「申し訳なかったな、私が 被爆者で親になったの 私 子供に言いました。」
[J’ai dit à mes enfants que mes parents étaient des survivants de la bombe atomique, et donc que j’étais désolé de les avoir mis au monde.]
Noriko Oi, une Canadienne d’origine japonaise vivant à Montréal depuis plus de 20 ans, s’apprête à retourner à Nagasaki, sa ville natale. Elle doit y retourner pour aider ses frères et sœurs à vider la maison familiale qui, bientôt, sera vendue. Entre les murs de cette vieille maison se trouvent les fragments de l’histoire de la famille Oi. Que reste-t-il de la mémoire quand les secrets de famille sont ensevelis sous terre et que le silence assombrit les souvenirs collectifs? Noriko décide de reconstituer le passé de sa mère, Mitsuko, survivante de la bombe atomique, dans l’espoir d’apprivoiser son héritage familial et panser les sombres réminiscences du passé tragique de son héritage culturel.
Avec Okurimono, Laurence Lévesque propose un documentaire touchant sur un des grands tabous du Japon… Avec sa protagoniste Noriko Oi, elle lève le voile sur ce qui reste des traumatismes qu’a causés la bombe sur Nagasaki.
La quête de Noriko s’annonce ardue, puisque sa mère, Mitsuko, est décédée il y a plus de 30 ans, et n’a jamais partagé son histoire. Au fil de ses recherches, Noriko rencontre divers alliés qui l’aideront à découvrir le passé de sa mère et à dévoiler des détails inconnus sur cette époque de son Japon natal.
Il convient de noter que la jeune réalisatrice accomplit un exploit remarquable avec Okurimono. Les Japonais n’expriment pas facilement leurs émotions, surtout lorsqu’il s’agit d’un événement qui a traumatisé tout le pays. S’ajoutant à ce défi, Laurence Lévesque n’est pas japonaise, ce qui ne peut certainement pas être considéré comme un avantage.
Ainsi, Laurence Lévesque amène les spectateurs au cœur d’un grand traumatisme sociétal que les Japonais vivent encore difficilement aujourd’hui. Pour les Occidentaux, cet événement ne nous a jamais vraiment été montré du point de vue social. On l’apprend froidement dans nos cours de l’histoire, sans nécessairement réaliser que derrière cette explosion, il y a plus de 100 000 personnes qui ont péri et des milliers de familles qui ont été détruites alors qu’elles n’avaient jamais rien demandées. Donc, pour les gens de l’Ouest, c’est une belle occasion d’essayer de comprendre quelque chose qui nous semble si loin.
Avec sa comparse, Noriko Oi, Lévesque crée une œuvre toute en douceur malgré le sujet particulièrement dérangeant. Elle mélange beauté et tristesse, ce qui permet au spectateur de se glisser dans cette histoire profonde sans que ce soit ardu. Les magnifiques images des montages, de la mer et de la forêt adoucissent le côté tragique de l’événement au cœur du film. On y apprend, d’ailleurs, que la montagne aura permis de réduire les retombées radioactives et que les murs de l’hôpital auront permis de sauver quelques personnes.
L’introduction de la lecture des lettres d’une connaissance de Mitsuko ajoute une couche qui permet au spectateur de comprendre et de ressentir le côté humain derrière le bombardement de Nagasaki. On pourrait reprocher à ces séquences d’ajouter un côté mélodramatique au documentaire, mais au contraire, elles permettent de saisir l’étendue du drame. Les psychologues disent que lorsqu’on se retrouve devant quelque chose de gigantesque, le cerveau n’est pas en mesure de bien saisir ce que cela représente. Ainsi, en entendant l’histoire de Shima Wada et de son fils Toshimitsu, le cerveau peut réaliser la tristesse de ce qui s’est passé le 9 août 1945.
Il y a aussi ce poème de Noriko Ibaragi [茨木のり子] qui reste lourdement imprégné après le visionnement. Je me permets de le déposer ici, pour que vous puissiez le découvrir. Vous me pardonnerez la traduction un peu « à peu près ». Mais l’idée est là.
