
« C’était un enfant comme un autre. »

Pierre (Vincent Lindon) élève seul ses deux fils. Louis (Stefan Crepon), le cadet, réussit ses études et avance facilement dans la vie. Fus (Benjamin Voisin), l’aîné, part à la dérive. Fasciné par la violence et les rapports de force, il se rapproche de groupes d’extrême-droite, à l’opposé des valeurs de son père. Pierre assiste impuissant à l’emprise de ces fréquentations sur son fils. Peu à peu, l’amour cède place à l’incompréhension…
Avec Jouer avec le feu, Delphine Coulin et Muriel Coulin offrent un film tout en contraste, sur la radicalisation et le désespoir d’un parent qui ne sait plus quoi faire pour son fils.
Jouer avec le feu mise sur les contrastes à différents niveaux. D’abord, il y a les personnages. À mesure que l’intrigue progresse, plus Pierre et son fils aîné s’éloignent et deviennent contrastés. Le père est de gauche, fier défenseur de l’idée d’égalité, peu importe si la personne est née en France ou non. Fus, lui, se déplace de plus en plus à l’extrême-droite. Ses comportements se rapprochent de plus en plus des nazis. Il s’entraîne à se battre afin de pouvoir massacrer des immigrants et des gens qui défendent ces mêmes immigrants. Le père est doux. Le fils est dur. Le père croit en la république. Le fils croie en un régime autoritaire. Le père croit que la France doit se composer de la somme de tous ses habitants. Le fils croit que la France devrait être blanche.

Cette dualité, ou contraste, est soutenue par une mise en scène qui utilise aussi les contrastes forts. Par exemple, souvent on voit les deux frères chacun dans leur chambre en un seul plan avec, entre les deux pièces, un mur qui les sépare. Visuellement, on dirait presque des plans distincts dans un écran séparé (split screen). L’image est forte. On comprend immédiatement qu’il y a une séparation, une fracture.
Il y a aussi un fort contraste entre les scènes à l’intérieur de la maison, qui se déroulent toujours dans la pénombre, et celles à l’extérieur, dans une lumière très crue. Dans la maison, les réalisatrices ont construit des claustras, et des points de lumière qui par contraste suggèrent des zones d’ombre et beaucoup de contre-jours. L’extérieur devient comme une trouée de soleil. Pour Fus et Louis, le seul avenir possible – trouver la lumière – est de quitter la maison.
Toujours dans l’idée de contraste, il y a le comportement de Pierre, qui oscille sans arrêt entre deux pensées : « Ce fils est toujours tel que je l’ai connu » et « Non, il a changé et il s’éloigne ». C’est comme une onde. Va-t-il y avoir une rupture? À quel moment le père va-t-il abandonner? Est-ce que la réconciliation est toujours possible après une dispute? Les disputes jalonnent le film, et les rapports de pouvoir aussi, incarnés par l’escalier central de cette maison. Qui est en haut? Qui est en bas?

Pierre essaie d’être un bon père, c’est pourquoi il ne cesse de se demander ce qu’il a raté avec Fus. Mais au final, sommes-nous responsables de ce que font nos enfants? La question reste en suspens.
Aussi, le film pose une question osée. L’amour parental est-il aussi inconditionnel qu’on le dit? Dans un jeu efficace, Vincent Lindon garde le spectateur dans un état d’incertitude à propos de ces questions.
Dans les dernières années, on a vu beaucoup de films sur la radicalisation de la jeunesse musulmane. Mais l’engagement radical vers l’extrême droite a été beaucoup moins filmé. Et dans un contexte français où l’extrême-droite prend de plus en plus de place, on peut dire que l’histoire de Pierre, qui ne reconnaît plus son fils, est celle de tout un pays. Les gens qui ont connu la France des années 1990, ne reconnaissent plus leur pays.

Ce à quoi le film ne répond pas, par contre, c’est pourquoi. On dit que depuis presque toujours, chaque génération vit mieux que la précédente. Mais aujourd’hui les choses se sont inversées. Le vote extrémiste est-il lié à ce sentiment très fort d’injustice. On a l’impression que le film voudrait aller là, mais qu’il n’ose pas.
Un autre point qui m’a dérangé, et celui-là est plus important, c’est les sauts dans le temps. À tout juste moins de 2 heures, on pourrait dire que le film est long. Mais les sauts que l’on voit à deux reprises dans le film laissent croire qu’il est, en fait, trop court. Afin d’éviter de gâcher l’expérience de ceux qui verront le film, je ne vais pas entrer dans les détails. Mais ces courts sauts dans le temps nuisent au film. Le spectateur décroche et se demande comment on en est finalement arrivé là. Les changements sont trop gros pour ne pas les expliquer d’une manière ou d’une autre.
Mais malgré ces deux points plus négatifs, Jouer avec le feu demeure un très bon film politique.
Jouer avec le feu est présenté au festival Cinefranco le 14 novembre 2025.
Bande-annonce
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