Triple A raconte l’histoire de trois vies, trois marginaux, pour un organe. De subtiles variations autour du même univers, la pauvreté. Trois histoires de couples, mais toutes servant un besoin vital : un organe fonctionnel.
Avec ce deuxième long métrage, la réalisatrice, productrice et scénariste marocaine Jihane Bahar a remporté le prix du Meilleur Film Étranger au SOHO International Film Festival de New York. Dans Triple A, elle explore différentes formes d’amour – et son absence – en abordant un sujet profondément complexe et troublant : le trafic d’organes dans la société marocaine.
Quand un organe devient une monnaie d’échange
Tout comme une pauvre fille vendant ses cheveux pour de l’argent dans un conte de fées, le corps humain peut, dans des moments désespérés, devenir une marchandise. Mais quand il s’agit d’organes, les enjeux sont bien plus élevés – ce n’est pas juste une mèche de cheveux ; c’est une partie de soi, irréversiblement perdue.
Dans le film, trois couples, luttant tous pour survivre, se retrouvent dans un besoin urgent d’argent au nom de l’amour. Yassir, sans-abri et amoureux de Yasmine, a besoin de 1,5 million de dirhams pour sa transplantation cardiaque. Souad, une infirmière, essaie de réunir 100 000 dirhams pour que son amant Azzouz puisse obtenir un diplôme en chirurgie – réalisant ainsi le rêve de sa mère d’avoir un médecin dans la famille. Naima, qui survit en mendiant, a besoin de 80 000 dirhams pour obtenir la libération de prison de son mari Ahmed. Ils sont tous désespérés. Ils ont tous besoin d’argent. Mais il ne leur reste plus rien à donner – à part leur propre corps.
Le prix du sacrifice
Leur sort bascule lorsque Yassir décide de vendre son rein. Souad, y voyant une opportunité, suggère l’idée lorsque Yassir amène Yasmine à l’hôpital. Mais quel rein devrait être vendu? Chacun des trois – Yassir, Souad et Naima – veut faire l’échange ultime, mais leurs motivations diffèrent. Yassir est prêt à se sacrifier pour Yasmine. Souad, en revanche, est moins préoccupée par l’amour et plus intéressée par le profit en tant qu’intermédiaire. Naima n’envisage même pas d’offrir son propre rein – elle est prête à vendre celui de sa fille.
Malgré leurs circonstances tragiques – la souffrance de Naima sous un mari exploiteur, la lutte de Souad pour affirmer son contrôle sur son destin – leurs actions exposent les effets brutaux de la pauvreté. Le film pose la question : comment le désespoir dépouille-t-il les gens de leur humanité? Et jusqu’où iront-ils pour retrouver l’amour, même si cela signifie piétiner quelqu’un d’autre?
Les personnages sont troublants, mais puissamment interprétés, rendant leurs performances d’autant plus captivantes.
« Être la voix des sans-voix »
Dans une interview, Bahar a révélé que le film avait été inspiré par des enfants forcés de mendier dans les rues – une réalité dont elle a été témoin une nuit. Bien que Triple A ne se concentre pas explicitement sur les problèmes sociaux, le film sensibilise subtilement à ces questions. Bahar voit son rôle d’artiste comme celui qui donne une voix aux sans-voix, mettant en lumière le sort de ceux qui sont piégés en marge de la société.
La fin tragique du film renforce cette vision pessimiste – échapper à la pauvreté n’est pas une mince affaire. Ce sentiment de fatalisme est accentué par la narration poétique, qui tisse des extraits du Prophète de Khalil Gibran dans l’histoire. Cela donne au film une qualité de fable, comme si les destins des personnages étaient prédéterminés, aussi immuables que le mythe. La musique mélancolique renforce encore cette ambiance sombre.
Triple A n’est pas un film facile à regarder, mais il est nécessaire. Son histoire originale, ses performances poignantes et sa cinématographie artistique en font une expérience puissante et stimulante.
Triple A est présenté au Festival Vue d’Afrique les 6 et 8 avril 2025.
