« Winnipeg… étrange destination pour le tourisme.»
L’hiver. Quelque part entre Téhéran et Winnipeg. Negin et Nazgol trouvent une grosse somme d’argent gelée profondément dans la glace du trottoir et essaient de trouver un moyen de la faire sortir. Massoud conduit un groupe de touristes désorientés dans une visite à pied de plus en plus absurde des monuments et sites historiques de Winnipeg. Matthew quitte son emploi au gouvernement du Québec et entreprend un mystérieux voyage pour rendre visite à sa mère dont il est séparé. Le temps, la géographie et les identités se croisent, s’entrecroisent et s’entrechoquent dans une comédie surréaliste d’erreurs d’aiguillage.
Avec Une langue universelle, Matthew Rankin nous livre une comédie absurdiste aussi touchante qu’hilarante sur l’importance de veiller l’un sur l’autre.
Bon, autant parler tout de suite du gimmick principal du film : la grande majorité du film se déroule dans un Winnipeg alternatif inspiré par l’Iran, de son écriture à la langue parlée par les personnages winnipegois, le farsi. Ce qui nous semble aux premiers abords un choix de réalisation saugrenu, sinon absurde, se révélera finalement être un coup de génie de la part de Matthew Rankin et son désir de mettre d’avant un récit portant sur « les notions de communauté et de solitude, de proximité et de distance, de divin et de banal, d’universel et de paroissial. » Il devient alors assez drôle de voir l’équivalent iranien de points de repère et monuments résolument canadiens tels qu’un Tim Hortons bien normal, sinon que son logo est écrit en perse et qu’ils n’y servent que du thé et des baklavas. Cette simple substitution de langues et de cultures devient un excellent moyen d’isoler à la fois Winnipeg du reste du monde et de mettre de l’avant le fait que l’amitié et la solidarité sont, nonobstant des affiliations politiques et des langages, la véritable langue universelle.
Ce qui saute aussi aux yeux, mais qui ne sera pas étranger à quiconque a déjà vu un film de Matthew Rankin, est l’excellente direction de la photographie d’Isabelle Stachtchenko ainsi que le langage visuel extrêmement soigné en général. Tel que mentionné, Rankin n’est pas du tout étranger à l’artifice, un aspect qu’il étreint même fortement, inspiré des grands maîtres du cinéma iranien tels que Abbas Kiarostami, Mohsen Makhmalbaf avec qui il « partage le scepticisme de ce film quant à la possibilité d’une “authenticité” dans le langage artificiel du cinéma. » Ici, pas de distinction entre la réalité et la fiction : le temps d’un film, tout ce que nous voyons est réel, et le plus tôt nous acceptons de suspendre notre jugement, le plus vite nous pouvons intégrer ce monde véritablement bizarre, où se promènent dans la rue des hybrides homme-sapins et où les dindes voyagent en autobus.
Ce n’est pas pour autant que le film n’est pas inspiré de faits réels : la plupart des évènements, s’ils sont tout de même romancés à des fins dramatiques ou comiques, découlent de véritables expériences, souvenirs ou rêves associés à Matthew Rankin, qui joue d’ailleurs un des personnages principaux sous son propre nom. Cet aspect du film fait que transparaît à l’écran une grande sincérité, malgré les situations absurdes, à commencer par la prémisse en général. Malgré le fait que le choix d’« iraniser » les environnements familiers de Winnipeg puisse sembler cocasse, et même provocateur pour certaines personnes, Rankin nous assure que son film n’est pas politique, mais plutôt « inspiré par une très grande aspiration à des connexions humaines plus larges, à des notions plus profondes de famille, d’appartenance et de solidarité que ce que notre époque extrémiste nous assigne. » C’est avant tout par fascination pour la magnifique culture historique et artistique de l’Iran ainsi que son cinéma singulier que le réalisateur met en scène cet environnement.
Cinématographiquement parlant, il ne s’agit pas seulement d’une lettre d’amour et d’admiration au cinéma iranien, mais aussi aux grands maîtres comiques internationaux : entre les cadres soignés de Roy Andersson, l’humour noir et sec du pathétisme des personnages d’Aki Kaurismaki et les déplacements précis dans la mise en scène rappelant les chefs-d’œuvre de Jacques Tati, Une langue universelle n’a a aucun moment peur d’afficher ses plus grandes influences. Ce n’est pas pour dire que Matthew Rankin n’y injecte pas sa propre dose d’humour absurde et d’onirisme qui ont fait sa renommée, et à aucun moment, malgré les influences maintes fois imitées par d’autres et rarement égalées, nous sentons que le film est dérivatif. En ce sens, même si l’histoire n’est pas particulièrement complexe, le spectateur sera récompensé de visionnements multiples, ne serait-ce que pour bien absorber toutes les références que nous balance ce récit véritablement post-moderne. Il ne serait pas non plus surprenant que ce film devienne culte, et pas seulement pour les Canadiens, tant il arbore une personnalité forte et mystérieuse. Un essentiel de cette année, dont la nomination aux Oscars du film étranger de l’année est fortement méritée.
Bande-annonce
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