« Je ne me dis pas “Oh, je veux créer un décor grandiose”. C’est généralement une idée de personnage, ou d’histoire, ou vraiment une idée de sentiment que je veux communiquer. »
— Genndy Tartakovsky

Bull, un chien ordinaire et plutôt gentil, apprend qu’il va être castré demain matin. Il réalise qu’il a besoin d’une dernière aventure avec sa meute, car ce sont les dernières 24 heures avec ses balles. Que pourrait-il se passer?

Petit Septième, grand événement

Pour celles et ceux qui ne le savent pas, le festival Fantasia qui commençait le 16 juillet vient de prendre fin le 3 août 2025, terminant ainsi sa 29^e édition. La journée de clôture fut marquée par la venue du légendaire dessinateur et réalisateur Genndy Tartakovsky, alors qu’Il y présentait son dernier long métrage, Fixed. Ce fut le moment idéal pour lui remettre le prix Career Award cette année, au même titre que Danny Elfman (pour vous dire à quel point monsieur Tartakovsky est une sommité dans son domaine).

Le Petit Septième a eu la chance de pouvoir s’entretenir quelques minutes avec Monsieur Tartakovsky avant d’assister à la représentation. Une expérience qui pour moi fut extrêmement enrichissante même si elle ne dura que 3 minutes (comme quoi ça peut être court et quand même être bon). Mais d’abord, assurons-nous d’être au même parfum sur l’homme derrière la légende.

Omelette du hommage

Qui est Genndy Tartakovsky? Premièrement, laissez-moi vous dire qu’il fait partie de mes modèles aux mêmes titres que Lynch, Serling, K.Dick, Asimov (et j’en passe quelques-uns pour écourter un peu). Je l’ai découvert à un moment où j’étais encore trop jeune pour apprécier qui faisait quoi et comment dans une animation, mais l’émission, elle, je l’aimais et ça c’était bien évident. Dexter’s Laboratory fut une des œuvres qui, sans m’en rendre compte, me laisserait tranquillement des marques indélébiles (merci Momo le singe). Souvenir d’enfance solitaire, mais aussi partagé avec mon cousin.

Il commence sa carrière en animation en travaillant sur la série Batman : The Animated Serie; les producteurs de la série furent impressionnés par ses courts métrages dont l’un d’eux deviendra plus tard Dexter’s Laboratory. Par la suite, il aura la chance d’élargir son univers intérieur vers l’extérieur en nous offrant Samurai Jack, Primal, Sym-bionic Titan, Unicorns : Eternal Warriors sans parler bien sûr de son travail avec Lucasfilm pour produire la première série Clone Wars (selon moi, le seul truc Star Wars qui soit bon depuis Episode III). 

Le 13 août prochain, Fixed, le tout dernier film d’animation de Genndy Tartakovsky paraîtra sur Netflix (booooouh, Netflix!) pour tous ses abonnés. La distribution pourra aussi en intéresser plus d’un avec des noms comme : Adam DeVine dans le rôle de Bull; Idris Elba est son meilleur ami Rocco; et Kathryn Hahn, interprète Honey, l’amie de Bull, un lévrier afghan de pure race. Des personnages qui n’ont pas du tout la langue de leur poche arborant un vocabulaire beaucoup plus cru qu’à l’habitude pour Tartakovsky, mais en même temps peut-être un peu plus prêt du vocabulaire usuel contemporain.

En pleine face

Fixed est un long métrage d’animation assez unique dans sa manière d’aborder certains sujets, disons plus tabous, de front. Si vous pensiez, cher lectorat, qu’un film abordant la dernière journée d’un chien avant de perdre ses testicules focalise son humour en innuendo subtiles… Laissez-moi vous dire que vous avez eu tort. On parle de sexe, de partie intime et encore de sexe englobé dans un dynamisme « slapstick » très divertissant.

Difficile d’être plus « dans la face » que ça. Dommage pour moi qui n’est pas un fan de ce genre d’humour (détrompez-vous, j’apprécie une blague grivoise de temps à autre aussi bien que n’importe qui) répété où le sexe est la principale source de rire. Pourtant, ce fut un succès pour les amateurs du genre qui s’esclaffaient durant le visionnement alors que Bull, protagoniste avec la voix d’Adam Devine, se trempe le bistouri dans une crème glacée après se l’être fait électrocuter en se… frottant trop fort contre une lampe électrique. Comme le dit si bien Kit, interprété par Martin Sheen, dans le film Badlands : « takes all kinds ». 

