Victor (Daniel Auteuil), un sexagénaire désabusé, voit sa vie bouleversée le jour où Antoine (Guillaume Canet), un brillant entrepreneur, lui propose une attraction d’un genre nouveau: mélangeant artifices théâtraux et reconstitution historique, cette entreprise propose à ses clients de replonger dans l’époque de leur choix. Victor choisit alors de revivre la semaine la plus marquante de sa vie : celle où, 40 ans plus tôt, il rencontra le grand amour…
C’est au Festival de Cannes en 2019 que fut présenté pour la première fois La belle époque. Il s’agit du deuxième film que réalise Nicolas Bedos, un acteur, scénariste et dramaturge français ayant commencé sa carrière de cinéaste en 2017 avec Monsieur & madame Adelman. Si sa première œuvre a connu un certain succès en France, sa deuxième connait un très grand succès, déjà dès sa présentation à Cannes. Tellement que le réalisateur s’est vu attribué la réalisation du troisième volet de la série OSS 117 avec Jean Dujardin. Le film traverse l’Atlantique pour atterrir dans les cinémas québécois, et il mérite le même succès qu’il a connu dans son pays. Car superbe, touchant, drôle et intelligent ne sont que quelques mots pour décrire La belle époque.
La première chose qui frappe, et qui éblouit même le spectateur, ce sont les acteurs qui donnent tous une magnifique performance. Daniel Auteuil est très attachant en vieil homme nostalgique et un peu naïf; Guillaume Canet est parfait dans son rôle de metteur en scène perfectionniste et impulsif; Fanny Ardent impressionne dans son rôle de femme âgée désabusée et vole chaque scène où elle apparaît et, finalement, Doria Tillier démontre constamment une énergie flamboyante. Si les acteurs principaux sont tous excellents, les acteurs secondaires ne sont pas à rejeter, chacun donnant son meilleur quand il apparaît, comme Pierre Arditi duquel émane un vrai plaisir de jouer son rôle.
Mais leurs performances sont loin d’être la seule qualité du long métrage. La belle époque propose un travail remarquable sur le montage, notamment lors des transitions entre les scènes. Le meilleur exemple de cette maestria dans le découpage des plans est lors de cette dispute entre le personnage de Daniel Auteuil et de Fanny Ardent. Une scène inspirée de La vérité d’Henri-Georges Clouzot (ce qui a d’ailleurs été signalé par le réalisateur lors d’une entrevue) qui suit une discussion en sautant continuellement dans le temps. Un montage osé, mais fait avec brio et sans jamais perdre le raccord de la scène et le spectateur. La photographie est aussi très bien réfléchie, avec le monde réel assez sombre et le décor de 1974 beaucoup plus lumineux et coloré, ce qui accentue pleinement la plus grande qualité du film. Parce que les acteurs, la réalisation, le scénario, le montage et la musique, tout ça sert la véritable force de La belle époque : son concept.
Si l’idée d’un théâtre immersif n’est pas une invention originale du film (il existe notamment Sleep no more à New York), c’est l’utilisation qu’en fait Nicolas Bedos qui crée toute l’émotion, l’humour et l’inventivité de son film. En ce qui concerne le côté émotif, le film parle surtout de la nostalgie des années 70 de Victor : une époque où il se sentait plus à l’aise et en amour comme il ne l’a jamais plus été, tout le contraire de sa situation actuelle. Alors, en plaçant directement le personnage dans cette époque reconstituée, sa nostalgie transperce davantage l’écran. Ce qui est encore mieux, c’est la scène du début laquelle, en plus de surprendre le spectateur, montre les limites de cette nostalgie, qu’amène le théâtre immersif en pointant les problèmes des anciennes époques, dans ce cas le racisme.
Pour l’humour, elle se base surtout sur le côté faux du théâtre, avec les véritables réactions des acteurs face à la pièce, l’arrière du décor qui n’est pas façonné ou le comportement des techniciens. Il y a aussi des moments assez comiques dans lesquels Victor corrige les erreurs des acteurs, ce qui amène en plus un côté assez touchant à son personnage.
Mais, le plus intéressant, c’est qu’en indiquant ces précisions, Victor brise en quelque sorte le quatrième mur, alors qu’il reste dans la fiction. Et c’est de là que vient toute l’inventivité du film. On suit une pièce fictive avec des acteurs qui n’existent pas dirigés par un réalisateur à l’intérieur d’une œuvre de fiction. Cela fait en sorte que ce film sur un théâtre parle de comment on fait du cinéma. Beaucoup de réalisateurs devront notamment se reconnaître dans le comportement méticuleux et excessif d’Antoine (Guillaume Canet), surtout dans les scènes où il inspecte un décor. Et même si cela aurait été plus intéressant de voir Bedos jouer le rôle, Canet reste un excellent choix, étant lui-même un cinéaste.
Mais le film n’est pas exempt de quelques défauts. On peut regretter que la fin de l’histoire de la relation entre Antoine et Margot soit assez confuse, que certaines blagues sur la technologie soient assez grossières et quelques moments maladroitement misogynes. Mais si ces défauts existent, ils sont totalement cachés par toutes les réussites du long métrage.
Avec son deuxième film, Nicolas Bedos se montre déjà comme un cinéaste à suivre. Il nous a donné, avec La belle époque, une expérience cinématographique remplie d’émotions et de créativité en mettant en avant des performances remarquables, un travail réfléchi sur la technique et surtout, un concept exploité à la perfection. Avec lui à la réalisation du troisième volet, la saga OSS 117 est entre de bonnes mains.
Note : 9/10
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