« For the mother she died. For the mother she will rise. »
[Pour sa mère, elle est morte. Pour sa mère elle ressuscitera.]
Anahita, traumatisée par la disparition brutale de sa mère, trouve du réconfort auprès de Shalini, sa professeure d’histoire. Lors d’une excursion scolaire non conventionnelle sur un mystérieux site ancien, elle affronte son terrifiant destin.
Les mythes et les légendes sont-ils seulement les écrits du passé ou pouvons-nous encore réinterpréter le monde à travers de nouveaux concepts et de nouveaux symboles en les faisant évoluer dans la continuité de ceux déjà existants? Bokshi, réalisé par Bhargav Saikia et écrit par Harsh Vaibhav, se positionne pour effectuer ce tir peu tenté de nos jours (et surtout ici). Ce premier long métrage signé Saikia plonge dans les notions de sémiotiques pour en extirper de ses entrailles une pièce mythologique unique en y incorporant aussi une symbolique féministe.
Le long métrage ouvre sur un trou noir béant et dentelé évoquant la Vagina Dentata — terme utilisé en sémiotique pour désigner le symbole ancestral du danger à convoiter les femmes et de dissuasion au viol et à la violence perpétrée contre elles — entouré d’une spirale cornucopiante de pierres représentant l’abondance et la plénitude tandis qu’une lumière écarlate réminiscente du Muladhara plonge le spectatorat dans une atmosphère de peur. Le Muladhara est le chakra racine associé à l’élément de la terre, il est situé à la base de notre pelvis et gère les émotions reliées à la survie (manger, boire, dormir, se loger, se reproduire, etc.), la stabilité et la sécurité. Ce bassin énergétique est aussi intimement lié à la façon que nous avons de se sentir dans notre propre corps, c’est donc sans surprise que les blocages de ce dernier soient en relation avec la peur viscérale et subversive.
Ce qui est bien avec l’Hindouisme, et comment cela traite des chakras, c’est la notion d’inclusion de débalancements, non seulement spirituels, mais aussi physiologiques. En effet, on explique comment un débalancement du Muladhara peut être à l’origine de symptômes comme des troubles intestinaux, une perte ou un gain soudain de poids et même l’incontinence. Anahita, interprétée par Prasanna Bisht, porte des couches malgré son âge de 17 ans depuis que les traumatismes reliés à la perte de sa mère reviennent la hanter dans des rêves de plus en plus vivides. De ce fait, on transforme une caractéristique invraisemblable en un trouble facilement identifiable par le spectatorat qu’il peut ensuite se situer à la base de l’énergie identitaire de la protagoniste
L’ambiance sonore est au poil quand vient le temps d’invoquer la terreur, mais les morceaux de musique pop – tout particulièrement lors du générique de fin – laissent de glace et ne font simplement pas justice à la profondeur de l’œuvre. Bokshi sait malgré tout garder son public en haleine lorsque cela importe. Il faut dire qu’un film d’horreur dépassant les 120 minutes c’est déjà beaucoup, mais ici on étire la sauce encore plus avec presque 3 heures de visionnement. J’apprécierais davantage de considération de la part des réalisateurs dans le futur à inclure – à la manière de Kubrick dans 2001 : A Space Odyssey – un entracte comme au théâtre. C’est navrant d’avoir à manquer une partie du film au cinéma (surtout quand on paye le billet) pour une pause pipi et se faire dire qu’on a manqué le meilleur moment.
Il est difficile de prévoir quand il est possible de détourner son attention d’un film surtout quand on ne l’a pas vu, ou que la vitesse avec laquelle se dévoile l’histoire est sporadique comme dans le cas présent. Donner du répit au flot narratif est essentiel pour ne pas perdre l’attention de son public et lui permettre de bien comprendre le déroulement, mais il n’est pas nécessaire d’expliquer des choses que nous allons voir pour ralentir le débit. Le film de monsieur Bhargav Saikia explique trop et ne montre pas assez en proportion avec le temps total de son œuvre. Il y a au moins deux moments où les personnages parlent pendant plus d’une dizaine de minutes dans des échanges qui auraient pu être retravaillés pour ne durer que quelques dizaines de secondes.
