« There is a difference between sharing and stealing. »
[Il y a une différence entre partager et voler.]
À l’automne 2018, l’Orchestre symphonique de Montréal sous la direction de Kent Nagano, créait l’opéra de chambre Chaakapesh, le périple du fripon, le récit plein d’humour d’un héros fondateur du peuple innu, narré en trois langues (innu, cri et inuktitut) par Florent Vollant (lauréat du premier prix Artiste autochtone de l’année remis lors du gala ADISQ 2019), Ernest Webb et Akinisie Sivuarapik. Le conte Chaakapesh, le périple du fripon merveilleusement imaginé et écrit par le grand dramaturge autochtone Tomson Highway (Les reines de la réserve, Champion et Ooneemeetoo) a trouvé toute son expression musicale dans sa collaboration avec le compositeur de musique contemporaine Matthew Ricketts. L’orchestre est ensuite parti présenter cette œuvre unique dans le Grand Nord et la Basse-Côte-Nord du Québec. Kuujjuaq, Salluit, Kuujjuarapik, Oujé-Bougoumou, Mashteuiatsh, Maliotenam : bien plus qu’une simple tournée, CHAAKAPESH, le film, nous place aux premières loges d’un espace de rencontres absolument exceptionnel, autant pour les artistes que pour les communautés. Des témoignages poignants, des discours essentiels et un Maestro Kent Nagano comme on ne l’a jamais vu.
Documentaire relatant une rencontre harmonieuse entre le Nord et le Sud, Chaakapesh propose une incursion lyrique dans le monde traditionnel autochtone. La légende innue de Chaakapesh est transformée en une odyssée musicale qui rappelle qu’au-delà des langues, il y a l’art.
Le projet est audacieux : mettre en forme un opéra de chambre qui s’inspire d’un conte fondateur de la nation innue, celui de Chaakapesh. La pièce, intitulée Chaakapesh, le périple du fripon, est jouée par l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) toujours mené avec brio par son maestro, Kent Nagano. Écrit par Tomson Highway, auteur cri du Manitoba et mis en musique par Matthew Ricketts, les deux esprits produisent un résultat époustouflant. La narration déclinée en trois langues – l’inuktitut, le cri et l’innu – rassemble les peuples et rappelle l’universalité d’un élément central de la pièce : le rire. Dans Chaakapesh, les réalisateurs, Roger Frappier et Justin Kingsley, suivent les différentes étapes de la tournée de l’OSM à travers le Québec nordique. En effet, en plus de présenter l’opéra à Montréal, les musiciens se sont déplacés dans certaines communautés autochtones afin de partager le fruit d’un travail collaboratif. Le documentaire laisse un sourire sur le visage du spectateur alors que celui-ci voyage, à son tour, sur les chants en cri de Geoffroy Salvas et d’Owen McCausland.
En ouverture du documentaire, Kent Nagano affirme que ce fut une « expérience unique » que de travailler à la direction musicale de l’opéra de chambre Chaakapesh, le périple du fripon. La tournée de l’OSM dans le Nord du Québec est la deuxième de ce genre en dix ans pour Nagano. Originaire de Morro Bay, petit village de la Californie, pour le Maestro, retourner au Nunavik c’est de retourner à la maison tant l’environnement est le même. Le Nord incarne donc un lieu de souvenirs, mais aussi un lieu d’attachement.
À chaque représentation de l’OSM dans les communautés autochtones du Nord du Québec, tous sont submergés par les émotions : créateurs, musiciens, public… La triple narration contribue au rassemblement des langues et rappelle que la musique est universelle. Aussi impressionnante que la fluidité musicale de l’orchestre est la maîtrise de la langue crie que les chanteurs ont dû acquérir. Il ne s’agit pas seulement de recopier des sonorités ici, mais bien de comprendre que la langue crie implique une autre conception – l’accent est plutôt mis sur le côté animé ou inanimé des choses.
Alors que la controverse liée à la pièce de théâtre de Robert Lepage, Kanata, marque encore l’imaginaire québécois, le documentaire Chaakapesh donne à voir une volonté de collaboration du début à la fin. À chaque fois, une place est laissée aux artistes autochtones de chacune des communautés visitées. La parole est d’abord la leur avant d’être celle de l’OSM.
Le calme dégagé par Nagano alors qu’il rappelle l’importance « d’adresser certaines tensions » participe de l’homme qui mène avec brio cette collaboration musicale – l’idée du collaboratif était centrale dès le début du projet et ce, sans compromettre la qualité. Pour Ernest Webb qui assure la narration en cri, l’importance est dans l’intention. Certes, un opéra cri chanté par un Blanc risque de poser problème aux yeux de certains, mais le projet en lui-même est le résultat d’un respect de l’autre et des traditions autochtones. Jamais il n’a été question d’imposer une voix « occidentale » au dépit de celle autochtone.
Pour Florent Vollant, la musique est salvatrice. Elle est ce qui permet de partager une histoire au-delà des mots, elle est ce qui l’a sauvé alors qu’il était adolescent. La musique lui a permis de replonger dans le territoire, de le reparcourir : « La langue innue est une langue de nomades. [….] Si on peut garder la langue vivante, on va garder la fierté. » Le temps d’une mélodie, elle fait oublier la peur et la douleur de la vie en pensionnat, le temps d’une note, elle renvoie à l’immensité du territoire.
Chaakapesh, c’est une ode à l’art, c’est l’amour de la musique au-delà des frontières, c’est un rappel que nous sommes tous liés, en fin de compte. Pour Tomson Highway, Chaakapesh, le périple du fripon participe d’une nouvelle ère artistique qui aurait été impensable il y a quelques années, l’opéra fait entendre une voix qui n’existait pas avant. Par la musique, la production cherche à toucher le public, par l’histoire, la production insiste sur l’héritage autochtone. Autrefois des légendes racontées dans un tipi sombre par les Aînés, Chaakapesh est maintenant un récit ouvert au monde, c’est une histoire racontée par les Autochtones.
Note : 9/10
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