« Tu as vécu avec des débauchés et des libertins. Ce sont eux les criminels, pas toi. »
Yachine, 10 ans, et Hamid, petit caïd de 13 ans, vivent dans le bidonville de Sidi Moumen à Casablanca. Leur mère dirige comme elle peut toute la famille. Adolescent, Hamid va se retrouver en prison, Yachine enchaîne alors les petits boulots pour sortir de ce marasme où règnent violence, misère et drogue. À sa sortie de prison, Hamid a changé. Devenu islamiste radical pendant son incarcération, il persuade Yachine et ses amis de rejoindre leurs « frères ». L’imam entame alors avec eux une longue préparation physique et mentale. Un jour, il leur annonce qu’ils ont été choisis pour devenir des martyrs.
Les chevaux de Dieu, sans une explication complète du processus de radicalisation, demeure convaincant et pertinent dans sa manière de le dépeindre.
Les récits de passage à l’âge adulte dans des milieux défavorisés ne manquent jamais d’être poignants quand cette réalité est représentée de manière honnête. Même si on associe souvent ces histoires à la perte de l’innocence, dans un milieu où la précarité n’a d’égal que la violence des actes qui y sont commis, on comprend rapidement qu’aucune innocence n’est permise. Parmi les films récents qui s’intéressent à cette réalité, on peut penser à Slumdog Millionaire (Danny Boyle et Loveleen Tandan, 2008), qui se déroule en partie dans les bidonvilles de Bombay, ou au magnifiquement troublant City of God (Fernando Meirelles et Kátia Lund, 2002), dont les favelas de Rio de Janeiro sont une toile de fond omniprésente. En abordant un sujet aussi sensible et dérangeant, le défi est d’éviter une représentation sensationnaliste tout en ne cachant pas la dureté de la réalité vécue par ces enfants, un équilibre que Les chevaux de Dieu parvient à atteindre. Cela s’explique peut-être en partie par le fait que Nabil Ayouch, le réalisateur, à vécu une part de cette réalité en grandissant à Sarcelles, une banlieue de Paris à la réputation violente, mais c’est surtout le choix judicieux de recruter la majorité de ses acteurs dans le bidonville où se déroule l’histoire qui nous permet d’y croire.
Les performances des comédien.nes sont en effet convaincantes, malgré des personnages parfois un peu trop archétypaux. Comme c’est souvent le cas dans les récits de passage à l’âge adulte, la sensibilité et l’introversion du protagoniste, Yachine, sont contrebalancées par la violence et l’exubérance de son compagnon, qui se trouve à être son frère Hamid dans ce cas. Cette relation intense se déployant sur plusieurs années et agissant comme fil conducteur est entièrement crédible, la chimie entre les deux acteurs s’expliquant par le fait qu’ils sont réellement frères. Leur contexte familial est également bien introduit, leur père et leur frère éprouvent des problèmes de santé mentale et leur mère, malgré son amour inconditionnel, ne leur fournit pas l’encadrement nécessaire. Pour illustrer son aveuglement devant la radicalisation de ses fils, on la montre souvent, de manière peu inventive, rivée devant un feuilleton. Quand Hamid sort de prison et s’engage plus sérieusement dans l’Islam, on comprend comment celui-ci s’est laissé séduire par l’Imam charismatique Abou Zoubeir, interprété par Mohammed Taleb. Par contre, quand Yachine et ses amis « débauchés » sont approchés par le groupe religieux pour rejoindre leur rang, on saisit moins bien comment ils tombent aussi rapidement dans le radicalisme. En effet, même si tout est mis en place pour expliquer la transition de ces jeunes en perte de repère, le film ne parvient pas à répondre à la question qui fait tout l’intérêt de sa prémisse : comment on se radicalise? La pauvreté, la criminalité et la marginalisation sont les facteurs évidents dans ce cas, mais ils ne sont pas suffisants pour expliquer comment ils s’attachent à une idéologie au point d’en devenir des martyrs.
Au moment où la polarisation et la montée des extrêmes s’exacerbent à l’échelle internationale, il est essentiel de s’attarder aux mécanismes de la radicalisation et d’éviter de sombrer dans le manichéisme. Dans Les chevaux de Dieu, même si on sent la manipulation derrière chaque geste et parole des dirigeants religieux, on parvient à voir l’humain derrière le terroriste, un point de vue courageux considérant que l’histoire est basée sur de réels attentats ayant tué 33 civiles à Casablanca en 2003. Par contre, mis à part le fait que les martyrs provenaient de ce bidonville, les personnages sont fictifs, étant plutôt basés sur le roman Les Étoiles de Sidi Moumen de Mahi Binebine. Au-delà du regard sur cet événement, on sent que le film tente de s’inscrire dans un contexte plus large à travers des images d’archives illustrant la montée du terrorisme à l’international. On assiste entre autres à une séquence dans le bar de quartier où la télévision diffuse en direct les attentats du 11 septembre.
En parallèle, certaines trames secondaires sont esquissées, mais la plupart ne sont jamais entièrement résolues. Par exemple, les questionnements du meilleur ami de Yachine, Nabil, concernant sa sexualité qui diverge du modèle typique masculin de ce monde violent sont abordés indirectement à quelques reprises au début, mais complètement écartés dans la deuxième moitié du film. Dans le même ordre d’idée, le rapport entre Yachine et Ghislaine, une fille dont il est amoureux depuis l’enfance, demeure également surprenamment ténu considérant que c’est une pensée pour elle qui ouvre le récit. Somme toute, même si Les chevaux de Dieu ne nous permet pas de comprendre entièrement le processus de la radicalisation, il demeure convaincant et pertinent dans sa manière de le dépeindre.
Bande-annonce
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