« You can’t stop the production just because somebody dies. »
[On ne peut pas arrêter la pièce juste parce que quelqu’un meurt.]
Suite aux ravages causés par la pandémie de la COVID-19 au Royaume-Uni, Sam Crane et Mark Oosterveen, comédiens de théâtre, tentent de trouver de l’emploi là où ils le peuvent. Passant leurs journées à jouer au jeu vidéo Grand Theft Auto V, une idée passe par la tête des deux grands fans de William Shakespeare : et s’ils adaptaient le classique Hamlet, et ce, entièrement joué et présenté dans Grand Theft Auto? Entre les griefers et les autres joueurs ne les prenant pas au sérieux, c’est plus facile à dire qu’à faire…
Avec Grand Theft Hamlet, le duo de réalisateur.trice Sam Crane et Pinny Grylls nous prouvent qu’une pandémie mondiale, ce n’est pas une excuse pour cesser d’adapter les grands classiques du théâtre.
Pour le meilleur et pour le pire, Grand Theft Hamlet repose presque entièrement sur sa gimmick et son marketing. S’agissant du premier film (du moins, officiellement), tourné entièrement à l’intérieur de Grand Theft Auto, il va de soi qu’une bonne partie de votre appréciation découlera directement de votre affinité avec le jeu dont il est question. Pour les non-initiés, Grand Theft Auto est un jeu vidéo dont le principal point de vente est de laisser le joueur libre de faire ce qu’il veut dans un monde moderne. Celui-ci peut conduire des voitures, jouer à plusieurs mini-jeux, et oui, tuer des passants pour aucune raison valable, le tout sous un ton parodique satirisant lourdement la culture américaine et ses excès.
L’époque où Rockstar, principale équipe de développement du jeu, enchaînait les poursuites judiciaires et critiques de parents conservateurs (dont le principal argument était qu’un jeune jouant à un jeu vidéo violent était grandement plus à risque de développer des comportements violents et tenter de reproduire la violence virtuelle dans la vraie vie) étant depuis longtemps derrière eux, avec plus d’un milliard de copies vendues, GTA V figure aujourd’hui au top 3 des jeux vidéo les plus vendus de tous les temps (derrière Minecraft et… Tetris, dont le développeur principal n’a d’ailleurs jamais touché un seul sou des revenus; mais ça, c’est une histoire pour un autre jour). Il n’est donc pas exagéré de dire qu’il s’agit d’un véritable phénomène culturel, et l’équipe de Grand Theft Hamlet compte grandement sur votre attachement à cette série pour vous vendre ce documentaire (dont j’étire la définition, étant donné qu’une grande partie semble être scriptée).
À la base, et ce surtout dans le contexte d’ennui relié aux jours de la pandémie, le concept n’est pas bête; durant leur session quotidienne de GTA, le comédien Sam Crane et son ami/collègue Mark Oosterveen, ou plutôt, leurs avatars, tombent sur une scène de théâtre déserte. Un réflexe tout à fait naturel se déclenche alors pour Mark Oosterveen, qui accourt sur scène et se met à monologuer : « être, ou ne pas être! Telle est la question. » Les deux amis déconnent, et s’imaginent à quel point il serait amusant de mettre en scène une pièce de théâtre entière par le biais du jeu, pièce à laquelle pourraient assister d’autres avatars de joueurs réels. Si l’idée semble aux premiers abords réalisable, quiconque est familier avec le jeu sait qu’un problème majeur se pose déjà; comme GTA est un jeu en ligne et que n’importe qui peut rejoindre la session, ils ou elles sont par le fait même tout en capacité d’attaquer et tuer votre personnage, après quoi vous devez recharger la partie, et ce, parfois très loin du point géographique où vous étiez. Les comédiens ont vite un avant-goût de ce qui les attende alors que, pendant que Mark récite le monologue célèbre, un avion de chasse tire, puis s’écrase sur celui-ci.
La tâche s’avérant dès lors plus ardue qu’ils ne le pensaient, Sam recrute Pinny, sa femme, pour aider avec la production. Ses tâches incluent, mais ne se limitent pas à, tuer quiconque tenterait de s’approcher des comédiens avec des intentions néfastes, cogiter sur l’aspect visuel de la mise en scène, et, le plus important, « filmer la pièce » (en cela que c’est à travers de son point de vue subjectif, ou first person, que la pièce sera diffusée en streaming pour ceux et celles ne pouvant pas y assister physiquement… ou dans ce cas, virtuellement?). Les comédiens se mettent alors à engager d’autres comédiens et comédiennes pour combler les rôles, et ce, sans se soucier d’être fidèle aux genres ou costumes de la pièce originale, ce qui mènera naturellement à des situations loufoques que je vous laisse découvrir pour vous-même.
Tel que mentionné plus tôt, en dehors de l’aspect comique et inusité de sa prémisse, Grand Theft Hamlet ne va pas beaucoup plus loin que son postulat original, et si ledit postulat m’a personnellement diverti, il pourrait pour certains spectateurs vite devenir fatiguant d’entendre les répliques les plus célèbres de l’histoire du théâtre à travers un microphone de qualité douteuse, ou de voir les avatars des comédiens se faire fusiller pour une énième fois. Ce dernier point en est d’ailleurs un dont Sam Crane et sa compagne Pinny Grylls étaient très conscient.e.s, et d’autres types de problèmes plus personnels arrivent très vite en jeu. Par exemple, Pinny, qui a deux enfants avec Sam, trouve que ce dernier passe trop de temps à jouer, et ce, aux dépens de leurs fils. Dans une autre scène, Mark, sentant qu’il prend la pièce beaucoup plus à cœur que son collègue, se chicane avec celui-ci. Si ces moments peuvent sembler pertinents pour ne pas seulement voir un film où des personnages se font écraser par des voitures, la juxtaposition entre les moments spontanés du jeu et les moments plus dramatiques rend très évident que ces scènes sont scriptées pour ajouter de la variété aux différentes péripéties, et leur impact en devient vite réduit. Malgré tout, nous ne doutons jamais de la passion véritable qui transpire à travers les acolytes, et quiconque est fan de jeux vidéo, ou amateur de théâtre cherchant une nouvelle adaptation originale d’un classique conté et raconté, trouveront leur compte dans Hamlet à la sauce Los Santos.
Bande-annonce
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