En avril 2016, un séisme secoue le monde de l’art. Un tableau perdu du Caravage aurait réapparu. Découvert par hasard dans une propriété de la région toulousaine, il s’agit d’une nouvelle représentation de Judith égorgeant Holopherne. L’excitation est à son comble dans le milieu de l’art! L’attribution est débattue, les spécialistes se disputent au sujet du tableau, le ministère français de la Culture bloque son exportation, la curiosité du public augmente et le marché s’emballe… Le tableau est estimé à 120 millions d’euros aux enchères : un record pour un tableau ancien.
L’affaire Caravage c’est une rencontre entre l’art du tournant du 17e siècle et le marché de l’art du 21e, la recherche en histoire de l’art et les enjeux commerciaux qui y sont rattachés. Et le mélange que propose Frédéric Biamonti est réussi.
Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit le Caravage, artiste à la vie mythique ayant vécu à la charnière du 16e et du 17e siècles, est l’instigateur du mouvement stylistique qui en tire son nom : le caravagisme. Caractérisées par des clairs-obscurs puissants et une violence évidente, ses oeuvres détiennent un pouvoir émotionnel hors norme qui en fait un peintre incontournable. Encore aujourd’hui, il demeure une source d’inspiration pour de nombreux artistes contemporains.
C’est ainsi que Biamonti le présente dans L’affaire Caravage, évoquant notamment sa touche à l’avant-garde de l’expressionnisme. Ces comparaisons, soyons honnêtes, ont des allures de déjà vu. Il semble que cette façon d’identifier les maîtres de la Renaissance comme des précurseurs des mouvances actuelles soit un procédé fréquent dans les films traitant d’art ancien. Comme si ça légitimait le fait d’en parler. Mais, ici, la fortune critique du Caravage est fondamentale. Elle permet la réunion des deux aspects de ce documentaire: l’art du 17e siècle et le marché de l’art actuel, un assemblage savamment orchestré.
En effet, L’affaire Caravage nous transporte dans le récit du tableau perdu Judith et Holopherne, de sa découverte à sa vente, en passant par les multiples expertises. Il montre, ce faisant, différentes méthodes d’analyse utilisées en histoire de l’art afin de révéler la généalogie du tableau. Cet odyssée est en outre l’occasion d’entrer dans les ressorts du monde, presque répugnant, des enchères et de la spéculation du marché de l’art. Cet amalgame produit un documentaire intrigant, qui nous tient en haleine du début à la fin.
On pourrait reprocher à Biamonti les procédés sensationnalistes utilisés pour accompagner les propos: la musique aux allures de suspenses par exemple. Certes, le scénario d’enquête est bien à la mode dans les documentaires traitant d’art ancien… Il constitue évidemment un moyen efficace d’attiser l’intérêt pour la culture mais, face à cet engouement qui ne semble pouvoir être créé autrement, je ne peux m’empêcher d’être amère.
En même temps, j’aime bien pensé, à l’instar d’un chercheur que j’admire beaucoup, que nous, les historiens de l’art, sommes en quelques sortes des détectives. Quoi de mieux pour convaincre de la pertinence de notre travail que de le montrer ainsi?
Note: 8,5/10
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