Le cinéma chinois actuel a une philosophie très commerciale.
On le voit avec l’immense succès de Ne Zha II, le pays se met à produire de plus en plus de superproductions, avec la plupart qui traversent les frontières pour être regardé par le public occidental. C’est bien évidemment pour faire concurrence au titan qu’est Hollywood, le nationalisme chinois en plus. Mais comme à Hollywood, il y a certains cinéastes en Chine qui ont une approche bien différente, des auteurs en quelque sorte. Bi Gan est l’un de ceux-ci.
Le réalisateur a commencé sa carrière en 2015 avec le film Kaili Blues, où il tourne dans sa ville natale avec des acteurs non professionnels dont son oncle qui, comme le personnage de son film, est un ancien gangster. Le film a un joli succès dans les festivals, plus particulièrement à Locarno, et lui vaut des prix au Golden Horse Awards, l’équivalent des Oscars pour le cinéma chinois.
Sa grande consécration sera en 2018 avec Long Day’s Journey into Night, présenté dans la section Un Certain regard au Festival de Cannes. Ces deux films posent déjà un style propre au réalisateur et, surtout, un gimmick de sa part, soit une scène composée d’un long plan-séquence. Celui de Kaili Blues dure 41 minutes et montre le personnage principal qui se rend d’un village à un autre. Celui de Long Day’s Journey into Night dure une heure et est entièrement tournée en 3D. Ces scènes sont non seulement de grandes réalisations techniques, mais permettent aussi de poser l’ambiance onirique de ses films, comme si c’étaient des rêves. Une approche qu’il a continuée dans son plus récent et ambitieux film Resurrection, qui a reçu un prix spécial du Jury au dernier Festival de Cannes.
Dans un futur proche, le rêve est devenu interdit. Une femme poursuit un monstre qui continue de rêver afin de le tuer. Au moment fatidique, elle le laisse rêver une dernière fois, la transportant dans un voyage qui durera 100 ans.
Si le synopsis pouvait présager un film de science-fiction, il n’en est rien. Le contexte de société qui interdit les rêves ne sert que de prétexte pour montrer les rêves du monstre, interprété par Jackson Yee, à la femme, interprétée par Shu Qi. Le film est divisé en six saynètes s’étalant sur tout le 20ᵉ siècle, chacun basé sur un des cinq sens que le monstre perd progressivement, avec le dernier sur l’esprit. On passe donc d’une poursuite dans un monde fantasmé entièrement mué, donc regardable qu’avec les yeux, d’un film noir sur un tueur lui ayant planté un couteau dans l’oreille, d’un moine rencontrant l’esprit du goût amer, d’un duo père-fille tentant de prouver qu’elle a un odorat particulier ainsi qu’une histoire d’amour entre vampires. Le dernier segment sert de conclusion à tout ça.
Non seulement chaque segment représente une année et un sens particulier, mais également un genre cinématographique. Le premier reprend l’esthétique de l’expressionnisme allemand, le second est un film noir, le troisième semble s’inspirer du Septième sceau d’Ingmar Bergman, le troisième est un film d’escroc rappelant les films du Nouvel Hollywood et le cinquième est plus proche du style de Bi Gan, étant un magnifique plan-séquence de 30 minutes dans une ville pauvre nocturne magnifiquement filmée. Le cinéaste met en avant toute l’histoire du cinéma dans Resurrection, montrant la puissance du médium. Les rêves du monstre sont des films que la femme admire, et le contexte de l’interdiction des rêves est utilisé pour monter que le cinéma est une sorte de rêve, et qu’il ne disparaitra jamais.
Chaque segment est donc une expérimentation pour le réalisateur, s’essayant à différents styles, différentes ambiances et différentes mises en scène pour chacun d’entre eux. Le premier et le cinquième sont les meilleures parties du film, surtout le premier qui propose une direction artistique absolument hallucinante et dont le regard du spectateur est entièrement mis à contribution. Les segments du milieu sont certes moins passionnants, mais valent quand même le coup.
Resurrection est très loin d’être un film pour tous les publics. C’est un grand film de cinéma, utilisant toute l’histoire et les expérimentations visuelles qu’a apportées le médium pour en faire un film entier qui explique pourquoi regarder des images qui bougent dans une salle noire pendant deux heures est l’une des choses les plus magnifiques qui existent.
Resurrection est présenté au FNC les 11 et 19 octobre 2025.
Bande-annonce
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