« Nos aînés nous enseignent que l’autisme est un don. Les personnes autistes sont perçues comme étant liées au monde des esprits. Elles sont “sewâtsiwin” ou “sacrées”. »
Dans les traditions autochtones, les différences n’étaient pas considérées comme un handicap, mais plutôt comme une force dont pouvait bénéficier l’ensemble de la communauté. C’était le cas des personnes autistes, considérées comme ayant des dons uniques et une connexion avec le monde des esprits.
Sewâtsiwin : Ils sont sacrés met en lumière Anders, un petit garçon autiste et sacré. Il grandit au cœur de sa communauté crie, soutenu et élevé par son père Grant Bruno. Dans une société plus occidentale, la différence d’Anders aurait représenté un poids pour sa famille, il aurait pu être rejeté et marginalisé. Or, je trouve qu’il a plutôt de la chance d’appartenir au milieu cri. Cet état d’esprit demeure incontestablement le plus sain pour assurer une vie décente aux enfants autistes.
Tout est clair lorsque Grant exprime un des paradoxes de la société : « L’Occident exige souvent des autistes de s’intégrer et d’agir normalement, tout en les traitant comme des malades. » En somme, on efface les différences de chacun pour les obliger à s’intégrer à une masse unie. Si quelqu’un sort du lot, on doit le « guérir » pour qu’il devienne « normal ». C’est fou, quand on y pense, non?
Sewâtsiwin : Ils sont sacrés nous montre à quel point un enfant autiste abrite certains dons. Il suffit de savoir les déceler, les mettre en évidence puis de les laisser se développer. Comme quoi, la différence d’une personne abrite — plus logiquement — des qualités supérieures, et non des défauts supplémentaires ! La personnalité d’un adulte à en devenir se construit complètement différemment ainsi. Anders ne va pas se définir comme autiste et différent de façon négative, puisqu’il porte le nom cri d’enfant-bison sacré. Il est valorisé. Le film, à son tour, met en valeur cet état d’esprit cri.
C’est lors d’une séquence du film que Grant découvre le plus grand don d’Anders : la chasse. Or, on sait à quel point la chasse tient une place importante dans la culture des Premières Nations, tout comme la pêche. La première fois de sa vie que l’enfant tire avec un fusil, à 200 mètres de sa cible, devant la caméra, il l’atteint en plein cœur. La joie et la fierté de Grant (le père) et Josh (son meilleur ami chasseur) respirent l’honnêteté, et nous partageons leurs sentiments à travers l’écran.
Au premier abord, j’ai été dérangée par une réplique, que j’ai comprise plus tard. Lorsque Grant parle d’emmener Anders à la chasse, des difficultés que cela représente à cause de ses « troubles sensoriels » et son ultra sensibilité face à son environnement, et dit « mais je tiens à l’inclure quand même ». J’ai perçu cela comme une manière de marginaliser Anders malgré tout, d’insister sur sa différence. Au fond, pas du tout. Grant montre qu’il faut une certaine force d’esprit pour ne pas exclure un enfant malgré les contraintes que peut représenter sa différence.
Finalement, le film ne critique pas le fait de considérer un enfant autiste comme étant différent. Le problème est de l’estimer malade. Sa différence, il faut l’accepter et s’y adapter. Sans relâche. Malheureusement, au cœur de la société occidentale, les autistes demeurent discriminés, tout comme le sont les autochtones depuis les colonisations.
Mettre en lumière les autochtones et montrer leurs difficultés à progresser dans une société qui ne leur correspond pas toujours, c’est la spécialité de Kim O’Bomsawin. À la fois cinéaste, sociologue et maman, cette réalisatrice abénaquise insiste sur la nécessité de défendre les enfants autochtones, et d’autant plus les enfants autochtones autistes.
L’une comme l’autre de ces communautés rencontrent de grandes difficultés pour avancer dans des structures remplies de barrières. Par exemple, le discours de l’ergothérapeute nous apprend que le gouvernement canadien a carrément été jugé (2016) pour discrimination envers les gosses autochtones vivant dans les réserves, marginalisés. Grant explique également le problème de séparation entre les traitements médicaux et ceux plus traditionnels. Il a fallu choisir entre les deux, car il est difficile de faire profiter de tous ces avantages à Anders dans son éducation. Pourtant, il essaie quand même de l’initier au mieux à tous les pans de la culture cri et à ses traditions.
