« Y’a pas d’ours dans le Jura!!!! »
On n’attendait pas forcément Franck Dubosc sur ce terrain, mais Un Ours dans le Jura prouve qu’il peut surprendre là où on l’attend le moins. Exit les pitreries légères et les clichés de la comédie populaire : avec ce troisième long-métrage, celui qu’on associait aux plages ensoleillées de camping nous surprend en plongeant dans un univers sombre et glacé, mêlant polar, comédie noire et satire sociale. Dans les paysages majestueux du Jura, Dubosc dévoile une facette insoupçonnée de son talent, livrant une œuvre à la fois poétique, cruelle et remarquablement maîtrisée.
Et si l’homme que l’on associait autrefois à la légèreté était en réalité un cinéaste plus profond qu’il n’y paraît?
L’histoire démarre sur un enchaînement rocambolesque : Michel (interprété par Franck Dubosc lui-même) et Cathy (Laure Calamy), un couple de « braves gens » rongés par les dettes, tombent par hasard sur un sac contenant deux millions d’euros après un accident impliquant… un ours. Ce point de départ, digne d’une fable moderne, propulse ces protagonistes dans une spirale infernale où s’entremêlent mensonges, maladresses et violence. Entre légèreté et gravité, le film jongle habilement avec les genres, offrant un mélange aussi croustillant qu’étonnamment profond.
Si l’humour noir et les personnages décalés rappellent inévitablement les frères Coen – notamment Fargo – Dubosc ne se contente pas d’un simple pastiche. Il y injecte une sensibilité très française, explorant avec une tendresse palpable la détresse émotionnelle et financière de ses personnages. Cette humanité, omniprésente malgré l’absurde des situations, est sans doute l’une des plus grandes forces du film. Michel et Cathy ne sont pas de simples caricatures : ils incarnent les fragilités, les contradictions et les désillusions de la classe moyenne dans un monde où chaque faux pas peut devenir irréversible.
Mais Un Ours dans le Jura ne s’arrête pas à une simple comédie décalée. Derrière son ton faussement léger, le film propose une critique sociale acérée. Dubosc dresse le portrait d’une France rurale isolée, rongée par les dettes, où les institutions vacillent face à des choix moraux de plus en plus complexes. Les protagonistes, acculés par des circonstances désespérées, révèlent l’amertume d’une société où la survie économique érode peu à peu la morale. Quand être « gentil » ne suffit plus à vivre décemment, même les plus honnêtes peuvent se retrouver piégés dans des situations absurdes et tragiques.
Autour de ce duo principal gravite une galerie de personnages secondaires hauts en couleur, mais jamais caricaturaux. Des gendarmes maladroits, des trafiquants loufoques, mais dangereux, et un homme d’Église embourbé dans ses propres contradictions viennent enrichir ce tableau déjà chargé. Ces figures, toutes imparfaites et complexes, reflètent une société à bout de souffle, où les repères traditionnels semblent s’effondrer.
En choisissant ce ton décalé et cette profondeur inattendue, Franck Dubosc prouve qu’il peut transcender son image de comique populaire pour devenir un cinéaste capable de porter un regard pertinent et empathique sur le monde qui l’entoure. Loin des clichés, il signe ici un film qui amuse, interroge et laisse entrevoir un talent de réalisateur en pleine évolution. Avec Un Ours dans le Jura, Dubosc ne se contente pas de divertir : il montre qu’il a bien plus à offrir, aussi bien en tant que conteur qu’en tant qu’observateur attentif de la condition humaine.
Visuellement, Un Ours dans le Jura surprend par l’ingéniosité de son cadre : les paysages enneigés du Jura, aussi beaux qu’implacables, deviennent un personnage à part entière. Ces étendues froides et majestueuses enveloppent l’histoire d’une atmosphère oppressante, reflétant l’isolement croissant des protagonistes. Franck Dubosc, habitué aux décors lumineux de ses comédies, prouve qu’il sait explorer des tonalités plus sombres avec une esthétique méticuleuse. Les plans contemplatifs, presque oniriques, évoquent par moments l’épure des westerns modernes, tandis que les séquences plus tendues vibrent d’une intensité maîtrisée, renforcée par une bande sonore discrète, mais efficace.
Malgré cette réussite visuelle, le film connaît quelques faiblesses de rythme. Certaines scènes s’étirent, diluant légèrement la tension et risquant de perdre le spectateur dans des moments moins percutants. Quelques coupes judicieuses auraient sans doute resserré l’ensemble et amplifié l’impact émotionnel. Toutefois, ces imperfections n’altèrent en rien la sincérité de la démarche artistique, ni le plaisir qu’on prend à se laisser entraîner dans cet univers rocambolesque.
Dubosc démontre qu’il a un œil de cinéaste qui ne demande qu’à s’affirmer davantage.
Comme un clin d’œil ironique du destin, il n’apparaît que pour déclencher une série de catastrophes avant de disparaître sans laisser de traces. Un peu comme ce collègue qui lance un projet chaotique et s’éclipse au moment où tout explose. Peut-être était-il simplement là pour nous rappeler que, parfois, la vie tient à un coup de patte. Ou, en l’occurrence, à un gros coup de malchance.
Avec Un Ours dans le Jura, Franck Dubosc signe un polar comico-dramatique aussi inattendu qu’audacieux, prouvant qu’il sait surprendre tout en gardant un regard tendre sur l’absurde de nos existences. Entre neige, mensonges et cadavres encombrants, le film dépeint des personnages attachants pris dans un engrenage où tout semble échapper à leur contrôle.
Un ours dans le Jura est présenté au Festival Cinemania les 14 et 17 novembre 2024.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième