« Si tu veux sauter, saute! »
Orgies, substances identifiées ou non; tel est le quotidien de Pete et Sasha, la vingtaine, au cœur d’une Russie où danser en boîte de nuit sur de la musique électro est passible d’arrestation. Incompris ou délaissés par leurs parents, ils testent leurs limites et se questionnent alors qu’un drame vient de bousculer leur groupe d’amis.
Alexander Gorchilin (Leto) passe derrière la caméra pour nous offrir son premier long métrage : Acid (Kislota). Il offre une vision sombre et déprimante d’une génération hantée par la solitude et le vide dans leur vie. Une génération prête à tout pour fuir l’ennui.
Gorchilin a construit un univers convaincant où évoluent de jeunes citadins désorientés… Souvent un syndrome des sociétés modernes. Mais, ici, c’est avec créativité que les auteurs montrent les contrastes de la société russe et les façons bizarres dont politique, crime, sexualité, drogues, technologie et religion se chevauchent dans ce pays.
Acid débute en force avec des images magnifiques de débauche. Pete et Sasha arrivent dans un appartement où ils découvrent leur ami Vanya complètement défoncé, en plein délire hallucinatoire. On a droit à un superbe clin d’oeil à Trainspotting (Boyle) lorsque l’ami en question joue avec une toilette qu’il a décrochée et amenée dans le salon. Ce délire paranoïaque du personnage est suporté avec efficacité par Why does my heart feel so bad? de Moby. Lorsque le jeune homme saute par la fenêtre, tout est dit… La suite du film posera un regard sur ces jeunes désillusionnés qui ne voient rien de bon dans l’avenir.
Cette séquence folle se termine au cimetière pour les funérailles de Vanya. Et le jeune réalisateur offre un des plus beaux plans de transition que j’ai eu l’occasion de voir dans les dernières années. On passe du cimetière à l’univers endiablé d’un club de nuit, pas vraiment légal en Russie, où on se défonce tant par la drogue que par la danse. On aurait pu arrêter là que tout aurait été compris sur la désillusion de la jeune génération russe.
Mais la rencontre de Vasilisk, un étrange artiste qui utilise l’acide pour transformer des statuts d’icônes russes en plâtre en un art provocateur, amènera la réflexion à un niveau plus profond… C’est là qu’arrive l’acide perchlorique annoncée dans le titre: elle est en fait la technique de création utilisée par Vaslisk.
La deuxième partie du film change le focus de l’histoire vers les enjeux familiaux. Deux jeunes hommes qui semblent avoir tout pour eux sont, au final, paumés et sans réel soutien familial. Sans père, avec une mère absente ou peu intéressée, ils sont seuls. C’est probablement ce qui les a rassemblés au départ. Ils vivent dans des milieux familiaux pauvres. Leur vie n’a pas de sens. Ils n’ont pas de réels objectifs…
Puis, il y a les filles qui les entourent. Au contraire, elles, elles n’ont pas de mères. Ou, si elles en ont une, elles semblent absentes du paysage.
Le message qui transcende cette oeuvre est que les jeunes de cette génération se retrouvent avec des parents qui n’ont presque aucun contact avec la réalité qui est celle de leur progéniture en dehors du foyer familial. Ce qui amène ces jeunes à se rapprocher encore plus de ceux qui les comprennent (mais qui ne semblent pas en mesure de les aider) : leurs amis.
Dans Acid, les amis représentent la tribu des personnages. Ils semblent tous, sans exception, n’exister qu’en fonction les uns des autres. Mais, étrangement, ces amis ne semblent pas être plus en mesure de s’aider à survivre dans ce monde qui ne les comprend pas. Dès le début du film, nous sommes confrontés à la dure réalité de ces jeunes et à l’incompréhension que chacun semble avoir pour ses semblables lorsque Pete dit à Vanya : « Si tu veux sauter, saute! ».
Comment survivre dans un monde dans lequel personne ne semble te comprendre? La drogue semble la solution. Sasha se retrouvera face à lui-même dans une belle séquence de « trip » dans le désert. Une séquence qui semble sortir de nulle part. Une séquence qui rappelle drôlement Le Petit Prince, mais avec une toilette et un bébé…
Avec Acid, Gorchilin trouve des images puissantes pour représenter des jeunes qui semblent perdre toute emprise sur la vie. Et ni les intérieurs de couleur crème de leurs demeures, ni la gymnastique rythmique, ni même l’église ne semblent leur offrir quelque chose à quoi se raccrocher. Un film magnifiquement dur que vous devez aller voir!
Acid est présenté au FNC les 13, 14 et 20 octobre 2019.
Note : 8.5/10
Visionnez la bande-annonce :
© 2023 Le petit septième