
« — Comment vous payez votre loyer?
— Je vends mes culottes sales. »

Alors qu’elle est enceinte, Kika (Manon Clavel) fait face à la mort soudaine de son compagnon. Complètement fauchée et le cœur en bouillie, elle hiérarchise ses priorités : 1. trouver de l’argent rapidement 2. Sortir de la merde. Culottes sales, godes-ceintures et parents névrosés vont l’aider. Contre toute attente.
Avec Kika, Alexe Poukine propose un film étrangement lumineux, malgré le sujet plutôt dur. Une œuvre qui traite de précarité, et des moyens qu’on est prêt à prendre pour s’en sortir.
Souvent dans la vie, on a l’impression qu’on est en train de vivre une comédie romantique, et puis, soudainement, ça se transforme en drame social, et il faut faire avec. C’est un peu l’idée derrière Kika, où Kika passe rapidement de l’un à l’autre, sans prévenir le spectateur autrement que par des images qui le suggèrent.

En trente minutes, il se passe beaucoup de choses, l’exaltation d’une rencontre amoureuse, la séparation du couple et la mort brutale d’un conjoint. Ça va vite et il faut rester attentif si on ne veut pas perdre le fil. Mais cette rapidité permet de placer l’intériorité du personnage, sa vie intime, sa personne au centre de tout, avant toute considération sociale pour éviter un schéma de mère courage. On voit souvent ce genre de personnage soudainement devenir un modèle de persévérance ou de force mentale. Mais des personnages attachants qui se retrouvent au bout du chemin, sans pour autant se lancer en bas d’un pont, c’est beaucoup plus rare.
Et malgré ces enjeux très lourds, Kika demeure un film doux.
Dans la majorité des films autour des travailleuses du sexe, l’héroïne est déjà travailleuse du sexe ou le devient suite à un abus. Un peu comme si on naissait travailleuse du sexe ou que c’était une destinée. Il y a aussi quelque chose de malsain dans la façon de représenter les travailleuses du sexe, c’est à dire presque toujours comme des victimes. Cette représentation se calque sur une imagerie du conte pour enfants où la princesse attendrait d’être sauvée par un preux chevalier, comme si elle ne pouvait être maîtresse de son propre destin. Et cette représentation a des effets sur le réel puisqu’elle crée des règles. Les travailleuses du sexe sont souvent présentées comme un contre-exemple. On ne veut pas croire qu’une femme puisse décider de dépasser, voire même d’embrasser le stigmate associé à la prostitution.

C’est comme si, en 2025, on demandait encore aux femmes de choisir entre être la maman ou la putain. Même l’idée assez simple de permettre à une femme de s’identifier à la fois comme une mère responsable et une femme qui aime les plaisirs de la chair était irréconciliable.
Kika ne demande pas à ses personnages, ni à ses spectateurs de choisir. Jamais on n’a l’impression que la femme est moins responsable ou sensuelle à cause de ses autres faces. Une femme devrait pouvoir être un cube Rubik et non pas une seule face d’une feuille de papier.
La trame mène Kika dans un univers qui lui échappe : le BDSM. Mais plutôt que de mettre l’emphase sur le spectaculaire afin de vendre son film par le cru, elle met surtout l’accent sur le processus et le côté psychologique et émotionnel.

Sans juger, mais avec un regard naïf et sain, Kika amène le spectateur à essayer de comprendre pourquoi une personne est prête à payer 200 euros pour se faire battre, fouetter violemment, ou encore chier sur le visage. Bien que parfois le tout soit montré avec un certain humour, le respect est de mise, et cela vient du regard du personnage principal qui est dépassé par la situation qu’elle a elle-même choisie.
Finalement, on montre comment le deuil est un travail qui doit être fait. Kika, comme plusieurs, vit son chagrin avec une certaine distance. Si elle ne pleure pas, n’est-ce pas parce que justement elle n’a pas les conditions matérielles et financières suffisantes pour faire son deuil, qui apparaît alors comme un privilège? Voilà une autre question intéressante que sous-tend le film. Pensez-y et allez voir cette œuvre!
Kika est présenté à Cinemania les 12 et 15 novembre 2025.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième