« C’est à lui maintenant de veiller sur son tout-petit. L’histoire de Bambi peut recommencer. Celle du Petit prince de la forêt. »
Dès les premiers jours de sa vie, un jeune faon s’émerveille de tout ce qui l’entoure, aux côtés de sa mère, pleine de tendresse et d’amour, qui lui transmet les choses fondamentales qu’il devra connaître pour survivre… En grandissant, Bambi se fait beaucoup d’amis parmi les animaux de la forêt et rencontre Faline qui deviendra son amoureuse. Mais avec l’arrivée de l’automne, Bambi est orphelin : des chasseurs lui ont volé sa mère. C’est alors qu’il découvre qu’il n’est pas seul : son père, Le Prince, veille sur lui et lui apprend à se prémunir des dangers de la vie sauvage, et surtout… à grandir.
J’aurais du être plus précis dans mon dernier article quand je mentionnais que c’était peut-être un manque de tacte ou même intimidant lorsqu’on nous interroge sur la qualité d’un produit ou autre alors que l’interpellé n’est clairement pas d’avis de l’excellence de ce dernier et que l’interpellant s’attend, presque sadiquement, à avoir une réponse positive obligatoirement. Parce que c’est aussi ça de l’intimidation. Selon le Larousse, on définit l’intimidation comme « un geste, une intervention ou un commentaire qui menace, blesse, humilie ou prive quelqu’un d’autre de sa dignité ». Priver de sa dignité, dis-je… Alors, n’attendez pas qu’on vous réponde avec l’enthousiasme que vous espérez tant lorsque vous savez très bien que cette réponse sera forcée; même si c’est « juste un film ». Est violent tout acte qui incite à répondre par la violence, donc est violent même celle ou celui qui légitimise sa violence (c’est pour ça qu’on parle d’un cycle).
Dans les années 40 du siècle dernier, disons qu’on commençait la décennie du mauvais pied. Une production cinématographique était alors une espèce de luxe que pouvaient s’offrir en divertissement celles et ceux (surtout celles) loin de la guerre et qui souhaitaient s’arracher à l’angoisse de ne pas savoir. Sans oublier que de l’autre côté de l’océan Atlantique, le cinéma était devenu l’outil de propagande le plus efficace qui soit; la violence n’a pas besoin d’être frappante pour faire mal. L’animation qui est considérée maintenant comme « juste des petits bonshommes » n’avait pas la même réputation à cette époque. Et c’était facile de faire des œuvres significatives, l’ère propice à l’expression d’idées ainsi que de sentiments profonds et enracinés à même la nature humaine qui nous habite tous, que nous le voulions ou pas.
Bambi fait partie de ces œuvres puissantes qui portaient non seulement le souffle, mais aussi l’âme de ces temps partagés entre la beauté de l’immensité du monde qui s’étend sous nos yeux et les horreurs innommables qui s’y cachent. La présence de la guerre et les notions de danger imminent n’étaient pas étrangères à ces productions. Souvenons-nous comment Bambi voulu se précipiter dans les prairies dorées et comment sa mère l’arrêta dans son élan (jeu de mots) afin de le prévenir des risques de sortir à découvert loin des branches et des bosquets de la forêt? Moi, ça me rentre dedans avec une telle force, j’ai l’impression de pouvoir ressentir toute une époque à travers ces quelques paroles.
Michel Fessler a tenté l’impensable pour nous contemporain, le défi de revoir l’histoire du Petit prince de la forêt, mais, cette fois, avec de vrais animaux. Bambi, l’histoire d’une vie dans les bois, réalisé par Michel Fessler, est un véritable miracle de réalisation et un bijou à regarder. Alors que les studios Disney sont incapables de mettre un chien sur un plateau sans une équipe prête à TOUTE éventualité, Fessler réussit tout de même à nous montrer des animaux en chair et en os déambulant parmi la nature en herbe et en écorce. C’est un sentiment magique que de se questionner sur la faisabilité des scènes qui défilent à l’écran et de constater le travail derrière le montage. Juxtapositions, superpositions et même de véritables interactions entre des créatures toutes aussi réelles et vivantes que le public qui les regarde permettent de vivre une expérience complémentaire à ce célèbre film de 1992, Homeward Bound : The Incredible Journey; à une exception prêt.