On pourrait croire qu’après ce qui s’est produit à Hiroshima et Nagasaki, l’atrocité des guerres convaincrait les dirigeants de pays de ne plus se battre. Mais malheureusement, l’Histoire – même récente – nous montre que les hommes ne veulent pas apprendre. Ainsi, nous n’avons d’autre choix que de voir Okurimono comme un film important. Surtout qu’il est très accessible.
茨木 のり子
わたしが一番きれいだったとき
街々はがらがら崩れていって
とんでもないところから
青空なんかが見えたりした
わたしが一番きれいだったとき
まわりの人達がたくさん死んだ
工場で 海で 名もない島で
わたしはおしゃれのきっかけを落としてしまった
わたしが一番きれいだったとき
だれもやさしい贈り物を捧げてはくれなかった
男たちは挙手の礼しか知らなくて
きれいな眼差しだけを残し皆発っていった
わたしが一番きれいだったとき
わたしの頭はからっぽで
わたしの心はかたくなで
手足ばかりが栗色に光った
わたしが一番きれいだったとき
わたしの国は戦争で負けた
そんな馬鹿なことってあるものか
ブラウスの腕をまくり
卑屈な町をのし歩いた
わたしが一番きれいだったとき
ラジオからはジャズが溢れた
禁煙を破ったときのようにくらくらしながら
わたしは異国の甘い音楽をむさぼった
わたしが一番きれいだったとき
わたしはとてもふしあわせ
わたしはとてもとんちんかん
わたしはめっぽうさびしかった
だから決めた できれば長生きすることに
年とってから凄く美しい絵を描いた
フランスのルオー爺さんのように
ね
Noriko Ibaraki
Quand j’étais la plus belle
La ville s’écroulait.
D’un endroit incroyable.
Je pouvais voir un ciel bleu.
Quand j’étais la plus belle.
Les gens mouraient tout autour de moi.
Dans les usines, dans la mer, sur une île sans nom
J’ai perdu l’opportunité d’être à la mode.
Quand j’étais la plus belle
Personne ne m’a offert de cadeau
Les hommes ne savaient que lever la main en guise de remerciement
Ils sont tous partis avec rien d’autre qu’un joli regard
Quand j’étais la plus belle
Ma tête était vide
Mon cœur était dur
Et tous mes membres brillaient d’une couleur marron
Quand j’étais la plus belle
Mon pays a perdu la guerre
N’est-ce pas quelque chose de stupide?
J’ai retroussé les bras de mon chemisier
Et je me suis promenée dans les petites rues
Quand j’étais la plus belle
La radio était pleine de jazz
J’étais aussi étourdi que lorsque j’ai brisé mon interdiction de fumer
Je dévorais la douce musique des pays étrangers
Quand j’étais la plus belle
J’étais si heureuse
J’étais si absurde
J’étais si seul
J’ai décidé de vivre le plus longtemps possible
J’ai peint les plus beaux tableaux quand j’étais vieille
Comme le vieux Rouault en France
Vous savez…
Grâce à la narration réfléchie de Laurence Lévesque, marquée par des visuels époustouflants, Okurimono navigue avec grâce dans les royaumes délicats de la douleur indescriptible et des traumatismes intergénérationnels, dressant un tableau poignant de la fin.
J’aimerais terminer en mentionnant le grand courage de la protagoniste du film, Noriko Oi, qui s’expose pour aider à la guérison de son peuple et permettre aux autres de comprendre.
Parce qu’au-delà de l’histoire de la famille, il y a celle d’une ville, celle d’une population. Peut-être que ce film ne réglera pas le traumatisme. Mais il aura le mérite de montrer l’atroce avec douceur et respect.
Pour ceux qui se le demandent, « okurimono » pourrait se traduire par « cadeau ». C’est ainsi que Oi décide d’interpréter ces lettres qu’elle a retrouvées chez ses parents.
Bande-annonce
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