2021 est une année spéciale pour le Vancouver International Film Festival qui fête sa 40e édition et propose une expérience de festivalier au format hybride comme ce fut le cas au TIFF qui s’est achevé il y a quelques jours. Il sera donc possible, pour les plus chanceux, de découvrir les films sur le grand écran, sentir à nouveau l’énergie physique et débordante d’un évènement culturel : les cérémonies d’ouverture et de clôture, les discours parfois captivants, parfois interminables, croiser du (beau) monde et courir, le programme dans la poche, aux projections diffusées sur les écrans partenaires disséminés dans la ville. Bref, être là physiquement avec d’autres humains, avec sa part d’attente, d’impatience, d’adrénaline et de bonheurs à partager autour d’un verre ou d’un repas avant ou après la projection. Pour les moins chanceux dont je fais partie, car très éloigné de Vancouver, c’est un grand plaisir de pouvoir suivre à distance – sans file d’attente – la sélection captivante du festival grâce à sa plateforme digitale mise en place l’année dernière alors que le VIFF se déroulait totalement en ligne.
Ceci étant dit, je lisais il y a quelques jours un article du Monde qui faisait un bilan en demi-teinte du TIFF dont le format hybride a poussé nombreuses de productions hollywoodiennes et d’ailleurs à faire cette année leur première plutôt à Venise, qui se déroulait alors une semaine plus tôt et intégralement en présentiel (tout comme Cannes en juillet avec un protocole sanitaire ad hoc). Le TIFF se ferait-il détrôner sa place de leader mondial en raison de son organisation hybride?
Un journaliste new-yorkais qui se rend chaque année à Toronto partageait récemment son expérience d’un festival invisible sur la rue King autour du TIFF Bell Lightbox, sans foule et sans tapis rouge. Ce format hybride qui étend la visibilité d’un festival et offre une fenêtre d’exposition en ligne à travers tout un pays, y compris dans ses zones reculées et éloignées des lieux culturels, a assurément un côté démocratique et inclusif qu’il faut absolument souligner. Néanmoins, cette pratique, si elle en venait à devenir coutumière, redéfinit finalement à la fois notre rapport aux images animées, à leur mode de consommation, et notre rapport au temps, à notre temps disponible pour être soit un consommateur de culture connectée soit un spectateur de cinéma. Un festival hybride boudé en mode présentiel, mais complet en mode virtuel est-il encore un succès? Pour moi, rien ne remplacera la magie d’un festival qui se tient dans un quartier d’une ville, l’anime durant quelques jours avec sa frénésie et ses foules de badauds et de festivaliers de tout âge qui se pressent vers les lieux de projections, ainsi que vers les commerces environnants pour poursuivre le plaisir de l’aventure.
Parmi les 110 longs métrages présentés au VIFF, j’ai déjà eu l’occasion de voir quelques films programmés auparavant au TIFF, à Cannes ou Berlin. C’est avec un immense plaisir que je partage avec vous les titres que j’ai aimés le plus, dont certains m’ont littéralement bouleversé.
Cette fiction signée par la réalisatrice Ayten Amin nous vient d’Égypte et fait sa première au Canada au VIFF, après avoir été sélectionnée à Cannes et Berlin. Dans une petite ville sur le delta du Nil, Souad, 19 ans, est tiraillée entre les contraintes religieuses et conservatrices imposées par sa famille et une vie secrète et fantasmée dans laquelle elle se projette à travers les réseaux sociaux. Perdue entre ces deux mondes, ses ambitions sont écrasées par la réalité.
Animé par une envoûtante caméra en style direct et une brillante mise en scène, Souad tient en haleine du début à la fin, sur le concept d’un trio rhomérien gouverné par le désir et le secret, en passant de l’histoire romancée et tragique de Saoud à celle de sa petite sœur et de leur amant Ahmed. Le film livre un regard amer sur la liberté de la jeunesse égyptienne dans un pays où il y a une dizaine d’années le Printemps arabe avec ses contestations a conduit à la chute du président despotique Hosni Moubarak après 30 ans au pouvoir. Mais si révolution il y a eu, les traditions sont restées ancrées fortement et les personnages féminins (Souad et sa sœur qui la trahit en flirtant avec son copain Ahmed) jonglent avec la frontière entre ce qui est admis dans une société patriarcale et ce qui doit être caché ou tu.
La cinéaste Ayten Amin brille par son engagement en faveur du droit des jeunes femmes de son pays, prises en étau entre leurs aspirations individuelles (la liberté sexuelle, l’émancipation sociale), la pression des réseaux sociaux et le poids des coutumes qui emprisonnent leurs pulsions de vie.