Contrairement à la plupart des œuvres cinématographiques destinées à la famille et au plus petits, ce long métrage décide d’opter pour un dialogue encore moins élaboré que dans WALL-E et pourtant au combien complexe d’une langue que nous avons oubliée depuis longtemps (je viens de comprendre comment ça fonctionne les participes-passés, je pense); celle de la nature. Une narratrice, Mylène Farmer, aide à tisser doucement — pareil aux mots réconfortants d’une mère — un récit libre d’interprétation dans les détails tout en étant absolu dans ses grandes lignes. Qu’elle est belle et cruelle, n’est-ce pas? Quant à l’Homme, il n’est toujours pas loin, rodant dans des territoires qui lui étaient autrefois familiers lui semblant désormais hostiles. Une étrange créature que nous sommes en fin de compte. Ne trouvez-vous pas cela singulier de notre part d’agir comme si nous n’étions pas l’objet de fascination des autres animaux, comme nous d’eux? Ayons en mémoire que la dernière tendance en ce qui a trait à l’évolution de la vie sur Terre est quasiment sans poil et sur deux pattes.
On ne peut malgré tout rester insensible à l’apparente affection et camaraderie qui se dégagent de chaque être présent à l’image. Est-elle si cruelle et sans pitié, après tout? La vérité est que rien n’est aussi facile à accomplir qu’on le prétend, mais sont aussi rares les choses tout autant ardues à réaliser. La beauté émane de cette grâce consciente du temps investi à sa réalisation. Une fleur n’est pas belle par sa tige, ses pétales ou son pollen; c’est de son cheminement d’état de graine à l’aboutissement d’un état tellement plus complexe et lointain de son origine et du temps imparti à sa réalisation. L’évolution est donc ce qui est beau non par sa nouveauté, mais par sa progression dans le temps et sa réaffirmation constante dans le présent.
C’est avec un léger craquement au cœur que je constatais à travers les lentilles des caméras que l’activité humaine a bel et bien appauvri la forêt autant en abondance qu’en diversité. J’ose avancer qu’il est là le plus grand écart avec le film d’animation de 1942. Loin d’un reproche, mais plutôt un triste constat. On finit par avoir l’impression que les bois sont vides et que ce qu’il en reste n’est composé que de quelques représentants de chaque espèce. Entre autres, l’une des raisons pour laquelle ce film m’a autant touché. Tout comme la pièce originale, cette itération laisse une trace du passage de notre époque qui comme les autres avant sera un jour aussi révolue.
L’espoir que tout puisse recommencer en est un puissant qui donne envie de s’améliorer et de faire mieux la prochaine fois. Bien évidemment, il est bien plus facile d’apprécier ce Bambi-ci quand on a déjà vu le premier, mais il incite sans aucun doute à le revisiter pour y retourner ensuite à titre comparatif. Ce n’est pas la même histoire tout en étant la même histoire; mais toute vie n’est-elle pas en soi similaire? Assistons-nous à une réécriture du récit du jeune daim de notre enfance ou est-ce celui d’un autre avant ou même après? Décidément, un autre point fort de ce long métrage; l’ambivalence que l’on laisse à la discrétion de chaque membre du public à intérioriser les concepts de la naissance, de la vie ainsi que de la mort.
L’idée de la succession est sans doute ce que j’associe le plus comme pensée envers cette œuvre. Que laissons-nous derrière et que faisons-nous avec ce que l’on nous a légué? Bambi est à notre image, naïf et insouciant de ce qu’implique être vivant, il apprend et doit savoir écouter les conseils parfois incompréhensibles dans l’immédiat, mais qui — pareil à la génétique qui lui permet de se mettre sur ses pattes à la naissance — lui permettra d’affronter moult périples. Un cadeau qu’il pourra ensuite redonner à son tour. Notre monde ne nous a pas été donné en parfait état, mais le fut-il vraiment à notre juste contentement? On peut toujours penser à ce qu’on n’a pas, mais il est bien plus constructif d’essayer de partir de ce que l’on a ici et maintenant. On en est là, nous nous moquons des religieux qui demandent des réponses aux cieux, alors que nous nous attendons à ce qu’un magicien moderne vienne régler tous nos problèmes de sa baguette scientifique si on chiale assez fort. Vous savez, moi aussi ça me fait de la peine quand Bambi perd sa mère… Ce n’est pas la mort en soi, mais d’avoir à assimiler le concept que même si sa présence physique sera dissipée; jamais son souvenir ne le sera.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième