« L’Afrique c’est pour la géographie, l’Histoire c’est pour l’Europe. »
Rwanda, 1973. Dans le prestigieux institut catholique Notre-Dame du Nil, perché sur une colline, des jeunes filles rwandaises étudient pour devenir l’élite du pays. En passe d’obtenir leur diplôme, elles partagent le même dortoir, les mêmes rêves et les mêmes problématiques d’adolescentes – mais aux quatre coins du pays comme au sein de l’école grondent des antagonismes profonds qui changeront à jamais le destin de ces jeunes filles et de tout le pays.
Avec Notre-Dame du Nil, tiré du roman éponyme de Scholastique Mukasonga, Atiq Rahimi nous plonge au coeur de ce qui a mené, 20 ans plus tard, au génocide rwandais. Un film aux qualités éducationnelles.
Plusieurs thèmes sont au centre du troisième long métrage de Rahimi. Parmi ceux-ci, on retrouve les sensibles thématiques du colonialisme et du génocide. A priori, ces deux thèmes peuvent sembler loin l’un de l’autre, mais le réalisateur réussit à démontrer comment ceux-ci sont liés.
Il y a un personnage assez mystérieux : monsieur de Fontenaille interprété par Pascal Greggory. Il représente l’Européen possiblement plein de bonne volonté, qui veut aider les Tutsi en montrant qu’ils ne sont pas inférieurs aux Hutu. On montre d’ailleurs qu’il possède de vieilles photos et de vieux dessins où l’on voit des Hutu, des Tutsi et des Twa poser ensemble. Et puis, à côté, il y a celle d’un anthropologue allemand en train de mesurer le nez d’une personne, pour mieux établir des différences physiques entre les individus.
Bien que ses intentions soient bonnes, ce genre de “wanna be” anthropologue ne fait que faire augmenter la tension entre les deux ethnies qui, avant l’arrivée des colons, ne démontraient pas de réelle animosité. En agissant ainsi, il alimente une légende sur laquelle sera fondé le génocide rwandais, comme l’ont fait les chrétiens dans beaucoup de pays, malheureusement. Le colonialisme et le christianisme ont souvent participé à la création de mythes pour diviser et mieux régner.
Le réalisateur utilise un autre moyen plus subtil mais efficace. Dans le dortoir, on distingue des photos de personnalités de l’époque accrochées au mur : Brigitte Bardot, Johnny Hallyday… Que des blancs… Un peu comme les jeunes du monde entier accrochent actuellement, sur leurs murs, des affiches de stars américaines. En effet, le rêve pour toutes ces jeunes filles rwandaises était le monde blanc. Elles ont été élevées comme ça. Une des sœurs de l’Institut dit d’ailleurs : « L’Afrique c’est pour la géographie, l’Histoire c’est pour l’Europe. »
À mesure que le film avance, on voit la haine qui se développe entre les filles. Comme ce fut le cas dans la majorité des génocides, c’est principalement un des deux groupes qui attaque l’autre. Ici, se sont les Hutu qui s’en prennent aux Tutsi.
Notre-Dame du Nil se passe dans un institut catholique pour jeunes filles dans les années 1970. À ce moment, le Rwanda est un pays dominé par un pouvoir absolu. Ce n’est pas le peuple qui décide et choisit son système politique pour le meilleur et pour le pire, mais des élites, des technocrates et des chefs. Les filles de cette école sont, pour la majorité, les filles de ces gens.
Comme dans ses autres films, le réalisateur traite du sacré et du spirituel afin de présenter, de façon plus large (peut-être un peu trop large) les thèmes réels de son film, soit le racisme et les querelles ethniques. Pour mettre les gens en opposition, l’église et le pouvoir colonialiste sacralisent une partie du peuple afin de lui donner l’illusion de sa supériorité. On retrouve la même chose dans la Bible, que le réalisateur cite lors d’une séquence à l’église où le prêtre fait référence au fameux passage de Noé. Certains colonialistes et racistes interprètent ce texte en liant le sort de Canaan à celui de tous les descendants de Cham, pour justifier l’esclavage des noirs.
Notre-Dame du Nil est divisé en quatre chapitres : « L’innocence », « Le sacré », « Le sacrilège » et « Le sacrifice ».
Afin de contrebalancer la place de la religion et du colonialisme, le réalisateur insère, de façon un peu maladroite, un personnage de sorcière, faisant partie des personnages énigmatiques mentionnés plus tôt, qui représente les croyance spirituelles ancestrales du peuple rwandais. Le christianisme vient plus tard, de l’extérieur ; il est le fruit de la colonisation. Pour ces jeunes filles, cette sorcière pourrait inconsciemment représenter un refuge dans leur imaginaire ancestral, tel qu’on le remarque dans les deux dernières parties du film.
Comme l’explique le réalisateur, « Le génocide des Tutsi en 1994 n’a pas été commis d’une manière immédiate et sans prémices. Tout a commencé à partir de 1959 avec le renversement de la monarchie par le clan Hutu. Puis, en 1973, avec la chasse des élites et des intellectuels afin de préparer ce que l’on appelle “Le Génocide populaire”. Il leur fallait d’abord chasser puis anéantir la conscience rwandaise. C’est dans cette période préparatrice que se déroule l’histoire de Notre-Dame du Nil. »
Note : 7/10
Notre-Dame du Nil est présenté au Festival Vues d’Afrique les 25 et 26 avril 2020.
Visionnez la bande-annonce :
© 2023 Le petit septième