Note : 8,5 /10
Fiche technique :
Titre original : Souad
Durée : 96 minutes
Année : 2020
Pays : Égypte, Tunisie, Allemagne
Réalisation : Ayten Amin
Scénario : Ayten Amin, Mahmoud Ezzat
Après le TIFF, Wildhood, lumineux film canadien, poursuit son périple jusqu’à Vancouver. Après avoir fui un père violent, Link et son demi-frère se lancent dans un long périple pour retrouver la mère de Link qui l’a abandonné et vit isolée dans une communauté. Saisissant road movie dans des décors naturels et bucoliques de l’Est du Canada, Wildhood est un voyage initiatique, à la fois sensoriel et musical, au cours duquel le jeune Link va découvrir les plaisirs charnels et se rapprocher de ses racines Mi’kmaw grâce à un jeune autochtone qui s’invite dans l’aventure aux côtés des deux frères.
Si le happy end paraît convenu et prévisible et si le film touche parfois à un sentimentalisme fleur bleue, la musique envoutante, l’interprétation convaincante et la belle photographie font de Wildhood un film à voir : un film dans l’air du temps mettant en lumière la diversité et la richesse du patrimoine culturel du Canada et la délicate réhabilitation et transmission de la langue et culture Mi’kmaq dont est originaire le cinéaste Bretten Hannam.
Note : 7,5 /10
Fiche technique :
Titre original : Wildhood
Durée : 100 minutes
Année : 2021
Pays : Canada
Réalisation : Bretten Hannam
Scénario : Bretten Hannam
La découverte de Charlotte alors que le film faisait sa première mondiale au TIFF a été un choc émotionnel et pictural, un plaisir des sens, l’un des plus beaux films que j’ai vus au TIFF cette année : une œuvre complexe dans la sombre histoire d’une famille maudite au cœur des pages meurtries de l’Histoire.
Berlin, années 30. Charlotte Salomon est une jeune fille de bonne famille, frondeuse. Lors d’un voyage à Rome, elle visite la chapelle Sixtine et découvre le plafond de Michel-Ange. C’est une épiphanie, elle veut devenir artiste-peintre. Elle passe le concours et est reçue à l’Académie des Beaux-Arts de Berlin. Face à la montée du nazisme, juive, elle se réfugie à Villefranche-sur-Mer dans le Sud_Est de la France. L’art s’impose comme le seul moyen d’échapper à son destin tragique.
Fruit d’une inspirante coproduction avec la France et la Belgique, le Canada continue d’écrire ses lettres de noblesse dans le cinéma d’animation. La technique de l’animation y est fabuleuse et fluide rendant grâce à la beauté des décors et des peintures tantôt enchantées, tantôt mélancoliques de cette artiste prodigieuse et prolifique, morte à Auschwitz en 1943. Le récit suit la puissance créative de Charlotte qui souhaite immortaliser sa vie dans une œuvre autobiographique et profiter dans le même temps des joies de la vie amoureuse. Elle sait que le temps presse, elle sent qu’elle va bientôt mourir : une malédiction règne dans sa famille avec un mal de vivre et des tragédies, et la guerre s’approche à grands pas prenant une tournure inquiétante avec les rafles qui se multiplient.
Note : 9 /10
Fiche technique :
Titre original : Charlotte
Durée : 92 minutes
Année : 2021
Pays : Canada, France, Belgique
Réalisation : Eric Warin et Tahir Rana
Scénario : Erik Rutherford, David Bezmozgis
Un autre choc au TIFF avec Yuni qui a remporté là-bas le Platform Prize dans une catégorie de films réservée à des talents artistiques qui font preuve d’une forte vision personnelle. Le film suit la vie d’une adolescente indonésienne qui fréquente une école islamique et dont les rêves d’émancipation et d’accès à l’éducation universitaire se brisent le jour où elle reçoit des propositions de mariage.
Reposant sur une excellente distribution et une brillante mise en scène parfaitement orchestrée du côté de son héroïne avec des cadres savamment composés, la cinéaste Kamila Andini livre un plaidoyer pour la liberté et le droit des femmes dans un système patriarcal qui les prive d’éducation supérieure et perpétue alors la suprématie des hommes. Yuni est un film charnel plein de sensualité, et brille ainsi par son audace en mettant à mal les barrières dans un pays conservateur qui permet notamment aux écoles de réaliser des tests de virginité afin de s’assurer que les jeunes étudiantes n’ont pas commis d’impair.
Tabou, vie intime secrète, les femmes et les hommes (qui défilent dans la maison familiale de Yuni pour demander sa main) doivent conjuguer ou s’affranchir des règles traditionnelles. Yuni veut briser ses chaines, libérer ses désirs de jeune femme et flirte avec son doux admirateur à qui elle soutire des poèmes pour impressionner son professeur de littérature et avoir une chance d’être choisie pour aller à l’université. Mais, la réalité est implacable et les espoirs d’accéder à une vie meilleure s’estompent dès lors que les femmes ne peuvent accéder à l’université si elles sont mariées et que les coutumes familiales les obligent à se marier à défaut d’être répudiées à vie.
