« Ce monde-là, finissent toute en prison, quand c’est pas avec une balle dans l’front.»
Les Gamache, tailleurs de père en fils, habillent la famille mafieuse Paternò depuis trois générations. Vincent « Vince » Gamache travaille pour le compte du parrain Frank Paternò et de son fils ainé Giaco. Vince, impétueux, monte un grand coup pour impressionner le parrain, attisant la jalousie de Giaco. Une guerre éclate.
Nouvel opus de Daniel Grou après King Dave, long métrage en un seul plan-séquence, Mafia Inc. se révèle être un projet aussi ambitieux que son prédécesseur, mais pour des raisons différentes. En effet, PODZ s’attèle à la tâche d’introduire une fresque mafieuse à la Scorsese dans le paysage cinématographique québécois, au cœur duquel les récits de ce type sont plutôt rares depuis les premiers Arcand (La maudite galette, Réjeanne Padovani).
Le moins que l’on puisse dire c’est que le pari est réussi. Le récit proposé par PODZ s’ancre tout naturellement dans le cadre montréalais. Avec la tradition de crime organisé de la métropole, il est d’ailleurs surprenant que si peu de films s’attaquent à ce sujet. Mafia Inc. explore plusieurs grands chapitres de cette histoire peu reluisante. La famille Paternò est bien entendu un reflet des familles Rizzuto ou Cotroni, le personnage de Gamache est inspiré du tristement célèbre bras droit francophone de Rizzuto, Raynald Desjardins. L’intrigue se déroule dans les années 1990, une période charnière dans l’histoire du crime organisé, qui a vu l’implication de la mafia montréalaise dans le projet annulé du Pont de Messine entre la Sicile et l’Italie continentale. Le film fait aussi apparaitre le West End Gang et les motards.
À ce propos, le scénario du film est politique, car il expose la corruption des gouvernements Berlusconi – derrière l’idée du pont – et Chrétien. L’infiltration de ce dernier par la pègre cause un ralentissement de l’enquête de la GRC qui vise à mettre la famille criminelle derrière les barreaux, en une sous-intrigue fascinante qui détaille la mise en place d’une opération policière de l’ampleur de Colisée. Il faut dire que le scénario, bien documenté, est écrit par les deux journalistes auteurs du livre éponyme, accompagnés de Sylvain Guy, le scénariste du premier film de Jean-Marc Vallée qu’est Liste noire.
Bien sûr, la rigueur réaliste du film ne l’empêche pas de donner dans le baroque survolté et la fulgurance gore qui caractérise les films de gangsters américains. Mafia Inc. contient ces scènes de meurtre et de torture qui font la marque de ce type de cinéma. Elles sont bien souvent accompagnées de musique pop et surviennent au terme de plans-séquences qui amènent le spectateur à la découverte de corps mutilés. PODZ, l’a-t-on assez dit, pastiche bien le style de Scorsese, surtout l’aspect grandguignolesque que le maitre américain donne aux scènes violentes. Certains hommages à Coppola et à De Palma sont par ailleurs un peu trop appuyés, comme la fusillade finale du film qui est un calque de la finale de Scarface. Notons tout de même que le ralenti qui ferme le film, au son de Felicità, ne manque pas de glamour.
De même, le film respecte la structure traditionnelle du récit mafieux, avec les personnages qui sont au sommet de leur succès en milieu de film, avant que les rivalités, les trahisons familiales et la déchéance morale ne les mènent à leur perte. Les péripéties se succèdent à un rythme haletant. Mafia Inc. innove sur cette structure en montrant la chute de deux caïds : Gamache et Paternò, tous deux interprétés par des acteurs au sommet de leur art.
L’ensemble est réussi, malgré le fait qu’à force de vouloir imiter les films italo-américains, le film tombe dans le cliché. Ainsi, tous les gestes stéréotypés liés aux Italiens sont présents. De la mamma qui engueule ses enfants, au vieillard qui secoue son index et son majeur collés à son pouce, en passant par le patriarche qui pince la joue d’un de ses hommes de main ou qui empoigne la tête de son fils entre ses deux mains en marmonnant qu’il est le père de cette famille, tous les lieux communs y passent. Mon impatience devant cet aspect du film ne relève pas d’un politiquement correct gnangnan qui crierait à l’appropriation culturelle, mais plutôt d’une insatisfaction esthétique de voir des clichés déjà éculés dans les années 1980 être servis dans un film autrement très réussi.
Il faut dire que le style de PODZ correspond bien au film de mafieux. Sa passion des récits sombres fait de lui un excellent candidat pour mener à bien une histoire criminelle. Son amour des environnements sombres est cohérent avec l’esthétique du film noir qu’il reproduit. Sa maitrise des plans-séquences offre de belles scènes de fusillade, qui ne sont pas sans rappeler l’épisode de tuerie de 19-2. Le luxe clinquant du mode de vie des bandits est exposé tout au long du film. Cependant, les décors sont si immenses qu’ils prennent des dimensions étranges, surréalistes, évoquant ainsi le cinéma de Kubrick, une inspiration forte de Grou. Du reste, le cinéaste s’impose encore comme un as de la forme, avec la composition visuelle minutieuse et le montage savant du film.
Originalité due au cadre québécois, Mafia Inc. fouille les rapports historiques contradictoires entre les Francophones et les Italiens. Si les deux peuples sont frappés par la misère en Amérique du Nord et auraient avantage à travailler ensemble, ils finissent bien souvent par faire preuve d’hostilité l’un envers l’autre. Mafia Inc. fait le portrait, à petite échelle, de cette relation difficile dont l’échec se solde par le déclin des deux protagonistes, qui fait triompher le statut quo.
Note : 8/10
Visionnez la bande-annonce :
© 2023 Le petit septième