En 1816, le médecin italien John William Polidori et le poète anglais Lord Byron ont proposé un concours littéraire à leurs amis, chacun devant écrire une histoire d’épouvante. Parmi eux se retrouvaient Percy Bysshe Shelley et sa future femme, Mary Wollstonecraft Godwin, qui portera le nom de Mary Shelley. Si Byron a offert une courte histoire intitulée Le Vampyre, qui inspirera Dracula, Mary Shelley est celle qui remportera le concours, avec son histoire d’un scientifique qui crée un homme à partir de morceaux de cadavres.
Les origines
Plusieurs années plus tard, elle publiera son histoire sous le nom de Frankenstein, ou le Promothée moderne. L’histoire de Shelley sera surtout connue du grand public à travers ses adaptations au cinéma. Si l’on a eu plusieurs adaptations directes du roman comme The Curse of Frankenstein, produit par la Hammer avec Peter Cushing et Christopher Lee, ou celle de 1994 par Kenneth Branagh, avec Robert De Niro dans le rôle du monstre, la version la plus connue est celle de 1931 produite par Universal avec Boris Karloff dans le rôle du monstre. Une version qui est restée dans la culture populaire et dans la mémoire de plusieurs réalisateurs, notamment un certain Guillermo del Toro.
Victor Frankenstein (Oscar Isaac) | Crédit photo : Ken Woroner / Netflix
Grand amateur d’histoires de monstres et de littérature gothique, il était évident que le réalisateur du Labyrinthe de Pan soit attiré à adapter le roman de Mary Shelley. Il a même commencé à travailler dessus, il y a près de vingt ans, voulant faire une adaptation se rapprochant des écrits du poète John Milton, dont l’ouvrage Le paradis perdu a inspiré Mary Shelley. Il a cependant dû mettre le projet de côté suite à la grève de la WGA de 2007. Le projet fut resté dans l’enfer du développement pendant de nombreuses années, avec plusieurs tentatives de mettre le film en production. Ce ne sera qu’en 2023 que del Toro pourra finalement lancer le projet, grâce à une entente avec Netflix qui lui a déjà permis de faire son projet de cœur qu’était Pinocchio en 2022. Et ce, après toutes ces années, le Frankenstein de Guillermo del Toro arrive enfin sur nos écrans, avec un passage à la Mostra de Venise ainsi qu’à la 54ᵉ édition du FNC.
Entre l’homme et le monstre
Au Pôle Nord, un navire coincé dans les glaces tombe sur un homme blessé, ainsi que sur une étrange créature qui le poursuit. L’homme, qui se fait appeler Victor Frankenstein, raconte son histoire, quand il a tenté de contourner la mort en créant un homme à partir de personnes déjà mortes. Mais quand il abandonne sa créature, qu’il juge trop terrifiante, cette dernière cherchera à se venger de l’affront de son créateur.
Frankenstein contient toutes les obsessions de Guillermo del Toro : un monstre avec plus d’humanité que les humains, la mort, les expériences scientifiques douteuses et un attrait pour le gothique (la littérature, pas la mode). La dualité entre Frankenstein et sa créature est la parfaite représentation, avec Victor qui perd toute son humanité au fil du film et le monstre qui la gagne. Cependant, la grosse différence avec les autres adaptations est qu’il met en scène leur relation comme une relation père-fils, avec Victor qui tente en premier lieu de l’éduquer, mais qui finit par être plus un tortionnaire, rappelant sa relation tumultueuse avec son père. Del Toro amène également la religion au sein du script, faisant ainsi allusion aux écrits de John Milton.
Del Toro traite aussi comment la haine et la violence qui entoure le monde peut corrompre n’importe qui, et que la compassion est peut-être le seul salut à l’humanité. De ce fait, la créature est ici plus douce que dans ses autres itérations, se rapprochant notamment de la version de Boris Karloff. En effet, il a un comportement plus proche d’un enfant à ses débuts, à la fois curieux et effrayé. Il est ainsi plus éloigné que la version vengeresse de Mary Shelley, quoiqu’il ait gardé l’intelligence et la force surhumaine décrite par les romans.
Guillermo del Toro amène aussi à son Frankenstein tout son talent pour l’esthétisme. Le film est magnifique, que ce soit la direction artistique, les décors, la photographie de Dan Laustsen (qui avait déjà signé les précédents films du réalisateur) ou bien le design de la créature, qui ressemble à une poupée de porcelaine avec sa peau blanche et son aspect délicat, loin des physiques massifs des autres adaptations. Jacob Elordi, surtout connu pour Euphoria, offre d’ailleurs la performance de sa vie dans un rôle qui n’est pas évident, et est le parfait partenaire de jeu d’Oscar Isaac, superbe en savant fou.
Cependant, on peut reprocher au film de ne pas être aussi thématiquement fort que le reste de la filmographie de Guillermo del Toro. En effet, les thématiques apportées par le film sont du déjà-vu par rapport à ses autres longs-métrages, et les nouveautés qu’il apporte, comme la relation père-fils, ne sont pas autant exploités. Le film n’a donc pas la même force que les autres chefs-d’œuvre du cinéaste comme Le Labyrinthe de Pan ou The Shape of Water, donnant le sentiment que son projet de rêve est un film mineur. Le film a aussi du mal à se distinguer des autres adaptations, rappelant beaucoup la version réalisée par Kenneth Branagh en 1994. On peut aussi reprocher au film que la partie sur Frankenstein traîne un peu en longueur.
Frankenstein n’est pas le meilleur film de Guillermo del Toro. Néanmoins, si un film de cette qualité est considéré comme mineur pour un réalisateur, ça montre qu’il a un certain savoir-faire qui se poursuit à travers ce film.
Frankenstein est présenté au FNC les 12 et 19 octobre 2025.