Les scènes transcendantales et subjectives demeurent extrêmement lyriques et significatives permettant sans trop de casse-tête de bien saisir la diégèse, mais aussi le sous-texte se rapportant au sens de l’œuvre en tant que telle. Si on avait un petit balado pour parler de cinéma de manière plus technique, Bokshi serait sans aucun doute idéale pour parler de certains sujets plus vagues en cinématographie. Bien sûr, j’essaie de faire un sommaire concis lorsque je fais mention de notions comme la Vagina Dentata ou la réflexivité, mais si vous connaissez la complexité derrière la mise en place d’une symbolique puissante comme celle-ci, je suis sûr que vous savez aussi ô combien il est possible de s’abandonner à y réfléchir longtemps. Un remerciement solennel en direction de ce savant professeur d’université qui m’inculqua plusieurs de ses connaissances et qui n’aime pas avoir son nom sur le Web (promesse tenue, mon cher).
Un excellent film, mais les points qu’il perd dans ma critique sont importants à souligner, car ils sont à proscrire si on veut éviter de perdre son public à l’avenir. La problématique est loin de se situer au niveau de l’audio-vidéo, mais elle reste tout de même technique. Le scénario lui-même est bon, toutefois l’introduction avec la grand-mère de Anahita et son départ pour les résidences de sa nouvelle école est beaucoup trop longue. S’en résout ainsi un état commotionné chez le public provoqué par le soporifisme de certains moments dont l’exposition accentue exponentiellement l’envie de dormir un instant en attendant que le film retourne à l’essentiel. Dommage parce que le produit final est, à mon avis, très bien réussi et va au-delà de ce que le cinéma d’horreur offre en ce moment en Amérique-du-Nord et tout particulièrement au Canada.
Qu’il est bon de pouvoir utiliser les pages d’hier pour mieux écrire les histoires que l’on se raconte aujourd’hui. Soucieux — voire, apeuré — de ne pas s’approprier davantage de cultures que le colonialisme n’a déjà dérobées, nos dirigeants refusent l’association culturelle essentielle à la construction d’une qui soit plus représentative de notre époque. L’inclusion ce n’est pas de permettre la pratique des croyances ou des mœurs d’autres cultures au sein de la nôtre, mais bien de travailler d’inclure les croyances et les mœurs d’autrui à ce que nous avons déjà. Pourquoi se priver de mentionner la sagesse dont recèlent les Vedas hindous, ou les paroles de Bouddha comme nous apprécions celles de la chrétienté? Pourquoi faire semblant que nous ne pratiquons pas les arts martiaux, le yoga et bon nombre de sports qui ne proviennent pas d’ici? Ne soyons pas hypocrites, la culture canadienne ce n’est pas que la traite de la fourrure, le sirop d’érable et la fabrication de ceintures fléchées. Le Canada c’est aussi recevoir à bras ouverts, c’est s’intéresser aux histoires des autres pour se doter d’un champ de vision moins restreint quand vient le temps de regarder le monde, c’est un chalet avec un feu douillet dans la cheminée où il est bon venir s’abriter lorsque qu’à l’extérieur rage la tempête.
Étant moi-même scénariste et réalisateur, je suis énormément heureux de voir que d’autres semblent — à première vue — avoir saisi l’importance de retourner aux sources de ce qui fait de nous les créatures que nous sommes par delà notre enveloppe corporelle et nos sociétés modernes. J’aimerais profondément pouvoir sentir cette ouverture à l’unification de la part de mes congénères habitants d’un pays où il est possible comme nulle part ailleurs de réécrire notre histoire en prenant soin de ne rien oublier pour mieux avancer ensemble. Nos chemins spirituels — et donc à travers l’engouement social et culturel que ceux-ci engendrent — sont voués à se combiner dans une multiplicité de points de vue pouvant s’équivaloir ou se compléter; une infinité de racines et de branches à parcourir pour l’éternité et notre plus grand contentement à tous.
Néanmoins, j’ai une foi de plus en plus inébranlable en l’avènement d’une époque glorieuse pour nous êtres humains; un éveil bien au-delà de ce qui s’en dit actuellement. J’espère de tout coeur que personne n’aura à se sacrifier en entier pour y arriver. L’horreur c’est bien au cinéma, mais dans la vraie vie; ça commence à être assez, comme on dit.
Bokshi est présenté au Festival International du Film de Rotterdam, les 31 janvier, 2 et 8 février 2025.
Bande-annonce
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