« C’est qu’un souvenir. Un putain de souvenir. Tu vas pas te grignoter la tête avec! »
Odette (Cyrille Mairesse) a huit ans, elle aime danser et dessiner. Pourquoi se méfierait-elle d’un ami de ses parents qui lui propose de « jouer aux chatouilles » ? Adulte, Odette (Andréa Bescond) danse sa colère, libère sa parole et embrasse la vie…
En adaptant leur pièce de théâtre Les chatouilles ou la danse de la colère, Andréa Bescond et Éric Metayer créent un film lumineux sur un sujet dur : l’abus sexuel d’une fillette de 8-9 ans. Les chatouilles est un film qui marque sans avoir besoin de spectaculaire ou de crade.
Je n’ai pas les chiffres du Québec. Mais en France, c’est un enfant sur 5 qui serait victime de violences sexuelles, selon le conseil de l’Europe. Chaque année, ce sont 700 enfants qui meurent à la suite de maltraitance, et ce, juste en France.
« J’avais déjà raconté à Eric, de manière décousue, les violences sexuelles dont j’avais été victime dans mon enfance, et plus je lui en parlais, plus j’évoquais aussi les rencontres cocasses et inattendues que j’avais faites et qui m’avaient ramenée vers la lumière. En m’écoutant, Eric a compris que me confier me faisait du bien et que mon témoignage pouvait aider beaucoup de gens qui, eux aussi, avaient vécu ce type de violence. Comme j’étais enceinte de mon deuxième enfant et que je me demandais quoi faire de mes journées, j’ai commencé à écrire et Eric m’y a encouragée. À partir de mon récit, on a fait des impros, j’ai écrit les dialogues et Eric a conçu la mise en scène. En 2014, on a présenté le spectacle au festival d’Avignon pour la première fois. Depuis, on l’a joué plus de 400 fois. »
J’ai deux petits bonhommes. Je ne peux simplement pas imaginer que ce genre de choses leur arrive. Et c’est probablement cette incapacité à l’imaginer qui mène à tant d’abus réussis. D’ailleurs, cette critique est l’une des plus difficiles que j’ai écrite en 8 ans. Encore heureux que Les chatouilles ne soit pas un film sombre et dur à regarder. Sauf peut-être la séquence du procès…
Pour adapter la pièce de théâtre au cinéma, les réalisateurs ont eu la très bonne idée de passer une grande partie des moments difficiles, colères et frustrations du personnage principal, dans la danse. Non seulement c’est une belle façon d’éviter le larmoiement, mais c’est aussi une belle façon de faire visualiser au spectateur les sentiments du personnage. L’utilisation de la danse permet donc de garder une certaine pudeur tout en réussissant à montrer la souffrance et la colère autrement.
Traiter d’agression sexuelle envers un enfant dans un film comporte son lot de difficultés. À commencer par le fait qu’un ne veut pas créer un traumatisme à l’enfant qui joue la victime. Pour ce faire, l’équipe de production a décidé que toutes les scènes sensibles seraient faites sans Cyrille, mais avec une doublure pour les contrechamps. La fillette était aussi consciente de ce que racontait le film et elle savait que c’était important d’en parler pour éviter que de tels phénomènes se reproduisent. Et évidemment, ses parents et une équipe de psychologues l’ont énormément entourée.
Mais ensuite? On montre deux types de victimes. Une victime résiliente – Odette – et une victime non résiliente – la sœur de Miguié (l’agresseur). Ainsi, on montre qu’une personne peut trouver des moyens de s’en sortir, sans pour autant risquer de minimiser l’effet traumatisant que ce type d’agression peut avoir sur les victimes.
Les agressions ont généralement lieu au sein de l’entourage immédiat. Et sous les yeux des parents qui ne le voient pourtant pas… Et ce, pour diverses raisons. C’est là qu’un film comme Les chatouilles est important.
En voyant ce film, on a l’impression que le viol répété d’Odette est étouffé par son milieu, par sa famille, par la peur des adultes d’affronter la vérité en face. Les agressions étant perpétrées par l’ami le plus proche des parents d’Odette, ceux-ci ne peuvent pas se résoudre à imaginer que ce soit possible qu’il veuille du mal à leur fille.
Le père n’a jamais perçu ce qui s’est passé. Il y a même une scène très frappante, sur le bord de la piscine, dans laquelle il est agacé par un autre ami qui tente de l’alerter en lui disant que Gilbert semble très proche d’Odette. Le père répond immédiatement à l’ami qu’il est ridicule. Cette réaction est probablement due à un mélange entre la confiance en son ami et le fait qu’il ne veut pas surprotéger et étouffer sa fille en la mettant sous cloche de verre, et qu’une quelconque attirance sexuelle pour un enfant lui est totalement inconcevable. De ce fait, il est profondément abattu quand il apprend ce qui s’est passé.
Mado (Karin Viard), la mère, est quant à elle dans le déni le plus total. En entrevue, la réalisatrice explique que « c’est à 90% le cas des familles de victimes de pédocriminels. Car les gens n’ont pas envie de parler de ça. Du coup, l’enfant violé devient l’adulte à problèmes, l’adulte dépressif, l’adulte assisté, et ce n’est la faute de personne si ce n’est la victime elle-même. Soit les familles réagissent en disant “allez, ce n’est pas si grave”, soit en disant “ça n’est jamais arrivé et ma fille ou mon fils est une menteuse ou un menteur”. ». La mère choisit donc de dire que sa fille ment et qu’elle invente toute cette histoire pour lui faire du mal. Hé oui, comme beaucoup d’humains, elle est trop occupée avec elle-même pour voir que le monde ne tourne pas autour d’elle. Elle reprochera d’ailleurs à sa fille de ne pas vouloir fermer sa gueule et passer à autre chose…
Quand au couple, il n’est pas très soudé. On se demande même comment ce genre de famille tient le coup. Ceci dit, ce couple représente une réalité trop souvent… réelle. Elle affiche un mépris évident à l’égard de son mari. Et pourtant il semble s’en accommoder car il reste. Peut-être que l’idée de ne pas être présent pour sa fille lui suffit pour supporter le tyran qu’est sa femme. Puis, son amour et sa bonhommie sont la cause de sa chute et de sa propre détresse. On le verra à la fin du film dans une scène touchante avec sa fille maintenant adulte.
Dans Les chatouilles, on montre bien que c’est l’emprise de l’adulte sur l’enfant, que ce soit celle de l’agresseur ou celle de la famille qui fait que les victimes vont très et trop souvent garder le silence. Les études montrent que les enfants ne parlent que très rarement de ce qu’ils ont subi par peur de faire du mal. Il y a aussi, ancrées en eux, la peur de l’adulte et la peur de désobéir : il faut être un bon enfant et ne pas causer de vagues.
Avec un peu de chance, un film comme Les chatouilles devraient rencontrer le grand public et, peut-être, aider à ouvrir la discussion sur un sujet encore tabou en 2020.
Note : 9/10
Visionnez la bande-annonce :
© 2023 Le petit septième