Lorsque Marcy (Siobhan Williams) assiste à une tuerie de masse par un employé qu’elle avait auparavant renvoyé, elle ressent le besoin de s’en aller. À mi-chemin de la route qui la mène jusqu’à sa sœur en Californie, elle s’arrête à Bright Hill Road, un hôtel au bord de la route. Elle y sera confrontée à ses propres démons, aussi bien sa dépendance que son passé qui la hante.
La première scène s’ouvre sur l’appartement de Marcy à son réveil, jonché d’une quantité impressionnante de bouteilles. Mini et gros format, vin, spiritueux, vodka, Marcy ne cesse de boire : à son réveil, en voiture, lors de son séjour à Bright Hill Road. Au fur et à mesure que l’intrigue se dévoile, on comprend les raisons qui ont mené à cette habitude, le réalisateur nous montrant bien que son addiction la conduit à des mauvais choix qu’elle essaye d’oublier en buvant : le cercle vicieux s’est refermé autour d’elle. Et même lorsque Marcy, dans cet hôtel particulier, essaye de se défaire de ce « pattern », certaines forces pour le moins obscures l’y ramènent. Ainsi, elle ne cesse de trouver dans sa chambre des bouteilles de vin auxquelles sont rattachés des messages de bienvenue ou des souhaits.
Les quantités d’alcool ingurgitées sont si astronomiques qu’on a parfois l’impression de passer du tragique à l’absurde, nous faisant ainsi perdre de vue l’ampleur du désastre. Le constat est par ailleurs le même en ce qui a trait au sang qui ne cesse de couler.
Apparaissant elle aussi au tout début de l’histoire, notamment avec la tuerie de masse, la violence, couplée à l’alcool, donne lieu à un cocktail aussi explosif que troublant. Comme spectateur, on s’interroge beaucoup sur la pertinence de la tuerie dans les premières scènes. Pourquoi le réalisateur choisit-il d’en faire des femmes les principales victimes? Mais, ce qui nous laisse davantage circonspects, c’est qu’une fois à Bright Hill Road, ce trauma-là parait secondaire par apport aux autres que revit Marcy, notamment la violence de son père, ainsi que l’incendie qu’intoxiquée, elle aurait déclenché dans la maison familiale.
Dans une intrigue qui met très bien en scène la perte de contact avec la réalité, Marcy se retrouve souvent face une image d’elle-même abondamment ensanglantée, parfois même décharnée, comme si elle avait perdu son humanité et qu’il ne lui restait plus que la douleur.
La violence faite aux femmes est aussi incarnée par le personnage d’Owen, le seul autre résident de l’hôtel, véritable prédateur, qui n’hésite pas à attirer Marcy dans ses filets pour pouvoir en abuser : la mise en scène de sa manipulation et de sa violence nous fait froid dans le dos et nous glace le sang.
Bright Hill Road, c’est l’endroit où Marcy choisit de se réfugier, mais est-ce vraiment un choix? Tout autour de cet endroit est mystérieux. Il y a d’abord le fait qu’on ne sait pas comment Marcy s’y est rendu, ensuite, il y a Mrs Inman, l’intendante aux allures austères qui connait trop de choses de la vie de ses invités pour que cela ne soit pas suspect. Et puis, il y a l’hôtel en lui-même. S’il est au bord d’une route ensoleillé, il est surtout très sombre et dégouline d’unheimlich par chacun de ses murs. Aussi, le crucifix présent de la chambre de Marcy ne la protège pas de l’enfer qui s’y déchaine, surtout que, malgré plusieurs tentatives, Marcy ne parvient pas à quitter cet endroit déroutant. Là aussi, Robert Cuffley explore la mince frontière entre le réel et la perte de contact avec ce dernier. Pourtant, la mise en scène de l’hôtel est l’un des aspects les moins réussis de son film. Les mains qui sortent des murs, les cris aussi stridents qu’abondants, les grandes effusions de sang et les apparitions sporadiques ne nous éloignent pas des clichés du genre, et nous font quelque peu sourire à défaut de nous faire peur, lorsque ça ne s’étire pas en longueur.
Il n’en demeure pas moins que Bright Hill Road demeure un film intéressant, ne serait-ce que par les thèmes qu’il aborde et qui font écho, non sans une certaine angoisse, à la réalité de ces derniers mois. Que l’on pense aux effets néfastes que peut produire une solitude subie, notamment une consommation d’alcool excessive ou une dégradation de la santé mentale, aux tueries de masse comme en Nouvelle-Écosse l’été dernier, à la recrudescence des violences conjugales, ou au nombre de féminicides qui demeure élevé, on a l’impression, tout comme Marcy, de ne pas pouvoir échapper à ces événements qui n’en finissent plus.
Note : 6/10
Titre original : Bright Hill Road
Durée : 91 minutes
Pays : Canada
Réalisateur : Robert Cuffley
Scénario : Susie Moloney
© 2023 Le petit septième