Peut-être aussi que je me suis assez amusé avec American Pie à l’époque, mais alors je n’étais qu’un adolescent. N’empêche que l’animation est excellente et principalement dessinée à la main, mais pas complètement. De toute façon, se priver entièrement d’une technologie qui puisse vraiment assister efficacement les artistes auraient été un sacrifice inutile au nom simplement d’un purisme stylistique. Sans contredit, on ressent bien la partie « faite à la main » de l’animation et c’est paradoxalement rafraîchissant.

C’est comme le sexe finalement; pas parce que la routine tue le plaisir qu’on est obligé d’enlever aussi nos bonnes habitudes et n’essayer que du nouveau à chaque fois (voyez-vous? Je vous l’avais dit que je pouvais parler de ces choses-là aussi) au risque de revenir redondant de ne pas vouloir l’être. Pourtant, c’est exactement ce à quoi ressemble le bon temps entre amis proches; on oublie un peu les filtres et les conventions sociales et on se permet de s’amuser plus librement, en appréciant autant les choses nouvelles que les plus vieilles. En ça, Fixed réussit à merveille à dépasser encore une fois les limites; même si ce n’est pas par un kilomètre, c’est tout de même impressionnant.

Fixed est présenté au Festival Fantasia, le 3 août 2025.

Bande-annonce

Entrevue

Samuël : Salut.

Tartakovsky : Salut.

Samuël : Tout d’abord, je suis l’un de vos plus grands fans depuis très longtemps.

Tartakovsky : Merci.

Samuël : Alors, je me demandais. Vous avez fait des séries partout dans le monde, qui se passent partout à travers l’espace et le temps, alors je me demandais : pourquoi le film se passe-t-il, à notre époque et… pourquoi des chiens?

Tartakovsky : Pourquoi des chiens?

Samuël : Ouais.

Tartakovsky : Eh bien, ce film est né de mon amour pour mes amis, mes amis d’enfance, et ils me font rire comme personne. Donc, comme beaucoup de gens ont des amis, et donc… à partir de là, je me suis demandé comment je pouvais transposer cette dynamique en animation, afin de pouvoir intégrer certains des meilleurs aspects que j’aime chez mes amis, leur dynamique et leur personnalité, les exagérer et en faire une animation.

Samuël : Oh!

Tartakovsky : Exact! Et c’était le début. À l’origine, le film s’appelait Buds. Et il y aurait toujours un chien, vers 2008. Et puis, je suis allé chez Sony, j’ai fait une présentation et ils ont aimé. Mais ensuite, ils ont dit : « Il faut un concept », et là, ça m’a frappé. « Eh bien, leurs chiens, et l’un d’eux apprend qu’il va être castré le lendemain matin. »

Samuël : Oui, et vous avez travaillé avec des chiens par le passé, comme dans 2 Stupid Dogs, je crois, pour la boîte Hanna-Barbera.

Tartakovsky : Oui. Donc, tout le monde a ri, et c’est tout. Ensuite, tout s’est mis en place de manière très organique.

Samuël : Donc ça vient de l’époque où vous avez commencé avec vos collègues Paul et Craig, et tout ça?

Tartakovsky : Non, pas eux. Mes amis d’enfance. Du lycée.

Samuël : Oh, vos amis d’enfance et non ceux du collège? 

Tartakovsky : Ouais.

Samuël : C’est sympa! Et je voulais savoir… Pensez-vous que ce soit le cadre le plus utile pour parler de choses dont vous ne parlez pas beaucoup d’habitude dans vos autres animations?

Tartakovsky : Oui, comme d’habitude, j’aime bien la fantaisie, j’aime m’évader de la réalité…

Samuël : Peut-être un peu de vertu aussi?

Tartakovsky : Peut-être un peu, mais c’est surtout que je voulais quelque chose de drôle. Et l’énergie, l’humour et l’animation. Et vraiment faire un film pour adultes avec un côté grivois, mais aussi une animation vraiment drôle et quelque chose d’un peu différent de ce qui existe.

Samuël : Très différent.

Tartakovsky : Oui. L’histoire et le décor collent bien, tu sais. Parce que d’habitude, je ne me dis pas « Oh, je veux créer un décor grandiose ». C’est généralement une idée de personnage, ou d’histoire, ou vraiment une idée de sentiment que je veux communiquer. Et c’est comme ça que mes projets commencent à prendre forme.

Samuël : Et ce sentiment, c’était à propos des bons moments que vous avez passé avec vos amis à l’époque ?

Tartakovsky : En gros, oui, notre relation, une sorte de bromance, une romance.

Samuël : Merci pour votre temps. Ce fut un plaisir.

Tartakovsky : Oui.