« The House is filled with you. »
[La Maison est remplie de vous.]
Ingrid (Julianne Moore) et Martha (Tilda Swinton), amies de longue date, ont débuté leur carrière au sein du même magazine. Lorsque Ingrid devient romancière à succès et Martha, reporter de guerre, leurs chemins se séparent. Mais, des années plus tard, leurs routes se croisent à nouveau dans des circonstances troublantes…
Si la carrière de Pedro Almodóvar est dense, riche et foisonnante, celle construite par les deux actrices principales de sa dernière œuvre récipiendaire du Lion d’Or (lors de la Mostra de Venise 2024) est également passionnante. Ayant chacune participé à des films de grands cinéastes, qui ont marqué le cinéma de ces trente dernières années, les talentueuses Julianne Moore et Tilda Swinton n’ont plus rien à prouver. J’étais donc impatiente de découvrir ce long-métrage, qui marque la rencontre de trois artistes dont les œuvres ont marqué ma cinéphilie.
Le film débute avec une musique à la fois entraînante et lancinante, presque mélancolique. L’image est mise en pause, puis s’alternent différentes couleurs de tonalités chaudes. L’atmosphère est posée : nous sommes bien devant un film du grand réalisateur espagnol. Ensuite, un plan en plongée dans une librairie, où nous apercevons Ingrid, personnage interprété par Julianne Moore.
Celle-ci est devenue une écrivaine reconnue, en train de signer des autographes, sans doute pour la sortie de son dernier livre. Elle y retrouve une connaissance dans la file d’attente, ancienne collègue et amie depuis leurs débuts respectifs dans le domaine du journalisme, qui lui donne des nouvelles de Martha. Malheureusement, Ingrid apprend que son amie est tombée gravement malade… Elle s’empresse alors de lui rendre visite à l’hôpital, malgré leur éloignement depuis de nombreuses années, dû à leurs carrières respectives. Elles retrouvent rapidement leur complicité d’antan, ce qui leur permet d’affronter ensemble le drame qui secoue la vie de Martha.
À partir de cette trame narrative, Pedro Almodóvar brode certaines de ses thématiques -voire obsessions- habituelles (l’amitié féminine, la mort qui rôde, les souvenirs, le rôle de mère…). Cependant, il effectue un changement de taille : la langue utilisée. En effet, si la musicalité de la langue espagnole fonctionnait à merveille avec la mise en scène, les décors et les costumes de ses précédents films, l’anglo-américain apporté par l’ensemble des interprètes instaure ici une certaine froideur, qui sied plutôt bien à ce nouvel opus.
L’amitié féminine est une fois de plus pensée, étudiée et mise en avant par le cinéaste, celle-ci étant cruciale et porteuse de souvenirs, de rires et de complicité. La nostalgie est également présente, alors que Martha rappelle à Ingrid certains moments marquants de son existence. Elle a été marquée par son indépendance, sa carrière, et surtout par le fait d’avoir élevé seule sa fille Michelle, provoquant un éloignement non désiré avec cette dernière.
Tout au long du film, les décors occupent par ailleurs un rôle dans la narration : Martha et Ingrid habitent de beaux appartements accueillants et colorés, puis la maison qu’elles vont ensuite habiter est une merveille architecturale, mais assez froide, déserte et silencieuse. Les tonalités utilisées par le cinéaste sont souvent flamboyantes mais assez mélancoliques. Les ombres d’Edward Hopper et de David Hockney planent autour des deux amies, alors que deux chaises bordent une piscine non utilisée.
Enfin, tout comme dans son film Tout sur ma mère (1999), Pedro Almodóvar nous montre un regard non seulement de réalisateur, mais de cinéphile. Ici, cela se traduit par l’intégration d’un extrait du film The Dead de John Huston, dernier film du réalisateur américain adapté du classique de James Joyce, visionné par les deux amies.
Je recommande ce film, qui mériterait un deuxième visionnage, pour profiter pleinement du jeu des actrices, de la mise en scène et du soin apporté aux décors. Je remarque un travail de plus en plus économe, du point de vue du récit et des interprétations, pour une œuvre conçue au fur et à mesure des années de façon habile par ce grand cinéaste. Une extravagance esthétique atténuée donc, pour un effet visuel final d’une parfaite minutie.
Bande-annonce
Révision linguistique par Maeva Kleit.
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