« Faut peut-être d’abord connaître la captivité pour se figurer ce que c’est la liberté. »
Deux amies inséparables grandissent dans une communauté innue. Mikuan (Sharon Fontaine-Ishpatao) vit au sein d’une famille aimante, tandis que Shaniss (Yamie Grégoire) recolle les morceaux d’une enfance bafouée. À l’aube de leurs 17 ans, leur amitié se craquelle lorsque Mikuan s’amourache d’un Blanc et rêve de sortir d’une réserve trop petite pour ses ambitions.
Dans ce drame, la réalisatrice, Myriam Verreault – de pair avec Naomi Fontaine – propose une plongée dans un monde peu connu du grand public : celui des réserves autochtones. Mikuan et Shaniss, deux destins contenus sur la Côte-Nord, mais pour combien de temps encore?
Mikuan et Shaniss sont amies depuis toujours et savent qu’elles peuvent compter sur l’autre lors des moments pénibles. Les difficultés du quotidien ne représentent plus rien lorsqu’elles sont ensemble. L’amitié qui les lie semble leur permettre de passer à travers tout… du moins, jusqu’à l’arrivée de Francis (Étienne Galloy). Dès lors, Mikuan se met à rêver de l’ailleurs, à rêver de mieux et à espérer un monde où les visages lui sont inconnus. Malgré les différends vécus par les deux grandes amies, Mikuan et Shaniss finissent toujours par se retrouver. Après tout, c’est la mise en scène d’une réelle amitié, une amitié marquée par les traumas de la vie.
La complicité entre les deux actrices – sans aucune formation professionnelle – est époustouflante. Le spectateur est submergé par les émotions franches de celles-ci. À elles deux, elles représentent le cœur du film. La réalisatrice abonde dans ce sens :
« Personne n’avait d’expérience professionnelle. Mon approche était donc de travailler dans le sens de ce qu’ils étaient dans la vie. Et de trouver des gens dont la vie et la personnalité collaient le plus possible aux personnages. Sharon Fontaine-Ishpatao a été choisie, car elle est Mikuan. L’audition a consisté en une conversation de deux heures où on a parlé de sa vie. Je n’en revenais pas, mais j’avais l’impression de parler avec mon personnage. Sharon était très réticente au début. Ce n’est pas une extravertie. La directrice de casting a dû courir après elle pour la convaincre de venir faire des essais. Même chose pour Yamie Grégoire qui incarne Shaniss. Il y avait des moments de fulgurance dans ses essais, mais il y avait aussi beaucoup de ratés, de décrochage. Il lui manquait l’expérience. Pour un film conventionnel, j’aurais cherché ailleurs. Mais elle était Shaniss dans l’âme et c’est cette vérité-là qui m’intéressait et que je voulais mettre en scène. »
À travers l’histoire d’amour vécue entre Mikuan et Francis, Kuessipan donne à voir la difficile conciliation entre deux mondes. Le monde des Blancs, souvent campé sur des idées préconçues sur les Autochtones, et le monde de la réserve où les blessures sont encore trop vives. À cet effet, Naomi Fontaine, coréalisatrice et autrice du livre Kuessipan duquel le film est inspiré, veut briser la vision unique de l’autre :
« Quand on parle des Autochtones, on a tendance à mettre tout le monde dans le même panier. Il fallait qu’on puisse voir la multitude des possibles. D’où l’importance de développer d’autres personnages comme Metshu, le frère de Mikuan, leurs parents, sa grand-mère, ou le chum de Shaniss. »
C’est d’ailleurs avec brio que Verreault et Fontaine réussissent cet exploit car, plutôt que de miser seulement sur l’idée d’un racisme ambiant, c’est la peur de l’autre qui est mise de l’avant. Cet autre qui nous est inconnu provient d’un monde qui nous est tout aussi étranger. Le malaise créé par l’arrivée de Francis dans la réserve et dans le quotidien de Mikuan participe de cet inconfort face à ce que l’on ne connaît pas. Bien qu’il soit un élément positif, il est la cible de moqueries de la part des autres membres de la communauté.
Une question posée en filigrane est celle de l’avenir : est-ce possible de conserver ses valeurs et ses traditions devant une modernité grandissante, voire envahissante? Le dilemme auxquels les jeunes Innus sont confrontés repose sur le fossé toujours grandissant entre les Aînés et eux. Devant un monde en constante évolution, le seul choix est-il de s’adapter au détriment de ses profondes convictions? Mikuan et Shaniss auront à choisir entre famille, amis et amours tout en gardant en tête le legs des ancêtres. La place occupée par la grand-mère de Mikuan montre bien le conflit auquel font face les jeunes. Personnage presque muette, elle porte sur ses épaules le poids d’une génération. Dans Kuessipan, la fierté innue transcende l’écran et laisse un sourire béant sur le visage du spectateur.
Une idée avec laquelle le spectateur repart, une fois le film terminé : n’oublie jamais d’où tu viens.
Le passage du livre Kuessipan (publié chez Mémoire d’encrier en 2011) au cinéma était un pari risqué. L’ouvrage de Naomi Fontaine, écrit en fragments, est une collection de portraits qui donne à lire le quotidien de la communauté innue qu’on présume de Uashat. Plus de 7 ans après la parution de Kuessipan, porter au cinéma une œuvre sans « filon narratif » au sens où le lecteur est face à des personnages, à des lieux et à des événements qui, à l’origine, ne sont pas tenus par aucune narration, représente un défi que les scénaristes ont relevé avec justesse. Sans tomber dans la lourdeur de la narration ni dans le piège de l’appropriation culturelle, Verreault et Fontaine proposent une œuvre « rencontre », pour reprendre les mots de l’autrice : « Peut-être que le film est une forme d’appropriation culturelle. Si oui, c’est la plus belle façon de le faire, c’est-à-dire ensemble. Ce qui importe c’est la manière. Pour être claire, je ne crois pas à l’appropriation au sens qu’on lui donne maintenant. Je crois à l’échange, au partage. »
Kuessipan, au risque de le répéter, est un film nécessaire. À la fois par le déploiement d’un univers innu, mais aussi par le réalisme du film. C’est une incursion dans la réserve innue, sans artifice, sans présomption et sans volonté de cacher quoi que ce soit. Les scènes sont celles du quotidien, que ce dernier soit heureux ou non. Écouter Kuessipan, c’est avoir l’honneur d’en apprendre plus sur ces mondes – les réserves autochtones – longtemps connotés négativement. C’est avoir la chance de sortir de la salle de cinéma avec un regard complètement différent.
Note : 9/10
Visionnez la bande-annonce :
© 2023 Le petit septième
Je suis intéressée par ce film car mes enfants auront des droits au statut Indien suite à la loi S-3 et j’ai du respect pour les autochtones depuis plusieurs années. J’ai eu des amis et amies qui demeuraient sur la réserve et je ne me suis jamais laissée à des règles entre blancs et autochtones comme il peut y en avoir aujourd’hui.
Je déplore le peu d’aide accordé à ces gens car ils doivent vivre sur une réserve et entre eux seuls et toujours ensemble, ce qui ne doit pas être toujours évident et les esprits se réchauffent avec la fameuse boisson.
Des familles avec boisson, bagarre et misère. Il est grand temps d’ouvrir les portes et se familiariser avec ces peuples, on gagne aussi à mieux les connaître.