Le Canada, et le Québec se vantent constamment d’être de grands défenseurs de la liberté de parole et de la liberté de penser. Il est effectivement vrai que nous jouissons d’une grande liberté à ce niveau. Si ce n’était pas le cas, je serais potentiellement arrêté et interrogé juste pour écrire ce texte qui critiquera notre possibilité de dire et de montrer nos opinions, nos combats, ou simplement la vérité.
Chez nos voisins du sud, la liberté d’expression diminue un peu plus chaque année. On blâme l’extrême droite pour cela. Je ne dirai pas si je suis d’accord ou non sur cela, car bien honnêtement, ce n’est pas le sujet de ce texte. J’ai plutôt envie de parler de « chez nous ». Je vais mettre les cartes sur la table immédiatement, même si c’est déjà clair pour ceux qui me lisent régulièrement : je suis de gauche. Certains disent que je suis très à gauche sur le spectre politique.
Cette introduction veut vous amener sur un sujet qui commence particulièrement à me déranger. Au Canada (et au Québec), dans le milieu cinématographique (je laisserai les experts des autres milieux se prononcer sur leurs univers respectifs), on recense de plus en plus de films dont la sortie est repoussée afin d’éviter de blesser les sentiments de certaines gens ou de projections annulées parce que, encore là, certaines personnes n’aiment pas ce qui est dit, ou encore d’où provient le financement. Sans oublier les distributeurs de films et les agents de promotions qui tentent de faire changer le contenu des textes et des critiques.
Oui, on peut dire ce qu’on veut au Canada. Mais lorsque vient le temps de diffuser un film lors d’un festival, il semblerait que l’annulation (pour ne pas dire la censure) soit en train de gagner de la valeur dans les sphères cinématographiques.
Plus tôt cet automne, on apprenait l’annulation des projections du documentaire Russians at War au TIFF. Le documentaire de la réalisatrice canado-russe Anastasia Trofimova a pour ambition de montrer le quotidien des soldats russes qui se battent en Ukraine. La cause de l’annulation? Certaines personnes disaient que le film avait du financement en provenance de la Russie. Je suis de ceux qui prennent parti pour l’Ukraine et qui croient que la Russie devrait faire face à ses crimes. Mais d’annuler la présentation d’un film parce que ça « fait de la peine à certaines personnes » qui ne sont pas en accord avec ce qui est montré ou à cause de la source de l’argent, ça ne devrait pas se faire. Un film, même s’il s’agit d’un documentaire, représente un point de vue, celui de la personne qui le réalise. Est-ce en interdisant des points de vue différents que nous allons faire progresser la justice sociale ou l’égalité? Si on veut pouvoir convaincre des gens de changer d’opinion, encore faut-il leur montrer que leur opinion a aussi de la valeur, non?
Dernièrement, il y a aussi eu la présence d’un masculiniste à TLMEP qui a fait hurler les défenseurs de l’égalité des sexes. Mais si on fait semblant que ces hommes n’existent pas, on contribue à favoriser l’endoctrinement de ceux qui ne pensent pas à gauche. Ah oui, nous y voilà. La bonne gauche serait-elle devenue encore plus prône à exclure les « autres »? Je ne fais que poser la question. Mais j’ai bien envie d’entendre vos opinions sur cette question.
Ce qui nous amène à ce qui m’a poussé à écrire ce texte d’opinion.
J’aurais aimé parler à la réalisatrice, mais on ne me l’a pas permis. En fait, on m’a suggéré d’attendre et que ce n’était pas le bon moment. J’en profite donc pour lancer l’invitation à Danae Elon. Je vais donc devoir me baser seulement sur ce qui provient des messages officiels. D’abord, j’ai beaucoup de difficulté à croire les gens impliqués quand on écrit que la réalisatrice a décidé de retirer son film. Pour moi, ça sonne un peu comme quand on me dit que 90% des Russes ont voté pour Poutin. C’est pas vraiment un choix. Mais évidemment, il s’agit là d’une impression, puisque je n’ai pas pu parler à la principale intéressée et que les questions que j’avais n’ont pas été répondues.
Les RIDM ont demandé le retrait du film parce que le film aurait reçu du financement en provenance d’Israël. Je cite les RIDM : « l’absence de certaines informations relatives à quelques sources de financements israéliens reçus lors de l’étape de développement du projet de film a limité notre capacité à collaborer de façon transparente avec d’importants partenaires, y compris des membres de la communauté soutenant activement le peuple palestinien. »
Donc, ce film et sa réalisatrice qui critique vigoureusement Israël depuis plus d’une décennie se voient annulés parce qu’il y aurait eu de l’argent en provenance d’Israël, qui se fait vivement critiquer dans le film. Ainsi, des gens qui défendent la cause de la Palestine, font en sorte qu’un film qui les défend soit annulé parce que quelques dollars proviennent d’Israël. Honnêtement, même si le film présentait Israël sous son plus beau jour, en quoi des groupes idéologiques ont le droit de censurer un artiste qui propose son point de vue via un film?
Personnellement, j’ai vu presque tous les films de Danae Elon, et elle offre, chaque fois, une vision réaliste et troublante de ce qui se passe dans ce coin du monde. En retirant son film (qu’on ne m’a même pas permis de voir), on contribue à la promotion de la censure. Et si on veut permettre aux gens qui ont des opinions opposées de finir par s’entendre, il faudrait peut-être commencer par accepter de les laisser parler. Mais ce qui est le plus fou ici, c’est que ceux qui font disparaître le film semblent être ceux que ce film défend. Bra-vo!
Puisque nous somme à l’ère du je-me-moi, je terminerai en parlant de moi. Cette histoire d’annulation, couplée aux demandes vives que j’ai eu de changer des mots dans un de mes titres d’articles sur un film présenté aux RIDM, m’ont vraiment enlevé le goût de me présenter aux projections des RIDM.
Un festival de documentaire qui accepte la censure, est-ce respectable? De mon humble opinion, non, ce ne l’est pas.
Notre propension récente à vouloir tout aseptiser pour éviter de faire de la peine à qui que ce soit me semble particulièrement nocive. Il arrive quoi lorsqu’une personne n’apprend pas à recevoir un « non » ou qu’on la surprotège afin d’éviter les peines? Elle devient à différents niveaux tyrannique. Pas étonnant que dans nos classes de première années de plus en plus d’enfants lancent leurs pupitres ou frappent violemment leur enseignant ou enseignante lorsqu’ils n’ont pas immédiatement ce qu’ils veulent.
Peut-être qu’il serait temps de recommencer à accepter que nous n’avons pas tous le même point de vue sur le monde et que c’est en se parlant qu’on pourra vivre en harmonie.
Mais c’est tellement plus facile de se fermer les yeux et de faire semblant…
P.-S. Si je vous ai fait de la peine en écrivant ce texte d’opinion, on peut s’en parler. Ça me fera plaisir. Mais ne me demandez pas de changer un seul mot.
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