« Now get the fuck off our land. »
[Maintenant, foutez le camp de notre terre.]
Après sa première mondiale à la Berlinale 2021, le film canadien Night Raiders fait enfin sa tournée actuellement dans les principaux festivals du Canada : après le TIFF, où je l’avais raté, le VIFF l’a sélectionné avant de partir pour Montréal où il fait partie de la compétition nationale au Festival du Nouveau Cinéma qui commence le 6 octobre.
En 2043, au lendemain d’une mystérieuse guerre, Niska (Elle-Máijá Tailfeathers), une jeune femme crie, et sa fille de 11 ans, Waseese (Brooklyn Letexier-Hart), se réfugient dans la forêt. Elles tentent d’échapper à l’État qui revendique la propriété de tous les enfants, emprisonnés et formés à la discipline militaire dans des internats. Lorsque Niska perd sa fille aux mains des autorités, elle intègre, au fond des bois, un camp de résistants qui attend un sauveur venu du Nord.
Night Raiders est le premier long métrage de Danis Goulet qui a longtemps été la directrice artistique du festival ImagineNative à Toronto, désigné comme le plus grand festival de films et médias autochtones du monde. Film de science-fiction, il nous plonge dans une dystopie fascinante, transposant, de manière à peine voilée, le triste passé du Canada avec les pensionnats pour autochtones. L’utilisation de la science-fiction est une idée de scénario particulièrement habile quand la grande majorité de la production autochtone se tourne soit vers le passé soit vers le présent pour manifester son engagement social et solidaire envers les communautés qu’elle représente et raconter leurs histoires.
Projeter dans un futur proche, plus ou moins réaliste, les peurs, cauchemars et souvenirs des victimes des écoles résidentielles pose une question existentielle et dérangeante qui transcende le cinéma militant de Danis Goulet. Bien plus qu’un nécessaire devoir de mémoire, son film d’anticipation rappelle que ce passé, embarrassant et inoubliable, continuera de hanter pendant des décennies un pays qui fait aujourd’hui pâle figure, montre patte blanche et déploie beaucoup d’énergie pour mettre en lumière le patrimoine matériel et immatériel des Premiers Peuples. Alors que le Canada vient de célébrer, le 30 septembre, la toute première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation en mémoire des victimes et des survivants des pensionnats pour autochtones, ce changement de paradigme peut sembler récent quand le dernier établissement a fermé ses portes il y a à peine 25 ans, en 1996 précisément, mettant fin à un cycle de campagnes massives d’assimilation pilotées par le gouvernement fédéral et l’Église catholique.
Et si l’histoire recommençait autrement? Avec cette fois, des drones menaçants, des forces de police suréquipées et autoritaires traquant les enfants autochtones avant de les enfermer dans une prison gigantesque et ultra sécurisée afin d’y pratiquer un lavage de cerveau collectif. Dans une forme de catharsis bien maitrisée, Danis Goulet frappe fort par sa subversion, ciblant ainsi la responsabilité des gouvernements successifs du Canada œuvrant à la destruction de la culture et des langues des Premiers Peuples pour mieux contrôler le territoire.
« Long ago, our grandfathers were here. They all lived here. Then this government forced us to leave. »
[Il y a longtemps, nos grands-pères étaient ici. Ils vivaient tous ici. Puis ce gouvernement nous a forcés à partir.]
— Une des résistantes dans le camp
Danis Goulet a vu ses classiques et le film en devient davantage savoureux. Comment ne pas penser à Soleil vert de Richard Fleischer (1973) lorsque les drones du gouvernement jettent des paquets de nourriture aux populations sans abri qu’il maltraite? On se demande d’ailleurs ce que renferment ces paquets dont l’origine est suspecte et on imagine le pire dans cette dystopie : et si cette nourriture était fabriquée à base d’êtres humains, d’enfants autochtones qui refuseraient de se soumettre au système? Les hypothèses vont bon train donnant une profondeur inquiétante au récit.
Les rebelles s’entassent dans des camps de fortune dont les décors bien reconstitués rappellent de grands films du genre (science-fiction comme les films de zombies) qui plongent les spectateurs dans un monde apocalyptique. Des écrans de propagande y sont même installés, faisant penser à Starship Troopers de Paul Verhoeven (1997) qui dénonçait, sous la forme de l’ironie, le fascisme et le militarisme d’un état agressif et impérial. D’ailleurs, les costumes gris de l’armée dans Night Raiders ressemblent à ceux du film de Verhoeven, qui lui-même renvoyait à l’imaginaire du Troisième Reich.
Lorsque Danis Goulet imagine une école résidentielle paramilitaire avec ses jeunes autochtones en rang d’oignons dans la cour extérieure, l’image des jeunesses hitlériennes nous vient à l’esprit. Ces enfants, éloignés de leur famille, sont entrainés à devenir de futurs soldats au service d’une patrie qui déploie sa politique d’assimilation et de terreur. Décérébrés, ces jeunes renient bientôt leurs origines, récitant à longueur de journée un hymne célébrant une nouvelle république écrasant toutes diversités culturelles :
« One country, one language, one flag. »
[Un pays, une langue, un drapeau.]
Si le rythme du film pâlit parfois dans des scènes un peu trop bavardes ou de déjà vu (quand l’héroïne s’infiltre dans la prison pour sauver sa fille, par exemple), les effets spéciaux animant les drones, bras armés de cette politique autoritaire et personnages traumatisants du film, montrent le savoir-faire des studios canadiens en la matière (Compagnie 3 Toronto, en particulier) et construisent une mise en scène plutôt spectaculaire et crédible. La scène finale d’affrontement entre l’armée, ses drones, et les résistants autochtones est particulièrement réussie, faisant appel à la mémoire, récente et lointaine, des luttes de territoires qui ont traversé la construction du pays et marginalisé un peu plus les communautés autochtones. Mais, la cinéaste convoque l’imaginaire, et sur le chant cri d’un vieux chef, la prophétie se réalise : la gardienne de la communauté montre son visage pour sauver les siens et les libérer des mains de l’occupant.
Sous ses airs de film de genre parfois un peu convenu, la grande force de Night Raiders est de porter un sous-texte vindicatif qui contribue à perpétuer l’héritage et l’histoire des Premiers Peuples, chassés et persécutés. C’est aussi la grande force du cinéma de porter ces valeurs de résilience et d’injecter dans un monde imaginaire les peurs du présent et les blessures du passé.
Note : 8 /10
Night Raiders est présenté au VIFF, du 1er au 11 octobre 2021.
Bande-annonce :
Titre original : Night Raiders
Durée : 97 minutes
Année : 2021
Pays : Canada/Nouvelle-Zélande
Réalisation : Danis Goulet
Scénario : Danis Goulet
© 2023 Le petit septième