nom d’Asbestos. Cette petite municipalité jadis prospère grâce à sa mine d’amiante tente aujourd’hui de se rebâtir à travers les initiatives de la communauté.
Au-delà du désir de rebâtir une communauté, Greyland c’est surtout la quête individuelle de sens et de stabilité pour les résidents. Les conclusions qu’on en tire sont parfois difficiles à accepter, mais nécessaires. Par exemple, Rocco, en s’ouvrant sur sa dépression, nous admet avoir accepté qu’il ne sera jamais « normal », que sa situation ne s’améliorera pas.
La quête de stabilité d’Amber commence par l’endroit où elle habite. Cette jeune mère a acheté sa première maison dans un quartier à l’abandon pour un peu moins de 3000$ (difficile à concevoir, je sais). Au cours du documentaire, elle quitte cette maison et la communauté de Youngstown pour aller s’installer ailleurs, dans un endroit plus simple. La courbe dramatique du film l’empêche ainsi de tomber dans un optimisme artificiel. Les espoirs se forment et se défont, la vie leur trace un parcours parfois malgré eux.
Somme toute, en demeurant sobre dans son esthétique et précis dans les thématiques abordées, Greyland parvient à tracer un portrait touchant et honnête des résidents de Youngstown.
Greyland est présenté aux RVQC, du 20 au 30 avril 2022.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième
Merci pour cette belle critique! C’est super de lire que le film a été compris comme on a eu l’intention de le faire.
Ce fût mon plaisir, mes commentaires sont sincères! Bravo à toute l’équipe pour ce beau projet.
Très juste comme analyse. De faire un parallèle avec Val des Sources nous démontre que Youngstown peut se retrouver aussi ici au Québec.