Vivant moi-même sur un autre continent, j’ignorais tout de ce type d’enjeux et de problématiques. Pour moi, la discrimination autochtone fait écho aux colonisations, au temps des cow-boys et des grandes invasions européennes du territoire. Même si on peut s’en douter, on ne se rend pas du tout compte du côté très actuel de ces questions. L’objectif de la réalisatrice, de « montrer au monde entier » les valeurs des Premiers Peuples et leur place dans la société actuelle, semble alors atteint. J’approuve totalement l’intention de réaliser un film tel que celui-ci pour enseigner et sensibiliser sur un sujet si important. J’ai beaucoup appris pendant mon visionnage, mais aussi après, en m’évertuant à approfondir certains points par des recherches personnelles.
Sewâtsiwin : Ils sont sacrés, en plus d’être le portrait d’une lutte, d’un engagement, possède une réelle valeur informationnelle et éducative. Toutefois, les qualités de ce documentaire ne s’arrêtent pas là. La présence de la caméra en plein cœur du sujet se révèle également d’une grande force.
Pour finir cet article, j’aimerais que l’on entre dans le processus de création du film, à travers la place du caméraman pendant le tournage et ses techniques de captation. En effet, ce qui m’a le plus touchée, et lié au protagoniste, c’est le jeu entre la caméra et lui.
Le genre documentaire permet souvent une rupture du quatrième mur, une interaction avec les personnes filmées. Mais là, ce procédé prend son sens à travers une réelle complicité créée avec les sujets, pour mieux nous toucher et nous émouvoir. Ainsi, le spectateur se sent davantage impliqué et concerné.
De plus, cette interaction m’a permis de percevoir une certaine évolution dans l’ouverture de l’enfant. On voit un petit Anders tout timide au début, qui « parle très peu, surtout aux nouvelles personnes » comme l’a si bien dit l’ergothérapeute. Puis au fil des minutes, on le voit de plus en plus ouvert et complice. Même s’il connaît la réalisatrice avant le film, on peut imaginer que le caméraman reste un homme qu’il ne connaît pas, donc il lui faut un peu de temps au début. D’ailleurs, on peut même deviner l’ordre de tournage de certaines séquences, qui se retrouvent inversées au montage, rien qu’avec ces indices. J’ai trouvé ça assez amusant.
Ensuite, dans certaines scènes, Anders joue avec la caméra et le cameraman, par exemple en se cachant derrière un poteau, tout sourire, alors que la caméra le cherche en tournant autour de lui. Ailleurs, on remarque qu’il est quasiment le seul à proposer de multiples regards-caméra inopinés, en dehors des interviews. Cela permet de mieux comprendre par nous-mêmes sa façon de fonctionner, et de réaliser qu’il est plus sensible à son environnement. On perçoit une nette évolution entre un Anders assez impressionné par le tournage, puis le petit garçon joueur et complice. Il se sent de plus en plus à l’aise, et je crois que cela rassure un peu le spectateur, qui n’a plus peur de s’immiscer dans sa vie en le surstimulant sans qu’il n’en ait envie. Les barrières se lèvent.
D’autres personnes se prennent aussi au jeu avec la caméra, comme Josh au début de la vraie partie de chasse qui fait mine de se recoiffer dans le reflet de l’objectif, puis les petites filles lors de la cérémonie qui font coucou à la caméra.
Tout compte fait, j’ai beaucoup aimé ce film, alors que je ne regarde pas souvent de documentaires. Kim, Anders, Grant, Hugo (l’homme derrière la caméra), et même le monteur, ont su m’atteindre, m’attendrir et éveiller une vraie curiosité en moi face à des sujets que je connaissais mal. Les paris de l’équipe sont relevés! Les qualités techniques, narratives et humaines que j’y trouve m’amènent à penser que ce film remportera plusieurs grands prix…
Bande-annonce
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