Note : 9 /10
Fiche technique :
Titre original : Yuni
Durée : 95 minutes
Année : 2021
Pays : Indonésie, Singapore, France, Australie
Réalisation : Kamila Andini
Scénario : Kamila Andini, Prima Rusdi
Attention, ce documentaire d’animation qui nous plonge dans les souvenirs d’un réfugié afghan arrivé en Europe dans les années 1990 est un chef-d’œuvre! Je vous en parle dans un texte qui sera publié au cours du VIFF!
Note : 9,5 /10
Fiche technique :
Titre original : Flee
Durée : 90 minutes
Année : 2021
Pays : Danemark, Suède, Norvège, France
Réalisation : Jonas Poher Rasmussen
Scénario : Jonas Poher Rasmussen, Amin
Comme j’avais raté ce film très attendu au TIFF, j’ai été ravi de le découvrir dans la programmation du VIFF. Night Raiders est un film de science-fiction canadien qui nous plonge dans une dystopie fascinante, transposant en 2043 le triste passé du Canada avec les pensionnats autochtones. Ma critique suivra bientôt!
Note : 8 /10
Fiche technique :
Titre original : Night Raiders
Durée : 97 minutes
Année : 2021
Pays : Canada, Nouvelle-Zélande
Réalisation : Danis Goulet
Scénario : Danis Goulet
Sélectionné à la Berlinale plus tôt cette année, Brother’s Keeper me fait encore frissonner de froid et d’effroi. Le film fait sa première au Canada grâce à la programmation ambitieuse et exigeante du VIFF. À ne pas manquer!
Au cœur de la région montagneuse de l’Anatolie en Turquie, l’hiver glacial rend les conditions de vie hostiles dans un pensionnat pour jeunes Kurdes, ceci amplifié par une panne de chauffage et des enseignants autoritaires qui mènent les enfants à la baguette. Quand le petit Memo tombe malade à la suite d’une punition qui lui fait prendre une douche froide, son ami Yusuf lui vient en aide, alerte les adultes incrédules et le porte sous la neige tombante dans l’infirmerie glaciale sous équipée. Yusuf veille au grain et incarne un médiateur autodésigné entre une enfance maltraitée et un monde des adultes violent. Volontaire et humble, habité à la fois par la bonté et la détresse, il fait penser aux jeunes héros du cinéma d’Abbas Kiarostami.
La caméra à l’épaule, anthropomorphique, ajoute une tension dans le déroulement des évènements à mesure que l’état de Memo s’aggrave et nécessite un médecin qui ne peut venir en raison des conditions climatiques. Le cinéaste Ferit Karahan insuffle alors dans son œuvre un suspense intenable avec l’image d’un pensionnat enneigé, coupé du monde et replié sur lui-même, où règnent la peur et les mauvais traitements, laissant à la manœuvre des adultes insensibles et irresponsables.
Note : 8,5 /10
Fiche technique :
Titre original : Okul Tıraşı
Durée : 85 minutes
Année : 2021
Pays : Turquie, Roumanie
Réalisation : Ferit Karahan
Scénario : Ferit Karahan, Gülistan Acet
Finissons, cette sélection sur une note plus joyeuse avec la comédie douce-amère et totalement délirante signée par le grand Albert Dupontel (le réalisateur du cultissime Bernie) : Adieu les cons, qui a remporté en France en 2021 (entre autres) les Césars du Meilleur film français, de la Meilleure réalisation et du Meilleur scénario original.
Lorsque Suze Trappet (Virginie Efira) apprend à 43 ans qu’elle est sérieusement malade, elle décide de partir à la recherche de l’enfant qu’elle a été forcée d’abandonner quand elle avait 15 ans. Sa quête administrative va lui faire croiser JB (Albert Dupontel), quinquagénaire en plein burn-out, et M. Blin (Jackie Berroyer), archiviste aveugle d’un enthousiasme impressionnant.
Albert Dupontel nous livre encore une fois une œuvre singulière et insolente, pimentée par des dialogues pince-sans-rire et sarcastiques et par une fin du film (un peu trop?) romanesque. Entre pulsion misanthropique et désir d’humanité, il continue son œuvre en dressant, dans le sous-texte, un portrait critique de notre société peuplée de personnages farfelus et marginaux, en proie — comme nous — aux délires d’un monde bureaucratique et sclérosé. Vous allez vous éclater!
Note : 8 /10
Fiche Technique :
Titre : Adieu les cons
Durée : 88 minutes
Année : 2020
Pays : France
Réalisation : Albert Dupontel
Scénario : Albert Dupontel
© 2023 Le petit septième