« C’est ici que tu vas mourir! Seul! »
Il y a une longue tradition, aux États-Unis, de voir les comédiens passer derrière la caméra. Des célébrités comme Sylvester Stallone, Kevin Costner, Ben Affleck, Denzel Washington, ou, beaucoup plus récemment, Greta Gerwig, ont ainsi réalisé nombre de films à succès. Du côté du cinéma plus indépendant, certains acteurs sont également reconnus comme des cinéastes de talent, d’Orson Welles à George Clooney, en passant par Warren Beatty, Tommy Lee Jones, Robert Redford, Sydney Pollack, John Cassavetes et Dennis Hopper.
Il arrive parfois, également, que des acteurs ne fassent qu’une ou deux incursions dans le monde de la réalisation, avant de retourner au jeu. Ce fut le cas pour Robert Duvall, Forrest Whitaker, Gary Oldman ou Paul Dano (jusqu’à présent). Avec son premier long-métrage, l’acteur-peintre-musicien-poète dano-américain Viggo Mortensen s’inscrit bel et bien parmi les auteurs. Cependant, j’ose espérer que Falling (Chute libre) ne représentera pas un unique opus pour Mortensen, car si le film recèle des qualités indéniables, il comporte également beaucoup d’éléments perfectibles typiques des premières œuvres, qui auraient besoin de futurs projets pour s’affiner. Le style de Mortensen semble encore en gestation, Falling — auréolé du label « Cannes 2020 » — pourrait être le début d’une belle filmographie, mais n’est pas suffisamment marquant en lui-même.
John (joué par Mortensen lui-même) vit en Californie, loin de la vie rurale qui l’a vu grandir et qu’il a abandonnée depuis des années. Il vit une existence tranquille en compagnie de son mari (Terry Chen) et de sa fille, à proximité de chez sa sœur Sarah (Laura Linney). Le père de Sarah et John, Willis (Lance Henriksen), vit seul sur une ferme en décrépitude où ses enfants ont grandi. La santé mentale de Willis se faisant déclinante, son fils l’invite en Californie, espérant qu’il s’y installe, en une ultime tentative de rapprochement. Les espoirs de John sont contrecarrés par le refus obstiné de changer, dont Willis fait preuve. La situation dégénère jusqu’au déchirement final du cocon familial.
Les deux principales qualités de Falling sont son scénario et la direction d’acteurs de Mortensen. Le récit offre une représentation assez réaliste de la démence sénile et des violences psychologiques pouvant exister dans une famille. La structure non linéaire du récit est efficace et la plupart des scènes sont bien rythmées par les dialogues. Les moments les plus difficiles sont abordés sans surenchère et avec sobriété. Le long-métrage est surtout un pied de nez bien senti à l’obsession que le cinéma américain nourrit pour les sacrosaintes « valeurs familiales », laquelle conduit invariablement tout film traitant de familles dysfonctionnelles à une finale larmoyante où tout est pardonné, même dans des cas où certains membres d’une famille sont d’inqualifiables déchets humains (pensons à Walk the Line et Boy Erased). Dans Falling, nul espoir de réconciliation. Le film n’est qu’une succession de conflits et de scènes inconfortables de moins en moins facile à supporter. Le personnage de Willis est presque dépourvu de qualité, chacune de ses interventions est un supplice. Il s’agit d’un parti pris d’auteur assez audacieux de la part de Mortensen de bâtir tout son scénario autour de ce personnage aussi antipathique. Le film y gagne en réalisme et en tension.
Lance Henriksen, du haut de ses quatre-vingts ans, interprète avec beaucoup d’énergie le rôle du vieil acariâtre. Sa performance atteignant son paroxysme lors de certains moments de bravoure pour le moins impressionnant. Linney et Mortensen livrent des performances également impressionnantes, toutes en tensions et en colère renfrognée, jusqu’à l’explosion finale. Il serait intéressant d’investiguer si les acteurs se faisant réalisateurs portent davantage attention au jeu. Dans le cas de Mortensen, la question ne se pose pas.
Du reste, la mise en scène ne comporte pas beaucoup de fulgurances, elle sert surtout à appuyer le travail des acteurs. Le réalisateur, ayant visiblement étudié son Dreyer, multiplie les plans rapprochés, mettant le visage des personnages en plein centre de l’écran. Le montage contient également quelques astuces intéressantes. Par contre, le film contient beaucoup trop de passages où les protagonistes fixent le vide et sont envahis par des souvenirs, incarnés par des plans sans saveur sur la nature. N’est pas Terrence Malick qui veut.
Les erreurs de montage ne sont pas le plus gros problème du film, qui souffre de longueurs. Certaines scènes sont maladroites au possible et diminuent grandement l’efficacité de l’ensemble. Tous les passages traitants de la chasse comme une activité père-fils réconciliatrice, sont d’un cliché consommé. Les longues conversations tournant autour de sujets scatologiques sont à pleurer tant elles sont ridicules. Ces dérapages peuvent s’expliquer en prétextant les « erreurs de débutant », mais il serait souhaitable que le réalisateur ne reste pas au stade de débutant et réalise d’autres projets. Si Falling demeure l’unique long-métrage de Mortensen, les défauts du film sont suffisants, à mon sens, pour rendre le visionnement, au final, assez peu mémorable et teinté d’un sentiment d’imperfection. À surveiller dans tous les cas.
Note : 6/10
Bande-annonce
Titre original : Falling
Durée : 112 minutes
Année : 2020
Pays : Canada, Royaume-Uni, Danemark
Réalisateur : Viggo Mortensen
Scénario : Viggo Mortensen
© 2023 Le petit septième
Où peut-on le regarder avec stf?
Merci 🙂
Pour le moment, il est disponible sur l’application Apple TV et sur Telus.