« En pleine mer de Chine, je suis devenu fou. Psychose totale. »
Quinze ans après qu’une crise psychotique en mer de Chine ait fait basculer son existence, Alex, schizophrène raffiné et sensible, est à la croisée des chemins. À l’insistance de sa grand-mère et confidente, qui désire mourir l’esprit en paix, il se lance à la recherche d’une amoureuse. Sa rencontre avec une jeune femme psychotique donne naissance à une relation passionnelle incandescente qui le fait peu à peu dériver hors de ses frontières émotionnelles. Tandis que les eaux troubles de la mer de Chine refont surface en lui, il s’isole de plus en plus, au risque d’être aspiré jusque dans les abysses insondables de la paranoïa.
Rencontre fusionnelle entre documentaire et fiction, Alexandre le fou explore le parcours d’un homme atteint de schizophrénie, qui cherche sa place dans le monde en poursuivant un cheminement artistique et une quête amoureuse. Une odyssée intime, troublante et sublime.
Alex a 40 ans et il est atteint de schizophrénie paranoïde depuis qu’il a 25 ans. Alors qu’il étudiait la navigation, il s’est embarqué à bord d’un navire marchand pour un stage de six mois en haute mer. C’est là que sa vie a basculé : « En pleine mer de Chine, je suis devenu fou. Psychose totale. »
Aujourd’hui, après plusieurs séjours en institution et des épisodes répétés de psychose et de réclusion volontaire, Alex cherche sa place dans un monde qu’il trouve menaçant. La médication lui permet de maintenir un équilibre fragile, sans faire taire complètement les présences et les voix qui le hantent. Alex n’est pas dupe. Il sait pertinemment que sa condition l’empêche de mener une vie « normale ». Mais, avec Alexandre le fou, il se veut porteur d’espoir. Et ce que l’on voit dans ce film c’est qu’on est tous le fou d’un autre. Lorsqu’on regarde Alex interagir avec d’autres personnes souffrant de ce genre de troubles, on constate qu’il est effectivement beaucoup plus en contrôle que ceux avec qui il échange dans son groupe de soutien.
Ceci dit, jamais on ne tombe dans le jugement. On ne glorifie pas, non plus, ces gens. Pedro Pires, le réalisateur, se contente de montrer ce que ces gens vivent tous les jours.
En 2012, Pires s’était associé à Robert Lepage pour co-réaliser le long métrage Triptyque. Alors qu’il réalisait généralement des documentaires, ce passage à la fiction lui a donné l’idée du format d’Alexandre le fou.
En fait, Alexandre le fou est un film expérimental. Il a été créé « autour d’une démarche de recherche/création permettant au film de se bâtir à travers des échanges constants entre une approche documentaire de recherche/captation et un processus de scénarisation/mise en scène/montage propre au cinéma de fiction, qui s’influencent mutuellement et génèrent progressivement le récit et sa forme. » Le processus se rapproche de celui utilisé par Pierre Perreault lors de la création du chef d’oeuvre Pour la suite du monde. Au final, l’équipe de tournage a suivi Alex pendant un an, dans tous les moments de sa vie, des plus intimes aux plus banaux. Puis, Alexandre a été invité à participer au développement du projet, que ce soit pour la scénarisation comme pour l’interprétation.
Pires a choisi cette technique afin de « réunir les conditions nécessaires pour qu’Alex puisse s’approprier le cours des événements et en faire jaillir un sens, quel qu’il soit. » C’est ainsi que, non seulement Alex, mais aussi d’autres personnes souffrant de troubles mentaux ont pu participer au film et montrer ce qu’était réellement leur réalité.
J’admets avoir passé une partie du film à me demander s’il s’agissait d’une fiction ou d’un documentaire. Certaines scènes plus intimes me semblaient improbables dans un format dit de documentaire. Par exemple, on voit, à un moment, Alex et son amoureuse, au lit. Elle est nue, allongée à ses côtés, au petit matin. Mais, à d’autres moments, par exemple lorsqu’Alex parle à la caméra pour expliquer son histoire en mer, on sort de ce qu’on fait en fiction.
Je ne savais trop quoi penser de ce mélange entre documentaire et fiction. Mais, au final, je ne peux faire autrement que de penser qu’il s’agit d’un choix brillant. On se retrouve avec un type de cinéma que j’accepterais finalement (voir mes critiques de La rivière cachée et Phantom Islands) de nommer « documentaire de création ».
« Pendant mes études en art, travaillant comme préposé en institution psychiatrique, j’étais fasciné par la richesse insondable du discours des patients, qui me faisait pénétrer un monde dont la poésie renouvelait mon regard sur l’humain et sur la diversité de son expérience intérieure. »
Et de la poésie, il y en a dans Alexandre le fou. Mais, pour arriver à cette oeuvre magistrale, ce film est surtout un projet de fou. Une première phase de tournage documentaire a permis à l’équipe de production de développer une structure dramaturgique qui a ensuite permis de déterminer de nouvelles pistes de tournage. Puis, retour en tournage… retour en scénarisation… etc….
La grande force du film de Pires est de montrer l’essence d’un être fragile et courageux qui, dans toute sa singularité, cherche ce à quoi la plupart d’entre nous aspirons : une place dans un monde qui nous semble parfois bien étranger.
Note : 8.5/10
Visionnez la bande-annonce :
© 2023 Le petit septième